Alors que trois supporters russes viennent d’être condamnés à trois ans de prison ferme, Nicolas Hourcade, sociologue à l’école Centrale de Lyon et spécialiste des supporters de football revient sur les événements qui se sont déroulés à Marseille samedi 11 juin. Des supporters russes et anglais s’étaient violemment affrontés en plein centre-ville à quelques heures du match opposant leurs équipes respectives.
Est-ce que ces débordements entre supporters russes et anglais étaient évitables ?
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Nicolas Hourcade – Nous savions qu’il y avait des risques liés à des hooligans purs et durs comme les russes. Nous savions qu’il y avait des tensions liées aux anglais puisqu’il y avait un contentieux par rapport à la population marseillaise qui datait de 1998 (des heurts avaient éclaté dans la ville avant le match Angleterre – Tunisie, ndlr). Nous savions aussi que les policiers français n’avaient pas l’habitude de gérer ça. Nous connaissions tous les facteurs de risques et malheureusement ils se sont tous réalisés !
Vous parlez de hooligans « purs et durs », à quel genre de hooligans s’opposent-ils?
Le problème c’est qu’on utilise le terme « hooliganisme » dans les médias aujourd’hui souvent de manière floue et qu’il recouvre des réalités complètement différentes. La plupart des sociologues considèrent que les hooligans sont des individus qui se définissent comme tels. Cela signifie qu’ils se mobilisent autour des matches pour se battre : c’est leur objectif premier. Les 200 russes qui sont allés à Marseille, ce sont clairement des hooligans. Ils sont venus pour se battre. La plupart des fans anglais, quant à eux, étaient là de manière festive pour passer un bon moment. Certains se sont fait agresser. Mais parmi eux, il y avait aussi des personnes qui étaient là pour voir le match, encourager leur équipe, boire avec leurs amis et si ça chauffait un peu, se battre. C’est différent. Si personne n’était allé chercher les anglais samedi, ils n’auraient pas spécialement réagi. Ces fans anglais-là ne sont pas dans la même logique de comportements que les hooligans russes qui sont venus pour se battre, avec presque une organisation pour le faire. Ce que nous avons vu samedi, ce ne sont pas des individus qui ont du ventre parce qu’ils ont bu de la bière, mais des personnes physiquement affûtées. Ils savent se battre, ce sont des combattants professionnels.
Est-ce qu’il y a eu une défaillance des services de sécurité ?
Les policiers de terrain n’ont pas l’habitude de gérer ce genre de situation parce que traditionnellement en France, il n’y a pas de hooliganisme très fort. Il a existé à Paris, mais très peu ces derniers temps. De plus, la politique française de ces derniers mois a été d’interdire les déplacements des supporters lorsqu’un match paraissait un peu risqué. On ne peut pas reprocher à des policiers de terrain de ne pas savoir faire ce qu’on ne leur a jamais appris, à part des exercices fictifs avec des étudiants dans un stade. Mais nous pouvons reprocher à la France de ne pas s’être suffisamment préparée à l’Euro et de ne pas avoir mis en place des dispositifs plus robustes. Nous ne pouvons pas avoir une politique pendant des mois et du jour au lendemain faire autrement pour l’Euro : dire pendant des mois aux supporters français de ne pas se déplacer puis dire que nous allons accueillir tous les supporters de l’Euro et que nous allons savoir les gérer. Par exemple pour la finale de la coupe de France PSG-Marseille, un nouveau dispositif a été mis en place, ce fut un fiasco. Cet échec a permis de rectifier le tir. C’est très difficile d’assurer la sécurité autour d’un match de foot : si vous ne vous entraînez pas, vous ne savez pas faire. Chez eux, les hooligans russes ne se battent ni dans les stades, ni aux abords, ni en ville. Ils se battent dans des forêts ou des champs ! En France, ils ont fait tout ce qu’ils ne peuvent pas faire chez eux ! Personne ne pensait qu’il y allait avoir des incidents dans le stade, c’était vraiment surprenant.
Donc vous pensez que la France s’est mal préparée ?
Elle aurait dû mieux préparer les agents pour qu’ils puissent mieux encadrer les supporters étrangers. La France a communiqué sur la coopération internationale, c’est très bien, mais en réalité elle a été sous-dimensionnée. Huit policiers étrangers par pays visiteur suivent leurs supporters, sauf les Anglais qui sont 12. En Allemagne en 2006 il y avait 72 policiers anglais et 76 policiers polonais, c’est une échelle complètement différente. Les « spotters » (les policiers étrangers spécialistes des hooligans), ils connaissent leurs supporters à risques, ils peuvent les identifier rapidement et les signaler aux policiers français. Cette coopération n’a pas fonctionné à Marseille. Les services russes n’ont sans doute pas fait les efforts nécessaires pour transmettre les informations sur le terrain. C’est curieux que 200 hooligans russes expérimentés n’aient pas été identifiés avant par les « spotters ». Il y a un problème de coopération internationale du fait de la politique française, mais aussi de la collaboration insuffisante de certains pays.
https://www.youtube.com/watch?v=wIMrNI-UXNk
La politique de répression comme prohiber l’alcool aux abords des stades est-elle une bonne solution ?
Sanctionner les personnes qui ont participé aux bagarres c’est une nécessité. La menace de l’UEFA d’exclusion de la sélection russe est plutôt intéressante parce que ça oblige la fédération russe à faire en sorte qu’il n’y ait pas de nouvel incident, car cela pourrait se retourner contre leur fédération. L’interdiction de l’alcool n’est pas une solution en soi car ce n’est pas la cause des violences les plus graves. Dans certains cas, elle peut être un facteur aggravant mais les hooligans russes n’ont pas besoin d’alcool pour se battre.
Le hooliganisme, c’est quoi concrètement ?
C’est un mot qui est utilisé pour désigner tous les incidents liés aux supporters : violences entre eux, outrages aux forces de l’ordre, jets de projectiles, consommation excessive d’alcool, de drogue, allumage de fumigènes, slogans insultants ou même parfois la vente de tickets au marché noir. C’est une notion très générale qui inclut des faits très différents qu’il faudrait distinguer. Par ailleurs, en utilisant de manière indistincte le terme hooligan, on suppose que tous les supporters violents sont les mêmes. Or, la manière d’agir des supporters violents est différente en fonction des périodes et des pays. Déjà ils ne se considèrent pas tous comme des hooligans. C’est pourquoi les sociologues limitent le qualificatif de hooligans à des individus centrés sur la violence. Mais d’autres fans peuvent aussi parfois provoquer des incidents. En ce qui concerne le profil social des hooligans russes, par exemple, il n’y a pas de profil type : ils sont issus des catégories populaires et moyennes. Beaucoup sont correctement intégrés socialement. On pense souvent que puisqu’ils se battent, ce sont forcément des abrutis. Ce serait trop simple. Certains assument et justifient leurs pratiques. Le hooliganisme c’est l’affirmation de la masculinité traditionnelle, la force physique, le courage, l’absence de peur. Il y a quelques filles hooligans dans les pays de l’est, mais c’est très rare.
Les russes qui se trouvaient à Marseille se considèrent-ils comme tels ?
Oui, les russes qui sont venus pour se battre se définissent comme des hooligans. Ils ont mis en place un plan et ils ont attaqué. La plupart des anglais n’étaient pas à Marseille pour se battre et ne se définissent pas pour la plupart comme hooligans, même si par ailleurs il existe des hooligans anglais.
Est-ce qu’ils sont vraiment passionnés par le football ?
Ça dépend. Certains adorent le foot et se battre, d’autres adorent se battre mais n’aiment pas le foot. Historiquement les premiers hooligans anglais dans les années 60 aimaient le foot et défendaient leur ville et leur club. Petit à petit, la violence a évolué en réaction aux dispositifs de sécurité. Avant les hooligans se battaient dans les stades, puis les enceintes ont été sécurisées donc ils se battaient en dehors, puis en centre-ville ou sur les trajets et quand tout a été sécurisé, ils se sont donnés rendez-vous loin des stades. Certains hooligans sont devenus des professionnels de la violence, ils s’entraînent et organisent des combats collectifs pour déjouer les forces de l’ordre.
Angleterre-Russie : Les hooligans gâchent la fête à Marseille https://t.co/2XRMEtk4eP pic.twitter.com/FCCehjhdSt
— L'ÉQUIPE (@lequipe) June 11, 2016
Donc leur but premier c’est de se battre ?
Non seulement de se battre mais de gagner ! C’est comme si c’était un sport, ils aiment bien leur « sport » mais le but du jeu c’est quand même de gagner et de battre l’adversaire. Les hooligans russes considèrent qu’ils ont « battu » les Anglais le week-end dernier.
Ce n’est pas un phénomène nouveau ?
Il y a toujours eu de la violence autour des matchs de foot depuis le XIXe siècle mais pendant longtemps, c’était très sporadique, ça ne posait pas beaucoup de problèmes. Dans les années 1960 apparaissent en Angleterre des groupes de supporters violents de manière récurrente. Supporter son équipe c’est alors aussi se battre pour elle tous les week-ends. Quand je suis à domicile, je dois empêcher l’invasion de mon territoire par les supporters visiteurs, et quand je me déplace il faut que j’occupe la place, la ville et le stade. La violence est alors devenue régulière et préméditée. Ensuite avec les différentes compétitions européennes, le hooliganisme s’est exporté. Il a aussi évolué avec la sécurisation des stades. Le hooliganisme professionnel qui s’est développé ces derniers temps peut impliquer des individus qui ne vont jamais au stade, ce qui est très différent des premiers hooligans.
Est-ce qu’il y a un modèle français de lutte contre le hooliganisme ?
Il y a différentes manières de gérer les hooligans selon les pays. Il y a deux critères pour les distinguer : d’une part, comment ces pays combinent la prévention et la répression, et d’autre part comment ils concilient les impératifs de sécurité et le respect des libertés. En France, il n’y a que de la répression, aucune prévention, et un impératif de sécurité qui prime sur les libertés. Dès qu’il y a un risque, on interdit aux supporters de de déplacer, donc dans les stades il n’y a plus de supporters des deux camps. En Angleterre, la répression est très forte et le prix des places a augmenté afin de sélectionner le public : en contrepartie, les Anglais ont développé des méthodes permettant aux fans de donner leur avis sur la vie du club. Le modèle que je trouve le plus intéressant est celui de l’Allemagne : répression très forte sur les hooligans, la violence et le racisme, mais prévention sociale et dialogue avec les supporters. On maintient une conciliation entre sécurité et liberté pour que les supporters puissent se déplacer et participer au monde du football.
Derrière tout ça, est-ce qu’il y d’autres revendications ?
Parfois il y a des liens entre hooliganisme et extrême droite. Certaines bandes sont de tous bords politiques, d’autres ouvertement racistes, c’est très variable. Certains revendiquent l’identité de leur pays. Pendant la guerre des Balkans par exemple, des hooligans serbes et croates ont défendu leur identité nationale. Pour d’autres c’est la violence pour la violence. Leur identité principale, c’est l’identité de leur groupe de hooligans et du club qu’ils supportent.
Faut-il remettre en cause la coupe du monde de 2018 en Russie ?
On peut se poser la question de l’attribution de la coupe du monde à la Russie en 2018 et au Qatar en 2022. Il faudrait avoir une réflexion globale sur les conditions d’organisation d’une grande compétition au-delà de la question de la Russie: à quel prix on organise de grands événements, dans quelles conditions ? Il y a des arrangements qui sont opaques, des conditions financières d’organisations souvent trop favorables aux fédérations sportives internationales au détriment des pays, donc si les hooligans russes attirent l’attention sur les problèmes posés par les grands événements sportifs, leurs violences n’auront pas été complètement inutiles ! (rires)
Propos recueillis par Camille Soligo
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