Doté d’une stupéfiante infinité de planètes toutes plus sublimes les unes que les autres, No Man’s Sky est peut-être le jeu vidéo le plus ambitieux jamais créé. Dans cette immensité, personne ne vous entendra vous émerveiller. Et pourtant…
Dieu est un Irlandais volubile de 35 ans. Arborant une barbe fournie et répondant au nom de Sean Murray, il offre à l’humanité, en cette fin d’été, un nouvel univers dont les dimensions ont de quoi donner le vertige. 18 446 744 073 709 551 616. La suite de chiffres laisse incrédule, mais c’est pourtant le nombre exact de planètes, théoriquement toutes différentes, qu’abrite ce cosmos 2.0 qui nous arrive déguisé en jeu vidéo. No Man’s Sky, tel est le nom de l’œuvre en question, l’une des plus ambitieuses de toute l’histoire du jeu vidéo. Et dont l’histoire ne ressemble à aucune autre.
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Rien ne semblait en effet destiner Sean Murray et ses complices du studio de développement Hello Games, basé à Guildford, dans le sud de l’Angleterre, à se retrouver aux commandes d’un jeu d’une telle ampleur. Lorsque, en 2008, après avoir quitté Electronic Arts (où il avait notamment travaillé sur la furieuse série de jeux de course Burnout), Murray se lance dans l’aventure du jeu indé en cofondant Hello Games, c’est pour développer le fort chouette mais relativement modeste jeu de cascades à moto Joe Danger, qu’il finance en vendant sa maison.
En 2011, Sean Murray comence à bidouiller en secret
Le succès est immédiat et le studio attaque rapidement la production d’une suite, mais Murray rêve d’autre chose et, sans en parler à ses collègues, commence à bidouiller sur son ordinateur. Nous sommes alors en 2011 et le jeune homme ne tarde pas à se dire qu’il pourrait bien avoir mis le doigt sur quelque chose de très spécial.
C’est en décembre 2013 que le monde entend pour la première fois parler de No Man’s Sky, avec la diffusion d’une vidéo qui marque les esprits. On y découvre des mondes surréels peuplés de créatures étranges et des vaisseaux qui quittent joyeusement l’atmosphère.
La science-fiction vidéoludique tient sa nouvelle sensation
Pas de doute : la science-fiction vidéoludique tient sa nouvelle sensation. A l’époque, l’équipe de développement de No Man’s Sky se résume pourtant à quatre personnes. Elle grossira au cours des mois suivants, mais en restant toujours très en-deçà des standards actuels.
Le secret tient en un mot, martelé dès la bande-annonce fondatrice de 2013 : “procédural”. Les milliards de planètes du jeu, avec leurs lacs et leurs montagnes, leurs faunes et leurs flores, ne sont pas dessinées une par une par les auteurs du jeu mais générées ‘procéduralement’ par l’ordinateur en fonction des règles (physiques, plastiques…) préalablement établies.
Et longuement peaufinées, contrôlées, corrigées car la moindre erreur à un endroit risque d’avoir de grosses répercussions ailleurs en rendant, par exemple, une planète impraticable. D’abord, on rédige le code. Ensuite, on introduit du hasard dans l’ordinateur en comptant sur sa rigueur pour produire une infinité de variations sans que l’ensemble ne perde de sa cohérence.
Les mondes de “No Man’s Sky” ne préexistent pas au lancement du jeu
La belle étrangeté théorique de No Man’s Sky est là : ses mondes ne préexistent pas au lancement du jeu mais se fabriquent devant nous et sont aussi susceptibles de surprendre ses auteurs – qui, en testant leur œuvre, en ont été les premiers explorateurs – que les joueurs ordinaires.
Joueurs qui se voient proposer une expérience singulièrement différente de celles auxquelles ils sont habitués car les lieux qu’ils parcourent ne sont pas des “niveaux” soigneusement conçus à leur intention (avec des pièges, des énigmes, des récompenses…), mais des endroits qu’ils sont les premiers à découvrir (et qu’ils peuvent alors rebaptiser du nom de leur choix) et dont, vu le nombre de planètes différentes offertes aux joueurs, ils resteront peut-être à jamais les seuls visiteurs. L’idée est d’autant plus troublante que ces environnements sont souvent d’une grande beauté. Faudrait-il regretter que, dans cet espace immense, personne ne nous entende nous émerveiller ?
Si elle fait son grand retour depuis quelques années dans le sillage de Minecraft, la génération procédurale n’est pourtant pas une idée nouvelle. Elle était même au cœur du grand inspirateur de No Man’s Sky, sur lequel Sean Murray ne cache pas avoir passé bien des heures dans son enfance : le jeu d’exploration, de commerce et de combat spatial Elite du duo britannique David Braben-Ian Bell, paru en 1984.
Le jeu exalte les dimensions les plus positives de la science-fiction
Mais l’engouement suscité par No Man’s Sky avant même sa sortie vient sans doute aussi de sa manière de réveiller des rêves du passé (plutôt que d’en faire table rase) et de renouer les fils d’une histoire depuis longtemps entamée. C’est aussi le sens de son rapport à la science-fiction écrite ou filmée dont, loin des humeurs apocalyptiques, il exalte les dimensions les plus positives, à commencer par le goût de l’exploration et de l’altérité.
On jurerait d’ailleurs que la manière dont le jeu nous pousse sans cesse à rechercher des matériaux (carbone, fer, plutonium…) pour réparer notre vaisseau ou l’améliorer est davantage un moyen qu’une fin. C’est une invitation à se poser, à aller voir, à marcher.
Au cours des années folles qui ont précédé la sortie de No Man’s Sky, Sean Murray aura tout connu : la ferveur des fans (qui le photoshoppent en Jésus) et leur folie (pour un report, des menaces de mort), la télé US (un passage en chemise à carreaux chez Stephen Colbert) et la presse (un portrait dithyrambique dans le New Yorker), la quasi-sortie de route (pour cause de bureaux inondés à Noël 2013) et l’industrie à ses pieds (avec le soutien de Sony).
“Après tout ça, je vais définitivement m’offrir une pause et aller faire une dépression nerveuse quelque part”, promettait-il récemment au site Vice américain. Radical et lumineux, son jeu, lui, n’est pas près de nous quitter. Le voyage ne fait que commencer.
No Man’s Sky (Hello Games), sur PS4 et PC, environ 60 €
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