Premier dans les sondages mais assuré de perdre : le paradoxe Nick Clegg illustre la situation ubuesque de la politique britannique.
A quelques jours des élections législatives en Grande-Bretagne, l’heure de vérité approche pour le patron des libéraux-démocrates, l’étonnant Nick Clegg. Hier figure effacée du Parlement de Westminster, l’outsider de la course au 10 Downing Street a complètement bouleversé les dernières semaines de campagne, rendant caducs tous les pronostics avant le vote du 6 mai.
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Seule quasi certitude : même si les derniers sondages l’annoncent premier en termes de voix, il ne sera jamais Premier ministre. Seuls le travailliste sortant Gordon Brown, donné troisième, et son rival conservateur David Cameron, en perte de vitesse, peuvent prétendre à ce poste. La faute à un mode de scrutin qui ruine les chances des petits partis. Mais tandis que les alliances se préparent, c’est justement sa défaite annoncée qui fait du jeune Nick Clegg, 43 ans, le politicien le plus populaire du pays.
L’enthousiasme de Clegg subjugue des millions de téléspectateurs
Pour comprendre le paradoxe, il faut remonter au 15 avril, lors du premier débat télévisé “à l’américaine” de l’histoire de la Grande- Bretagne. Réunis à Manchester, les trois candidats s’affrontent sur des questions de politique intérieure. Les Britanniques s’attendent à voir briller Cameron l’ultra-communicant, ou Brown le rusé. Mais le premier est miné par les divisions internes de son parti, dont il ne parvient pas à cacher l’héritage thatchériste, et le second paraît hésitant et fatigué. Une aubaine pour Clegg, dont la sincérité et l’enthousiasme à renvoyer dos à dos les deux partis traditionnels finissent par subjuguer une audience faramineuse.
Le parti Liberal Democrats de Nick Clegg a touché un point sensible. “Il y a en Grande-Bretagne une vraie lassitude vis-à-vis des partis majoritaires”, souligne Agnès Alexandre-Collier, spécialiste de la vie politique britannique et auteur du récent ouvrage Les Habits neufs de David Cameron.
Ce dégoût de la politique traditionnelle trouve donc en Nick Clegg, apôtre d’une troisième voie de centregauche bloquée de facto par le mode de scrutin, une belle allégorie.
Le système bipartite est l’un des pilliers de la Grande-Bretagne
C’est aussi la limite du candidat qui risque d’avoir du mal à transcender son statut de symbole. Son programme politique, profondément libéral et européen, est peu en phase avec la mentalité britannique. Surtout, malgré leur rejet de la politique as usual, les sujets de la reine “restent très attachés à leurs institutions”, rappelle Agnès Alexandre- Collier. Et le système bipartite, “incarné jusque dans l’architecture du Parlement de Westminster”, reste l’un des piliers du pays.
Comment alors transformer l’espace politique outre-Manche ? La réponse pourrait venir de l’après-6 mai. Une majorité absolue étant nécessaire pour gouverner, les libéraux-démocrates seront en position de force pour négocier une alliance. L’une de leurs exigences sera bien sûr la refondation du système électoral.
Cette transformation pourrait déclencher “une tempête politique”, prévient Agnès Alexandre-Collier, et devrait passer par un référendum auquel les Britanniques pourraient bien répondre “non”. Nick Clegg est souvent comparé à Barack Obama par ses supporters. Comme lui, il doit savoir que le changement prend toujours du temps.
Photo : Nick Clegg répond aux questions des étudiants de l’université de South Birmingham, le 27 avril 2010, à Birmingham. Crédit Alex Folkes
Les Habits Neufs de David Cameron, Agnès Alexandre-Collier, Presses de Sciences – Po.
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