Il a donné la date de l’annonce de sa candidature à Eva Joly, rencontré Chirac, Besancenot et DSK. Pourtant, personne ne semble convaincu que, cette fois, il ira.
« Tout va bien. Je suis serein », écrit Nicolas Hulot sur son iPhone en sortant, en décembre 2010, d’un dîner avec Eva Joly. C’est le premier tête-à-tête entre les deux candidats potentiels à la présidentielle, qui ne se connaissent quasiment pas. Ils ont échangé des SMS pour prendre rendez-vous. Ils continuent dans les semaines qui suivent. « Nicolas Hulot lui envoie des messages quand elle a bien parlé… de lui », rigole-t-on côté Eva Joly.
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Ils se revoient début mars avant le départ d’Hulot pour la Colombie, où il va tourner un épisode d’Ushuaïa. Ils s’étaient mis d’accord avec Cécile Duflot pour qu’il annonce sa (possible) candidature à la présidentielle le 2 avril – après son retour et juste avant le conseil fédéral d’Europe Ecologie-Les Verts (EELV). Ce soir-là, Hulot explique qu’il préfère reculer son intervention à la mi-avril, le temps de récupérer.
Chirac, Besancenot, DSK : il les a tous vus
Le SMS, Hulot en est un utilisateur intensif. Un mode de communication direct quand tant de politiques font passer leurs messages par des intermédiaires. L’outil des gens pressés mais aussi de ceux qui veulent maintenir un semblant de présence à distance. L’arme des séducteurs. Certaines personnes qui ont « vachement bossé avec lui » avouent ne l’avoir quasiment jamais rencontré.
En plus des textos, depuis cet hiver, Nicolas Hulot file de rendez-vous en rendez-vous sur son scooter électrique. Il déjeune avec son ami Jean-Louis Borloo qui, sceptique de le voir se présenter sous la bannière EELV, lui a proposé de former avec lui un ticket pour la présidentielle. Il saute d’un déjeuner avec Jacques Chirac à un pot avec Olivier Besancenot, fait des grands écarts politiques en rendant visite au décroissant Pierre Rabhi puis au patron du FMI (sans qu’on sache à qui, de DSK ou de Hulot, les fuites sur ces rencontres sont censées profiter le plus).
A Daniel Cohn-Bendit, « dont il mesure l’impact et le flair », traduit un proche, il explique que son soutien est une condition à sa candidature. Sur la péniche de son ami Gérard Feldzer, des chercheurs lui montent des ateliers de formation sur la dette, la politique étrangère ou l’économie verte. Des copains lui ont arrangé des rencontres avec des jeunes de La Courneuve… Devant un proche, Hulot compte sur ses doigts : Cécile Duflot, Daniel Cohn-Bendit, José Bové – « qui ne peut pas encore le dire » -, Yves Cochet, Jean-Paul Besset… Il a les pointures écolos avec lui, assure-t-il, ainsi que le milieu associatif vert.
Le public d’Ushuaïa plus vieux que celui de TF1
Si tout est prêt à ce point, d’où vient que personne autour de lui n’arrive à se dire convaincu sans réserve qu’il sera candidat ? D’où vient qu’Eva Joly se demande si, en repoussant la date de sa décision, il ne chercherait pas à se ménager la possibilité de dire non ?
« Nicolas Hulot ne s’est pas prononcé, c’est un peu comme DSK », s’amuse Cohn-Bendit.
S’il n’était pas candidat, ce serait très simple de le dire. Lorsqu’Yves Cochet déclare à des journalistes qu’il pense qu’Hulot a 85% de chances de se présenter, l’avocat Pascal Durand, un copain d’Hulot, l’appelle en rigolant : « Pourquoi pas 88%? » Lui ne fera pas de pronostics : « J’ai déjà eu deux grosses déceptions » – la présidentielle 2007 et les européennes 2009, où, après des mois d’hésitation, Hulot ne fut pas candidat.
Pressés de s’approprier son immense popularité pour 2012, les écolos ont passé l’éponge sur ses indécisions très médiatiques qui détournèrent tant d’énergie lors des dernières élections. Mais qui serait le Hulot candidat ? Le décroissant au discours apocalyptique qui taperait dans l’électorat de gauche ou l’ami de Chirac et de Borloo qui détournerait des voix de droite ? « Chacun prend le Nicolas Hulot qui l’arrange », résume l’avocat Arnaud Gossement, ancien porte-parole de France nature environnement.
Dès décembre, Hulot confiait à un proche qu’il se présenterait et qu’il pensait apporter au mouvement écolo une trentaine de députés aux législatives : « Advienne que pourra, mais il regretterait de ne pas l’avoir fait. »
« Il ne veut plus être juste un poil à gratter ni permettre qu’on puisse enterrer la taxe carbone en quelques secondes. » A ceux qu’il a rencontrés/testés, il dit qu’il veut tourner la page télé et activités associatives. Déçu par la traduction législative du Grenelle, par Copenhague et par l’échec de son film Le Syndrome du Titanic, il considère désormais que le seul endroit d’où faire changer les choses, c’est le sommet. A les écouter, Hulot voudrait arrêter de demander au grand public et aux politiques de s’engager pour ce soit lui, cette fois, qui s’engage.
Des intimes y voient aussi un choix par défaut : « Il a fait le tour de ce qu’il pouvait faire dans le domaine de la télévision. » Le député Yves Cochet et son sens de la formule :
« Il en a marre, à 55 ans, de faire le Bisounours dans des kayaks sur des lacs avec des petits poissons. »
TF1, de son côté, a peut-être aussi fait le tour de ce qu’elle pouvait faire avec Hulot. Diffusé le 29 décembre, le dernier numéro d’Ushuaïa a enregistré 4,3 millions de téléspectateurs. Mais l’émission vieillit avec son présentateur : 60% de son audience a plus de 50 ans, ce qui en fait un public encore plus âgé que celui du prime-time de la chaîne.
Officiellement, Nicolas Hulot ne peut pas s’exprimer avant fin mars à cause de ses responsabilités à TF1 et dans sa fondation.
Ce couche-tôt peut-il se plier à une campagne ?
Les plus réservés sur son éventuelle candidature se trouvent dans sa sphère business ou personnelle. A les écouter, Hulot aime trop sa liberté.
« Il est très investi dans ce qu’il fait mais il travaille peu. Je ne vois pas comment il accepterait les jeux d’appareils en terme d’emploi du temps », relève un collaborateur. « Il se lève à 6 heures, se couche à 21 heures. Difficile dans ce cas de suivre le rythme d’une campagne. »
Surnommé le « commandant Couche-tôt » par son entourage, il n’a pas de vie mondaine, n’aime pas les dîners. « Le genre de vie qu’il mène sera massacré dès les premières semaines s’il se déclare. »
Hulot revendique ne pas pouvoir se passer du kitesurf, sport qu’il pratique avec deux copains de Saint-Malo, des types « normaux » avec qui il n’est pas question de parler de politique. Un ancien collaborateur fait de lui « un homme fondamentalement déchiré entre ses convictions et la réalité, entre la colère et la patience, entre la vie qu’il a construite et ce qu’il faudrait abandonner pour faire de la politique ».
« Il est normal que je prenne le temps de la réflexion, c’est le contraire qui devrait vous inquiéter », écrit-il à François de Rugy, député Vert de Loire-Atlantique. Dans un SMS à rallonge, Hulot lui explique qu’il a été attristé par une petite phrase reproduite dans Le Journal du Dimanche (« On prépare mieux la présidentielle en faisant des réunions qu’en faisant du kitesurf »), qu’il est normal qu’il ait des loisirs et que, d’ailleurs, ce serait bien de faire connaissance.
Invité sur Europe 1, Yannick Jadot, ancien patron de Greenpeace France aujourd’hui directeur de la campagne d’Eva Joly, a appelé Hulot à ranger son kite et à venir rejoindre les écolos dans leurs combats immédiats. Texto de Hulot : « Tu sais bien que je ne peux pas parler pour le moment. »
« Quand on fait de la politique, mieux vaut ne pas être trop susceptible non plus », s’amuse François de Rugy, dont on ne sera pas surpris d’apprendre qu’il soutient la candidature d’Eva Joly.
Le rendez-vous fixé à François de Rugy dans un hôtel de Dinard (Ille-et-Vilaine), pas très loin de Saint-Lunaire où Hulot réside, s’inscrit dans une opération de séduction des Verts. Car paradoxalement, alors qu’il fréquente le monde politique et celui de l’environnement depuis des années, les écolos sont sans doute ceux qu’il connaît le moins bien.
Personne chez les Verts ne doute de ses convictions en matière d’environnement : il est habité par l’écologie, convaincu et convaincant. Des coups de téléphone à Noël Mamère, un entretien d’une heure et demie avec Jean-Vincent Placé : Hulot drague les historiques et les plus idéologiques.
« Je suis dans le train. » Jean-Vincent Placé fait défiler les textos d’Hulot sur son iPhone. « Faut dire ce qui est, il a quand même que ça à foutre », commente le numéro deux d’EELV, qui assure avoir « bien apprécié » Hulot (comment Placé parle-t-il donc des gens qu’il n’a pas appréciés ?) même s’il soutient Eva Joly. Chez les écolos, il se passe en un mois ce qui se passe en cinq ans dans un autre parti. Eva Joly, qui a tellement ramé pour se faire accepter, est maintenant la candidate de l’establishment du parti. Elle qui avait flirté avec le Modem est désormais classée à gauche. C’est l’effet Hulot.
Hulot estime avoir le soutien de Daniel Cohn-Bendit, un Vert historique mais pas vraiment un passionné de l’environnement : l’inverse de Hulot. Les deux ont en commun le besoin d’être aimé, « leur plus grande qualité et leur plus grande faiblesse ». Ils fuient les conflits de personnes, s’intéressent aussi peu l’un que l’autre aux questions de structure.
Un très long froid avec Cohn-Bendit
Le soutien, ou au moins la neutralité, de la star soixante-huitarde n’était pas acquis. Quand ils prennent un petit-déjeuner ensemble en février, c’est la première fois qu’ils se revoient seuls depuis les européennes. « Dany n’a pas bien vécu les tergiversations de Nicolas », raconte un témoin de première ligne qui a vu Cohn-Bendit faire des pieds et des mains pour entraîner Hulot dans la campagne.
« C’était mon idée ! Un ticket Nicolas Hulot-Daniel Cohn-Bendit ! » Jean-Paul Besset, moustachu en veste de velours côtelé, ancien rédacteur en chef au Monde, fait figure de conseiller politique pour la non-campagne d’Hulot. C’est aussi lui qui avait assemblé les parties du Pacte écologique d’Hulot, confiées à différents experts.
En décembre 2007, avec l’avocat Pascal Durand, ils vont voir le député européen à Bruxelles pour lui exposer leur idée de ticket. Cohn-Bendit est immédiatement partant. Début 2008, ils lui présentent Hulot, qui se donne quelques mois pour réfléchir. « J’étais sûr que Cohn-Bendit le convaincrait », se souvient Durand. En juin, Besset et Durand déjeunent avec Hulot à Dinard. Dans le train du retour, ils appellent Cohn-Bendit, excités : « Nicolas y va ! » « Trois jours après, il a changé d’avis », raconte Besset.
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