Ils débarquent. Avec des idées, des désirs. Des frustrations et des revendications. Tout l’été, nous dresserons le portrait des moins de 30 ans qui feront demain. Aujourd’hui : Marie Richeux, qui anime depuis quatre ans l’émission « Pas la peine de crier » sur France Culture et revient cette année – même lieu, même heure, mais nouveau titre (so next-gen) : « Les nouvelles vagues »
Elle a 29 ans et s’entretient quotidiennement avec des intellos haut de gamme sur France Culture. Et pourtant, de son propre aveu, dans sa prime jeunesse : « Je n’écoutais pas la radio mais j’étais gaga de télé. Gavée de toutes les séries AB Productions qui passaient entre 16h et 19h30. Le miel et les abeilles, Hélène et les garçons, Les filles d’à côté. Vraiment fat quoi. » Et aussi : « Je n’ai quasiment pas lu jusqu’à 20 ans. Je n’avais pas encore trouvé la porte d’entrée. »
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À l’origine, quand même, il y a la passion des mots entendus. Aujourd’hui encore, avec le dictaphone de son portable, Marie les capture partout : « Dans les taxis, les commerces, en voyage… Enregistrer la voix des humains, c’est quelque chose d’une émotion insondable. C’est brûlant. Le son d’une rivière, ça m’intéresse aussi, mais je préfère le babil de l’enfant qui joue avec les cailloux. » Elle archive, elle collectionne les voix. Mais elle est incapable d’écouter… la sienne : « Je ne peux pas. Notre image, on apprend à l’apprivoiser depuis tout petit – grâce aux miroirs, aux photos. Mais aux réunions de familles, personne ne va te dire : hé, écoute ta voix. Quand je m’écoute, je m’entends trop. » Marc Voinchet, l’animateur des Matins de France Culture, dit pourtant : « Marie, c’est une des plus belles voix de la radio. »
Pas la peine de crier
Depuis quatre ans, elle anime « Pas la peine de crier » sur France Culture. Chaque semaine, elle explore un thème à travers cinq émissions. De 16 à 17h, elle s’entretient avec un intellectuel, un artiste ou un scientifique, elle lit et fait lire des textes et des poèmes. Cette année, l’émission a été légèrement repensée. « On a voulu clarifier la proposition, enlever des modules qui brouillaient sa lisibilité », explique Sandrine Treiner, directrice adjointe en charge des programmes. « Pas la peine de crier » devient « Les nouvelles vagues », une émission « qui s’intéresse au monde qui vient », recentrée autour de l’entretien.
Marie précise : elle n’a pas choisi le titre. « Je suis en train de m’y habituer… Pas la peine de crier, c’était pour moi un manifeste, une façon de faire de la radio. Après, rien ne m’empêche de continuer, même si le nom change. L’important, c’est l’espace de liberté et de réflexion, tel qu’on le bidouille, qu’on le fabrique au jour le jour. » Elle lève les yeux au ciel : « Le reste, ce sont des histoires de com’, pas mes affaires. » Sandrine Treiner sourit : « J’aime sa résistance, la manière dont elle ne se laisse pas faire. » Marie Richeux s’impose sans crier. Marc Voinchet : « Elle est extrêmement déterminée. Elle poursuit un truc très personnel. »
La porte d’entrée
Elle est née à Barbès, a grandi à Meudon, entre la forêt et les immeubles. Souvenirs de « crapahutages dans les bois ». Souvenirs « d’échappées bretonnes », tous les week-ends, les étés : « Le cap Fréhel… c’est chez moi. » Il y a la musique. Elle adore chanter ; le petit frère deviendra guitariste de jazz. La littérature, pas encore, mais l’écriture, oui, déjà : « L’endroit de la liberté. Une feuille, un crayon. » Il y a l’école : « L’impression d’y passer trop de temps. » Elle est excellente élève. Bac scientifique. Et après ? « Je ne voulais pas choisir. » Souvenirs de « déambulations désespérées », au Salon de l’Etudiant : « J’en pleurais, je pensais que j’allais être super malheureuse. » Rendez-vous chez la conseillère d’orientation : « Je feuillette le classeur des formations, je tombe sur ‘médiation culturelle’, avec des titres de cours comme ‘histoire des mythes’ ou ‘économie de la culture’… Je me dis, putain, génial. » Elle embarque pour une licence à la Sorbonne, pose ses valises dans le 13ème. Elle trouve la porte d’entrée : « à 20 ans, un jour, voilà, on m’a passé le bon livre. La vie matérielle, de Duras. Puis La pluie d’été. Wow. Duras, dans sa façon d’écrire, elle te débouche un truc. C’est comme si quelqu’un disait : ouvre cette porte. Et là tu réalises qu’il y avait quatre pièces supplémentaires dans ton appart. »
La maison
Elle fait un stage à France Culture, « petite main », assistante pour une émission estivale. Elle se découvre une maison : « J’étais Boucle d’Or. Impressionnée par ce monde que je ne connaissais pas du tout – pas tant le monde médiatique que le monde du savoir. Moi j’avais 19 ans et c’était une galaxie étrangère, pour laquelle je me suis découvert un appétit dévorant. » Elle continue les études mais revient régulièrement à la radio, confectionne des créations sonores, des docus. Jean Lebrun, pilier de France Culture, dénicheur de talents, lui fait passer un essai. Transformé. Marie : « Ils m’ont mis à l’antenne alors que j’étais tout à fait inconnue. Une quotidienne en plus, en direct. J’avais peur, et Jean Lebrun m’a dit, je me souviens de ses mots : vous ferez œuvre de chaque jour. » Quatre ans plus tard, la direction mise toujours sur elle. Plus que jamais. Sandrine Treiner : « L’avenir, pour Marie ? Les Matins. Peut-être pas le prochain coup, mais celui d’après. » Marie : « La matinale d’une radio, c’est un endroit de pouvoir, et donc de contrainte, qui ne m’intéresse pas vraiment pour l’instant. Mais c’est aussi un lieu de contrepouvoir, de critique, de transmission de la pensée… Prendre part à la vie démocratique, oui, ça, ça m’intéresse. » Ses ambitions sont collectives, elle porte une vraie vision de la démocratie, de la société, elle dit :
« Pour moi, si démocratie il y a, alors la loi, c’est moi, c’est nous. La police, c’est nous. La guerre qu’on fait ou qu’on ne fait pas, c’est nous, c’est moi. Les gens qui dorment dehors, c’est moi. Le score du FN, c’est moi. Je ne vais pas dire : au vu du succès du FN, je vais quitter ce pays pourri, puisque ce pays, c’est moi. J’y suis investie. Je suis concernée. »
Chez elle, il n’y a plus de télé, mais beaucoup de livres. Elle va avoir trente ans. Elle dit : « Je me sens proche de ma génération. Nous sommes à un âge où l’on a fait la part des choses entre ce qui nous vient d’avant, l’éducation, la famille, et ce que nous sommes en train d’agglomérer autour. C’est grisant. On a un peu de bagage, quelques outils en main… et vachement d’espace devant. » Et ça, même si c’est pas la peine, on a envie de le crier.
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