Petit bras, effacé, dépassé par la « crise du siècle », Nicolas Sarkozy n’a paru convaincre que lui-même dans l’émission Face à la crise, diffusée sur TF1, France 2, M6 et RTL. Un show en crise.
La publicité commerciale a été supprimée sur la télé publique depuis le 5 janvier : un mois plus tard, le 5 février, elle a réapparu sous une forme insidieuse, la publicité politique. Car l’émission Face à la crise, diffusée en simultané sur TF1, France 2, M6 et RTL, tenait plus d’une opération de communication politique que d’une émission d’information. L’Elysée avait fait savoir la veille de l’émission que Sarkozy voulait des « intervieweurs solides, calmes, qui posent des questions carrées ». La grille d’évaluation des compétences des journalistes fut ainsi établie au coeur du pouvoir. La « monarchie médiatique » s’est mécaniquement mise au niveau de la « monarchie républicaine ». Les journalistes de la BBC doivent encore bien rire devant une pratique hexagonale qui voit le journalisme se coucher devant les injonctions du pouvoir. Puissance invitante, définissant elle-même les règles du jeu, s’affichant sur quatre médias, la cour élyséenne laissa peu de place à la possibilité d’une discussion potentiellement dérangeante.
Avec Laurence Ferrari, Guy Lagache – leur première interview présidentielle à l’Elysée, on comprend leur gêne émotive -, David Pujadas, et le spécialiste estampillé du genre Alain Duhamel, on était loin de l’exercice de l’interview pratiqué par dans la plupart des démocraties, où les dirigeants ne choisissent pas leurs intervieweurs, où le principe d’un entretien intègre l’idée d’une discussion animée, soumise à des contradictions, à des relances. Qui a vu une seule relance dans l’interview d’hier soir ? Une question, une réponse, souvent floue, voire erronée (l’audiovisuel public, la réforme des universités…), et stop. Tout le contraire d’une interview politique argumentée.
Durant toute l’émission, Sarkozy adapta la forme de sa performance au fond de sa prestation : tout en demi-teinte, presque dans l’effacement de son ego, dans la neutralisation de ses effets habituels. Il a joué petit bras durant toute l’émission, incapable de masquer le flottement de sa position sur ce qu’il appelle lui-même « la crise du siècle ». Bousculé, inquiété par le mouvement social qui gronde, le président a mis de l’eau dans son vin. Pas de provocation gratuite, pas de sourire (c’est rare chez lui), pas de vannes (juste quelques scuds sur Le Nouvel Obs ou sur Pujadas), Sarkozy afficha un profil bas, qui ne lui ressemble pas. Son regard flottait dans le vide durant la première partie de la soirée. Le décentrage de son regard fut à la mesure de son décalage politique. Face à la crise, Sarkozy semblait perdu, au point de ne plus fixer dans le fond des yeux ses interlocuteurs. « De la compassion, de la compréhension, des réponses », avait-il promis en début d’émission. On en est loin. Il ne restait au terme des presque 100 minutes d’interview qu’un catalogue flou d’intentions, sans que rien de précis ne soit annoncé, ni dans les modalités d’application ni dans le financement : partage du profit, suppression de la taxe professionnelle, baisse des impôts pour les classes moyennes, baisse de la TVA pour le disque, réforme des paradis fiscaux et de tout le système financier international…. Le virage social amorcé ne se confirmera qu’à partir du 18 février prochain, jour où les partenaires sociaux sont invités à dialoguer avec le gouvernement.
Rien de neuf donc sinon qu’on découvrit que Sarkozy était tout autant capable de surjouer la modestie que de feindre la toute puissance. Sur la défensive, situation assez rare, le président a inventé un registre d’expression inédit. C’est dire que la France va mal, même lui semble ne plus vouloir faire le malin.
Jean-Marie Durand