Du théâtre classique à l’écriture sur internet, Nicolas Berno est aujourd’hui un élément important du plus grand collectif d’humour français sur YouTube. Amoureux du cinéma absurde anglais et de Jacques Tati, son talent pour mélanger l’humour et l’émotion en fait un comédien singulier, auteur de courts-métrages uniques en leur genre.
« Le plus dur, c’est d’être regardé sans jamais être vu.” S’échappant de ses lèvres avant d’être reprise au vol par Justine Le Pottier, la phrase de Nicolas Berno sonne comme l’épitaphe de la dépression du podcasteur lambda sur internet.
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Le propos peut sembler sombre pour un sketch du Golden Moustache. Jojo, du nom de son personnage principal interprété par Nicolas Berno, s’inscrit dans une démarche douce-amère, peut-être plus amère que douce, drôle parfois, sans être forcément écrit pour l’être. “Jojo, c’est aussi une façon pour moi de me rappeler que ce après quoi je cours, c’est de faire des choses. Pas d’être connu. C’est un garde-fou.”
Doit-on voir dans la conclusion de Jojo, qui finit par délaisser sa webcam pour s’adresser aux gens autour de lui, un signe que les planches et l’adrénaline du face-à-face avec le public au théâtre lui manquent ? De sa voix profonde, reposante, légèrement affaiblie par une récente angine, Nicolas Berno remercie FloBer, qui lui a soufflé l’idée de cette fin et que le hasard a fait s’asseoir dans le même café que nous ce mercredi après-midi, et confesse ne jamais s’être posé la question :
“Je n’y avais jamais réfléchi comme ça. C’est vrai qu’à la fin, Jojo revient à l’essentiel, le public, pas d’artifice entre les deux, pas de webcam, pas de micro, rien. C’est peut-être inconscient. En fait, internet peut te faire perdre de vue que tu t’adresses à des gens, des vrais gens. Je pense que c’est surtout ça que raconte cette fin.”
Passionné de théâtre
S’il n’est pas remonté sur scène depuis plus de cinq ans, Nicolas Berno parle encore avec passion de son premier amour théâtral, cet « infiniment petit dans un infiniment grand, qui impose l’humilité, où l’on se retrouve au service d’un texte qui est bien plus grand que nous. »
Sensibilisé très jeune à la scène et au cinéma par son cercle familial, il se découvre la même vocation que ses parents après un atelier théâtre de collège qui se termine pourtant très mal : « J’étais avec une professeure de français qui avait peut-être des grandes envies et frustrations de metteuse en scène. Ça s’est passé un peu dans la douleur, mais on a fait ce spectacle de fin d’année devant un public de scolaires, où on nous jetait des tickets de métro pendant la représentation. Tout était là pour nous dégoûter. Mais quand la salle s’est rallumée, que les gens ont applaudi, j’ai senti ce petit frisson et je me suis dit que je voulais faire ça toute ma vie.« .
“Si dans une pièce de théâtre ta seule phrase à dire c’est ‘bonjour, comment vas-tu ?’, et que tu loupes ton entrée, tout l’édifice peut s’effondrer. S’il y a des petits rôles dans l’audiovisuel, il n’y en a pas au théâtre.”
Faire ça toute sa vie, et faire ça tout de suite. Nicolas Berno quitte même le lycée sans attendre le bac pour suivre des cours de théâtre au conservatoire (« Ce n’est pas que je n’aimais pas apprendre, mais je n’aimais pas trop la manière qu’avait le système scolaire de vouloir m’apprendre comment être un citoyen.”). Et si c’est aujourd’hui par internet qu’on le connaît, ces quelques années de vie sur le web en masquent une dizaine passées sur scène, aussi bien dans des pièces classiques, Marivaux, Goldoni ou Molière, que dans des créations contemporaines, avant sa dernière représentation dans une adaptation de Push Up de Roland Schimmelpfennig par Gabriel Dufay en 2011.
Du théâtre à la vidéo
Le théâtre disparaît petit à petit de son emploi du temps pour laisser place à son autre amour, l’audiovisuel. D’abord pour s’amuser avec Nan Feix, un ami rencontré au conservatoire, et avec qui il commence à tourner dès 1996. Nan et lui fréquentent alors une petite bande de passionnés dont fait partie Matthieu Vollaire. Ensemble, ils tourneront plusieurs courts métrages, et l’alchimie fonctionne au point que ce dernier fait appel à lui en 2006 pour un personnage dans un court métrage de Affreux, Sales & Méchants, une jeune boîte de prod parisienne.
Déjà à l’époque, jouer un rôle ne vient jamais sans écrire et contribuer à la genèse de l’histoire qu’il raconte. Par jeu de connaissance, petit à petit, Nicolas Berno rencontre enfin Slimane-Baptiste Berhoun et François Descraques, avec qui il tournera notamment dans Les Opérateurs (web-série produite par France Télévision), puis FloBer avec qui il partage un duo dans la quatrième saison du Visiteur du futur.
« Mes projections, mes rêves, étaient souvent provoquées par les films que j’avais adorés. J’ai vu Indiana Jones, et j’ai voulu devenir archéologue. J’ai vu Le Verdict avec Paul Newman, et j’ai voulu devenir avocat. J’ai fini par me rendre compte que ce dont j’avais envie, c’était de jouer. M’amuser à être quelqu’un. »
Au sein du Golden Moustache, c’est d’abord dans deux sketchs écrits par Adrien Ménielle qu’il va s’amuser à être quelqu’un. Sympathique clin d’œil, les premières minutes qu’il tourne avec lui mettent en scène un entretien d’embauche. Les suivantes le font jouer un policier de l’humour, aux côtés d’Aude Gogny-Goubert, partenaire qu’il retrouvera un an plus tard dans sa première production personnelle pour Golden Moustache, Malentendu.
« J’étais très content de rencontrer Aude, parce que j’aimais beaucoup ce qu’elle faisait dans le Palmashow. On a un respect mutuel du travail de l’autre. C’est une comédienne de métier, qui vient un peu de la même famille d’acteurs que moi, on s’est tout de suite bien entendu. Sa chaîne personnelle Virago est aussi super pertinente, avec des vidéos bien faites, intelligentes. »
Entrer dans le moule de Golden Moustache n’est pas forcément chose facile. « A ma première réunion YouTube, je suis arrivé avec un sketch de 18 pages. Forcément, c’est beaucoup trop long et ambitieux.« . Quelque part, c’est pour lui un retour au ton de ses premières productions avec Nan Feix, à l’image des premiers sketchs qu’il publie sur le lab du collectif d’humour pour se faire la main.
Mais très vite, Nicolas Berno affirme sa patte et sa maîtrise de l’absurde, des codes du cinéma anglais des années 80 en passant par l’œuvre de Jacques Tati. « L’absurde, ce n’est pas si facile que ça. Il y a une logique dans la non-logique. C’est très construit, avec une part d’improvisation qui tourne toujours autour d’une structure et d’un rythme. » Sa partie de Jeux dangereux avec Vincent Tirel, « grand virtuose de l’absurde« , est un premier tournant.
« (Dé)Testable », le tournant
Mais la patte de Nicolas Berno ne serait pas parfaite sans cette petite touche de gris, ce léger vague à l’âme, ce versant de mélancolie qui permet au public d’entrer dans l’histoire, de s’attacher au personnage, d’éprouver de l’empathie. Avec en tête Le Bureau des rêves écrit par FloBer, il décide de tenter lui aussi de proposer des sketchs dont l’humour ne serait pas la finalité, mais la conséquence.
« Pour moi encore une fois, Tati est un exemple formidable de ça. Dans Mon oncle, il y a une poésie extraordinaire, et une vision très acerbe de la société de l’époque, de ce que ça implique de se tourner vers la modernité. Avec ce personnage de monsieur Hulot qui vagabonde là-dedans dans sa maladresse. Ça m’émeut énormément. Dans la grande comédie, il y a toujours un fond. »
(Dé)Testable est son premier court-métrage du Golden Moustache publié sur la chaîne YouTube au début de l’année 2016. En un peu plus de cinq minutes, l’ambition de poser un regard sur le monde du travail, dans une société où tout est toujours en test permanent, tout en amenant un questionnement sur l’amour, et en faisant passer un message sur la discrimination au travail. Rien que ça.
Dans (Dé)Testable, de gros clins d’œil assumés à son histoire d’amour préférée, Punch-Drunk Love de Paul Thomas Anderson, et toute une écriture d’anticipation inspirée de Bienvenue à Gattaca. Mais un test également pour lui, qui incorpore à l’histoire une relation homosexuelle entre lui et Valentin Vincent, en guettant la réaction du public :
« Je ne voulais pas faire de cette scène un message. Ce sketch ne parle pas de sexualité. Je mets juste en place deux personnes qui s’aiment, ça dure 17 secondes en tout. Et je vais voir ce que les spectateurs vont en dire. Et ce que j’ai aimé dans les réactions, que ce soit sur cette scène ou sur l’atmosphère générale du sketch, c’est que ça a créé de belles discussions, de beaux débats. Ce n’est pas parce qu’on a avancé dans les textes, avec le mariage pour tous, que les mœurs ont changé. Et je trouvais ça intéressant de parler sur internet d’homosexualité sans en faire un ressort comique. Si on est dans le progrès, on devrait arrêter de souligner les choses, et juste les insuffler dans des histoires. »
Comment un sketch si singulier a-t-il été accueilli dans le collectif d’auteurs ? “Il y a eu beaucoup d’encouragement, de la part de Navo (Bruno Muschio) et FloBer, il n’y a pas eu de remise en question.” De quoi donner confiance pour la suite, même si le comédien confie quelques inquiétudes sur son ego et prend beaucoup de recul sur la visibilité et la reconnaissance que lui apporte internet. D’où Jojo, et cette réflexion sur l’importance de garder en ligne de mire ce pour quoi il fait ce métier :
« Je suis parfois en souffrance de ne pas pouvoir faire le plus possible mon métier. Ma frustration est parfois égocentrique. Mais j’aime tellement jouer, et être avec des gens que j’aime, que ça me frustre parfois de me dire qu’on n’a pas pensé à moi pour faire tel ou tel truc. J’ai un ballon et j’aimerais faire un foot avec tous mes potes. Mais au foot, on ne joue qu’à 11 contre 11 et tout le monde ne peut pas jouer. Je peux me dire parfois que si on ne me prend pas pour un truc, c’est contre moi. Alors que c’est juste impossible de prendre tout le monde tout le temps. »
« Noise », le parfait mélange entre « Jeux Dangereux » et « (Dé)Testable »
(Dé)Testable et son accueil très positif montrent que le public de Golden Moustache est prêt à son écriture toute en nuance. Dans sa production suivante, Noise, qui met en scène un monde surréaliste où tous les bruits du quotidien sont faits à la bouche par ceux qui l’habitent, la touche sensible de Nicolas Berno vient s’exprimer à travers le choix du personnage qu’il interprète d’aller briser le silence du quotidien en abordant une inconnue interprétée par Justine Le Pottier.
« Quand quelqu’un dit bonjour, quand quelqu’un fredonne dans la rue, on a toujours ce premier regard où on se dit qu’il n’a pas la lumière à tous les étages. Alors qu’en fait, c’est peut-être juste quelqu’un de content. On a un rapport très particulier à l’autre dans l’espace public. J’avais envie d’un petit instant simple où le bruit n’est pas à l’endroit qu’on pense. Finalement, dans les grandes villes, ce qui fait le plus de bruit, c’est le silence entre les gens. »
Sortir du rôle type
En parallèle, ses apparitions sur internet s’inscrivent de plus en plus dans des rôles très proches les uns des autres, avec le risque de le voir réduit à ses épaules carrées, ses cheveux poivre et sel et sa maturité pour jouer le flic ou le bon père de famille. « C’est super d’un côté, d’avoir un emploi assez évident pour les gens. Mais quand on est dans l’humour, les gens ne pensent pas forcément à moi pour interpréter un personnage comique. On me voit plus dans des rôles d’autorité, qui ne sont pas toujours les rôles les plus importants ou récurrents, et c’est parfois triste d’être réduit à ça. C’est plus facile pour quelqu’un qui a une nature comique d’être sollicité pour faire l’inverse, que dans mon cas. » En ça, des rôles comme ceux qui lui sont proposés dans Unknown Movies ou Le Trône des Frogz sont un moyen de se montrer autrement.
Toujours proche d’Affreux, Sales & Méchants, le court-métrage The Oracle auquel il a participé à l’écriture et dans lequel il joue fait aujourd’hui la tournée des festivals. Pour la suite, l’envie de revenir au théâtre, mais aussi des rêves de cinéma. Avec au centre de tout, la notion de plaisir. Et Jojo dans un coin de la tête. Pour ne pas oublier d’où il vient.
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