Vieux briscard du journalisme politique, Nicolas Domenach devient, pour la première fois, éditorialiste à la radio, dans la Matinale de RTL animée par Yves Calvi. Une voix humaniste qui remet à sa place les refrains pénibles d’Eric Zemmour.
Il n’y a pas dans les médias d’exercice journalistique aussi prestigieux et aristocratique que l’édito politique, surtout à la radio, l’antre historique des “éditocrates” influents. Le commentaire du théâtre (de boulevard) de la vie politique hexagonale reste un sport national un peu nécrosé, même si certains billettistes, comme Thomas Legrand sur France Inter, tentent de se détacher des rites microcosmiques pour éclairer par le haut l’état dévasté du débat public.
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S’il suit, lui aussi, de près les arcanes de la politique hexagonale depuis quarante ans, Nicolas Domenach n’avait encore jamais eu le privilège d’en faire le récit circonstancié au micro le matin. C’est chose faite en cette rentrée. En débarquant les lundis et mercredis sur RTL, à la demande d’Yves Calvi – l’anchorman de la matinale –, l’ancien directeur adjoint de la rédaction de Marianne voudrait, à sa manière, défendre un “journalisme humaniste et engagé”.
Avec ses mots un peu désuets (l’humanisme et l’engagement ont largement déserté l’ethos journalistique des nouvelles générations), Domenach refuse le titre d’éditocrate. “Je ne veux surtout pas être sentencieux ou arrogant, précise-t-il. Je ne donne pas de ligne de conduite, mais il me semble que l’édito politique, malgré ses travers, est aujourd’hui plus que jamais nécessaire.” Comme si l’effacement des repères idéologiques et la disparition du goût de l’esprit public exigeaient une quête de sens, fût-ce en trois minutes chrono, deux fois par semaine.
Contre-feu salutaire
La voix de Nicolas Domenach a ainsi surgi fin août, tel un contre-feu salutaire à la logorrhée nauséabonde d’Eric Zemmour, un autre éditocrate qu’il connaît bien pour s’être disputé avec lui pendant des années sur le plateau d’iTélé. Tout les oppose, et rien ne peut plus les réunir sur une scène tant la discorde est grande.
Après qu’ils ont tenu longtemps ensemble un jeu de rôle, “la radicalisation” de l’auteur du Suicide français les a définitivement éloignés. Ils ne se parlent plus. A la frontalité du débat, un dialogue indirect s’est substitué, comme un jeu de ping-pong arbitré par Yves Calvi, qui accueille désormais les deux billettistes en alternance au même micro du lundi au jeudi (Guillemette Faure assure le vendredi).
“Zemmour est transporté, estime Domenach. C’est vrai qu’il incarne un certain esprit du temps dominant : le repli, la nostalgie passéiste, le rejet de l’autre.” Face à cet air du temps dominant, le nouvel éditorialiste entend défendre des valeurs opposées, comme “l’anti-déclinisme” ou “la fraternité, idée abandonnée par la gauche”, dont il regrette “la dévitalisation intellectuelle”.
“Je parle à des gens à travers ceux que je regarde”
S’il assume, face à Zemmour, son statut de combattant sur un champ de bataille idéologique, Nicolas Domenach avoue aussi son attachement sentimental à RTL. “C’est la radio de ma jeunesse, j’en conserve plein de souvenirs : les reportages durant Mai 68, la voix de Ménie Grégoire, une amie de la famille, mais aussi celle de Max Meynier.”
Bien que venant d’un milieu intellectuel (son père Jean-Marie, figure du courant personnaliste, fut directeur de la revue Esprit de 1957 à 1976 ; son frère, Jean-Luc, est un célèbre politologue et sinologue), il reconnaît aimer “le côté fraternel de la radio populaire”. Il le retrouve chez Yves Calvi, qu’il côtoyait déjà sur le plateau de Mots croisés sur France 2, comme il l’a éprouvé aux côtés d’animateurs télé, tels Bruce Toussaint ou Ali Baddou, à La Nouvelle Edition de Canal+, qu’il s’apprête à fréquenter à nouveau dans une autre configuration.
Ici et là, il adopte la même posture en lisant ses papiers nourris par ses humeurs. Le regard piquant, l’air à la fois impliqué et détaché, il happe ses voisins de plateau comme il aspire ses auditeurs : “Je parle à des gens à travers ceux que je regarde”, explique-t-il. Cela s’entend comme cela se voit.
Redonner le goût de la chose publique
A la télé, et sur Canal+ en particulier, il a appris à injecter une dose de ludisme et de légèreté dans sa prose un peu raide. Il a compris que redonner le goût de la chose publique convoque aujourd’hui des ruses divertissantes, comme l’ont saisi habilement Le Petit Journal ou Cyrille Eldin, “un génie dans son genre”. Nicolas Domenach mesure pour autant les limites d’un journalisme exclusivement désinvolte. Chez lui, la conviction résiste à l’ironie, le fond de la politique ne se laisse pas absorber par la forme vide d’un cirque inconséquent.
Errant “entre sympathie et prise de distance” au cœur du monde politique, dont il ne sera jamais “un miroir flatteur”, il explore tous les théâtres d’opérations : les congrès des partis, les universités d’été, les couloirs de l’Assemblée nationale, les manifs, les meetings… “La politique, c’est d’abord une culture orale ; c’est pourquoi, je ne déserte pas le terrain ; j’aime me déplacer ; c’est comme cela que les informations viennent à vous et qu’on comprend les enjeux des batailles politiques.”
Longue vie de journaliste
Au-delà de la guerre des idées, qu’il entend mener sur RTL comme sur Canal+, à travers des sujets qui le travaillent (le sens à donner à l’esprit du 11 janvier…), il sait que la politique est en grande partie “romanesque”, et qu’il est impossible d’échapper au récit de la conquête du pouvoir. Quitte à s’écharper avec les conquérants, à l’exemple de Nicolas Sarkozy qui ne veut plus lui parler depuis ses papiers acerbes dans Marianne.
Parti en 2014 très fâché de l’hebdomadaire où il écrivait depuis 1997, suite à un désaccord avec Yves de Chaisemartin et Joseph Macé-Scaron (un procès se prépare), il a retrouvé, grâce à Claude Perdriel, une tribune dans Challenges. Attaché à toutes “les aventures collectives” de sa longue vie de journaliste (L’Evénement du jeudi, Le Matin de Paris…), lucide sur les déceptions qu’elles charrient parfois, l’acuité de son regard humaniste sur l’actualité le protège du pire des travers “éditocratiques” : le cynisme qui aveugle et pousse à prétendre tout dévoiler de la politique en ne restant qu’à sa surface. Lui ne dévoile ses profondeurs qu’en effleurant sa surface.
L’Edito politique de Nicolas Domenach dans la Matinale d’Yves Calvi, On n’est pas forcément d’accord, les lundis et mercredis, 8 h 30, RTL
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