Dans « Les 30 féministes que personne n’a vus venir », Johanna Luyssen, journaliste à « Libération », tente de démontrer qu’on peut être féministe sans le savoir, à l’aide d’une série de portraits décalés, drôles et souvent pertinents.
« Divine et Madonna ne correspondent peut-être pas à l’idée qu’on se fait des féministes, mais moi, enfant qui les voyais à la télévision, le message que j’en recevais était absolument féministe: c’est normal d’être bruyante, fière, un monstre social, et d’aimer quand même son corps. » Ces mots, que l’on peut lire en préface de Les 30 féministes que personne n’a vus venir, sont ceux de Beth Ditto, chanteuse de Gossip, et résument bien l’état d’esprit du livre de Johanna Luyssen, ancienne rédactrice en chef adjointe de Causette, aujourd’hui à Libération.
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Comme elle le précise en quatrième de couverture, l’ouvrage vise à démontrer qu’on peut être féministe sans le savoir. Pour ce faire, Johanna Luyssen brosse trente portraits, plus ou moins décalés. Parmi eux: le personnage de Scarlett O’Hara dans Autant en emporte le vent pour sa résilience face aux épreuves du cœur, 2Pac pour ses paroles engagées concernant les mères célibataires et sa lutte contre la culture du viol (Voir le morceau Keep Ya Head Up, soit « Garde la tête haute »), Jane Austen pour ses romans bourrés d’ironie, Buffy pour sa chasse aux vampires…
« Teen Spirit » est un déo pour femmes
Certains portraits virent à l’anecdote croustillante. Comme celui de Kurt Cobain, qui se concentre sur la naissance du morceau culte Smells like Teen Spirit, un soir de beuverie avec sa pote Kathleen Hanna, ex-chanteuse de Bikini Kill, désormais à la tête du Tigre. Le titre du morceau, imaginé par une Hanna saoule, faisait à l’origine davantage référence- sous forme de blague- au fait que Cobain sentait le déo pour femmes (Teen Spirit est une marque américaine de déo), qu’à l’esprit de rébellion de la jeunesse. Johanna Luyssen nous explique avoir voulu démontrer que « le féminisme se niche partout, dans toutes les classes sociales, tous les pays et tous les milieux. » Elle poursuit:
« ça a l’air de surprendre encore beaucoup de gens que des hommes puissent être féministes mais c’est le cas. S’il faut le dire et le redire, le montrer encore et le raconter, pas de problème. »
Parmi les « féministes que personne n’a vus venir » figurent aussi des objets, comme le vibromasseur électrique, inventé par un patricien anglais du nom de Joseph Mortimer Granville en 1883, ou encore « les plissés d’Issey Miyake« . Conçu en 1993 par le styliste japonais, ce « vêtement idéal » sèche en quelques minutes, ne se repasse pas et « s’adapte parfaitement au corps (…) sans l’oppresser ». « Je voulais montrer que notre quotidien n’est pas exempt d’objets qui reflètent quelque chose de notre histoire, et parfois, de notre émancipation, nous raconte Johanna Luyssen. La journaliste consacre également un chapitre à la pilule contraceptive, car dit-elle:
« De la même façon qu’une ceinture de chasteté symbolisait au Moyen-Age la soumission des femmes par les hommes, la pilule contraceptive est aussi un objet qui nous rappelle que nous avons gagné le contrôle de notre sexualité, que nous avons, en France en 2015, le droit de faire des enfants quand on le désire. Quand je prenais la pilule, je pensais souvent à ça : qu’est ce que ça veut dire d’ingérer ce comprimé ? Généralement je répondais à ma propre question en me disant que si j’étais, présentement, à trente ans, en train de développer une carrière épanouissante sans me poser encore la question de la grossesse, et si j’étais heureuse en somme, c’était grâce à elle. »
« Mon cul m’appartient »
Avec Les 30 féministes que personne n’a vus venir, Johanna Luyssen en profite, aussi, pour rebondir sur la polémique entourant le féminisme d’une Beyoncé ou d’une Nicki Minaj. C’est d’ailleurs cette dernière qui arrive en tête du classement de son livre. La rappeuse qui aime mettre en avant son postérieur est décrite comme « un avatar un peu camp » du personnage de la « femme sexy, rebelle, riche, puissante, qui contrôle tout: son argent, sa carrière, sa communication… et sa sexualité« . Loin d’être porno, le clip d’Anaconda « s’amuse avec les clichés du hip-hop, l’un d’entre eux étant la réification des femmes ». Et, si la rappeuse « ne se pose pas comme une figure intellectuelle de premier plan », elle a le mérite de nous dire ceci: « mon cul m’appartient« .
Pour Johanna Luyssen, le fait pour Beyoncé, Nicki Minaj ou encore Miley Cyrus d’afficher « une sexualité féminine offensive » dérange:
« Beaucoup de gens aimeraient bien voir des féminismes plus “nobles”, plus faciles à assumer, du coup on préférera le féminisme de Patti Smith à celui de Nicki Minaj, parce qu’il est “plus classe”. Sauf que ces personnes oublient que les avatars sexy et fessier à l’air de ces popstars sont, justement, des avatars. (…) les gens qui se plaignaient autrefois que le féminisme était vu comme un truc ringard dont tout le monde se fiche, se plaignent aujourd’hui de le voir revendiqué par les popstars… Il faut savoir. »
Malgré la mise en scène de leur féminisme, la journaliste reste persuadée qu’il « n’est pas surfait« . En témoignent la gestion de leur carrière et les paroles, souvent engagées, de leurs morceaux. Quant à l’appellation de « féminisme pop », elle estime qu’elle permet de « définir cette façon assez contemporaine d’entremêler féminisme et pop culture, de Wonderwoman à Beyoncé ». Et de préciser: « Comme notre époque aime à le faire, le féminisme pop mélange tous les codes, se réfère à des tas de choses différentes, sample différentes influences. Comme Beyoncé citant l’écrivaine nigériane Adichie, il peut mêler Beauvoir et les Riot Grrrls, Olympe de Gouges et Nicki Minaj. »
Les 30 féministes que personne n’a vus venir, de Johanna Luyssen. Illiustrations d’Enora Denis. (éditions Contrepoint, mars 2015)
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