Depuis les attentats de Charlie Hebdo le 7 janvier 2015, une question revient souvent sur le devant de la scène : la France est-elle en guerre ? Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg démontrent dans La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu que la période actuelle ne peut pas être comparée au fantôme violent du conflit algérien, comme le font certains politiques contemporains.
Le 7 janvier 2017, la bataille d’Alger a soixante ans. Le 7 janvier 2017, le massacre de la rédaction de Charlie Hebdo a deux ans. Ces deux événements se télescopent de manière troublante. Si troublante, que la série d’attentats qu’a subie ensuite la France a amené plusieurs commentateurs à s’essayer au jeu des comparaisons. Et notamment par Jérome Fourquet et Nicolas Lebourg dans leur livre La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Après la mort du prêtre Jacques Hamel le 26 juillet 2016, égorgé par deux djihadistes, Martial Bild, ancien cadre du Front National, tweetait par exemple:
« Il va falloir accepter de vivre « la guerre d’Algérie » sur notre sol français. Et ne pas rester désarmés physiquement et moralement. »
La France vit-elle vraiment une « seconde guerre d’Algérie » ? La guerre d’Algérie a-t-elle jamais pris fin ? Jérôme Fourquet de l’Ifop et Nicolas Lebourg, chercheur associé au Centre d’études politiques de l’Europe latine (CEPEL), démontrent que, contrairement à ce qu’une partie de la population affirme redouter, une autre guerre d’Algérie n’est pas en train de se dérouler sous ses yeux. Ce qui ne diminue pas pour autant la menace terroriste à laquelle la France doit faire face.
Une France en guerre ?
Au lendemain des attentats du 13 novembre 2015, 59 % des Français pensent que leur pays a basculé dans un état de guerre. La perception d’un conflit armé est notamment dominante chez les moins de 35 ans (64 %), contrairement aux 65 ans et plus (51 %). Cette dernière tranche d’âge, notent les deux auteurs de La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu, regroupe des personnes qui avaient 12 ans et plus lors de la guerre d’Algérie:
« Le fait d’avoir connu ces événements historiques (…) semble les avoir incités à davantage relativiser l’idée selon laquelle nous serions entrés en guerre. »
Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg soulignent également plusieurs données importantes: aucun Etat officiellement reconnu n’a déclaré les hostilités, il n’y a pas de mobilisation générale et le quotidien des Français n’est pas aussi bousculé que pendant les combats du XXe siècle.
C’est surtout ce climat d’incertitudes, couplé à la proclamation de l’Etat d’urgence au lendemain des attentats de novembre, qui a pu raviver le souvenir de la guerre d’Algérie. Le dispositif d’urgence avait, de fait, été adopté en avril 1955 pour répondre aux attentats du Front de libération national (FLN). Etablir un parallèle entre la guerre d’Algérie et la situation actuelle de la France n’est cependant pas des plus exact.
Les deux auteurs rappellent ainsi que la violence qui émanait à la fois des combattants algériens et des pro-Algérie française était beaucoup plus élevée, soutenue dans le temps, et étendue à l’ensemble du territoire français. Contrairement aux attentats commis par Daech principalement concentrés sur Paris, à l’exception de Nice et de Saint-Etienne-de-Rouvray.
Les Molenbeek français
Si la comparaison entre la France d’après les attentats et la guerre d’Algérie a gagné du terrain, c’est qu’une partie des politiques français joue également sur le phénomène de « communautarisation de certains quartiers français ». Une idée notamment soutenue par le polémiste Eric Zemmour dans un article du 25 mars 2016 pour Le Figaro Magazine :
« Les Molenbeek français, comme leur homologue belge, sont des territoires où les mœurs sont musulmanes, où les paysages commerciaux sont musulmans, où les vêtements sont musulmans, où la sociabilité (pas de femmes dans les cafés ni dans les rues) est musulmane. (…) Dans cette terre d’islam, les mécréants non musulmans – ou même les mauvais musulmans – n’ont pas leur place. (…) On les menace, on les frappe, on les vole. Jusqu’à ce qu’ils partent.”
Comme le notent avec justesse Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg, les propos de Zemmour font ressurgir souvenirs et fantasmes :
« Le spectre de la territorialisation ethnique des départements algériens après 1945, avec le départ des Européens des bleds vers les villes, leur repli dans celles-ci au sein de quartiers spécifiques, à l’écart des quartiers « arabes » ou « musulmans », puis l’aboutissement de ce mécanisme avec le départ des Français (chrétien et juifs) d’Algérie. (…) Le thème est fort car il lie à la fois la ‘soumission’ politique, la désintégration du territoire, l’annihilation culturelle et la promesse d’apocalypse que porterait la société multiculturelle. »
Cette image de poches d’insoumission à l’Etat français qui pourraient le renverser travaille une grande partie de l’extrême droite. Marine Le Pen a ainsi annoncé, lors d’une convention présidentielle le 15 novembre 2016, « un affrontement des Français entre eux ». La thématique de la guerre civile revient souvent sur le devant de la scène et nourrit, encore une fois, le souvenir de la guerre d’Algérie.
Pourtant, Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg précisent que la perspective d’une confrontation entre des personnes radicalisées et d’autres engagées à l’extrême droite est, pour l’instant, plutôt incertaine : « Les conditions objectives ne semblent pas réunies pour rendre possible l’émergence de plusieurs organisations terroristes rivales, internes à la société française, structurées et disciplinées, entrant dans une concurrence homicide pour mener au basculement du pays à travers une guerre civile. »
Le poids de la mémoire
Le souvenir de la guerre d’Algérie semble enfin encore très vivace dans les esprits d’une grande partie de la population française. Cette dernière comprend notamment de nombreux Français d’origine algérienne avec des descendants de l’immigration économique et des enfants des harkis. Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg soulignent que « dans certaines familles d’origine algérienne, le ressentiment contre l’ancienne puissance coloniale a été entretenu et transmis. » Et que les attaques terroristes ont également réveillé des blessures au sein du groupe social des harkis.
Les deux auteurs ajoutent que « ce passif est d’autant plus vif qu’il existe aussi du côté des rapatriés » :
« Avant même le 11 septembre 2001, un journaliste pied-noir né en 1952 expliquait en 2000 au politisé Eric Savarese : ‘Nos pires ennemis, ceux qui nous ont fait perdre notre terre, ils sont ici et ils veulent se venger. (…) Et en plus, on voit d’anciens chefs du FLN à Paris, se balader tranquillement, et en plus on remet des médailles à des gens qui méritent la mort pour haute trahison. Comment voulez-vous que les pieds-noirs soient bien en France, avec tout ça ?’”
Il semble ainsi compréhensible que la peur d’une « nouvelle guerre d’Algérie » soit aussi présente au sein de la population française. Les attaques terroristes, même si elles ne peuvent pas être rationnellement comparées au conflit algérien constituent tout de même « une épreuve d’une intensité inégalée depuis plus de quarante ans ». Elles renvoient la France à des thématiques qu’elle a depuis longtemps « réduites à des objets de polémique » : de la société multiculturelle et ethnique au passé colonial en passant par l’acceptation ou non de la limitation de la liberté d’expression.
La nouvelle guerre d’Algérie n’aura pas lieu, Jérôme Fourquet et Nicolas Lebourg, éd Fondation Jean-Jaurès, 105 pages.
{"type":"Banniere-Basse"}