Ils débarquent. Avec des idées, des désirs. Des frustrations et des revendications. Ils ont entre 15 et 30 ans, ils réfléchissent, proposent, agissent. Tout l’été, nous dresserons le portrait des moins de 30 ans qui feront demain. Aujourd’hui : Aurélie Casse, 27 ans, journaliste.
Elle voulait une rue à son nom, rien que ça. Nous sommes en 1992 et Aurélie, six ans, vient d’apprendre à lire. Dans la voiture avec maman, elle traverse la rue Victor Hugo, et comme elle trouve ça vraiment classe d’avoir une rue à son nom, elle aussi veut devenir écrivain et poète. 22 ans plus tard, Aurélie Casse est journaliste. Et c’est déjà pas mal. Rentrée en stage sur la chaîne d’info continue LCI en 2010, elle vient de prendre du galon. Elle présente désormais les journaux de la tranche du soir, tous les week-ends, en remplacement d’Erika Moulet, la journaliste à frange qui a préféré s’essayer au divertissement sur NRJ12. Aurélie est ravie : journaliste, c’était aussi un rêve d’enfant.
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L’effet papillon
« Petite fille, j’ai réalisé que les romans, c’était quand même compliqué. Être journaliste, c’était toujours écrire, mais sur des formats plus courts, plus accessibles. » La jeune fille donne corps à ses envies avec les moyens du bord : elle fabrique son propre journal, Hello, qu’elle troque à ses proches contre des bonbecs :
« Je m’impliquais à fond, je faisais des dossiers sur l’Egypte, des mots croisés… Après, j’ai commencé à enregistrer des journaux sur cassette, j’obligeais mon petit frère à participer, il faisait la météo… »
Ses parents laissent faire, mais à l’heure du bac, ils tempèrent ses ardeurs. Elle est bonne en maths, donc ce sera bac scientifique, pas littéraire. Elle est excellente élève donc ce sera prépa HEC, suivi d’un master 1 de droit privé. Journaliste, métier de rêveur… La jeune femme suit le mouvement, mais garde sa petite idée en tête. « J’écrivais pour moi, pour ne pas renoncer. J’ai créé un blog : je faisais des interviews, des portraits. J’ai quand même réussi à interviewer Claudia Cardinale, une de mes idoles, je n’oublierai jamais ce moment. » Lors d’une soirée en club, elle rencontre le journaliste Victor Robert. Ils discutent. Aurélie se souvient : « La façon dont il parlait de son métier… » Lui aussi se souvient : « Il était tard hein… Mais j’ai quand même réussi à déceler une sacrée motivation, de l’envie, un profond intérêt pour la profession. » Les numéros s’échangent. Aurélie recontacte et obtient un stage au sein de la rédaction de L’effet Papillon. Victor Robert :
« Pour se faire remarquer lors d’un stage, il faut trouver le bon équilibre. Aurélie avait toutes les qualités : elle savait être d’une discrétion absolue mais aussi prendre des initiatives, elle était extrêmement bien élevée, bosseuse. »
« C’est à LCI que j’ai appris à tout faire »
Aurélie laisse tomber le droit. Cette fois, c’est journaliste ou rien. « Je rêvais d’apprendre sur le terrain, de faire des reportages… Mais on m’a dit que les autodidactes, c’était fini. » Elle passe donc un an dans une école de journalisme privée, l’ISFJ. Elle qui voulait écrire se laisse finalement tenter par la télé : elle fait son stage de fin d’études à LCI.
« C’est vraiment là-bas que j’ai appris à tout faire, plus encore qu’à l’école. A LCI, les stagiaires touchent à tout. On commence par faire de petites choses, mais si on les fait bien, on peut vite évoluer. »
Aurélie cale les invités, travaille en régie, apprend à commenter des images, à poser sa voix. Laurent Drezner, alors directeur de la rédaction, la repère : « Une fille carrée, la caboche pleine et le sens de la démerde. » Il la pousse à passer le casting d’été organisé par la maison, toujours à la recherche de nouveaux présentateurs. Aurélie se lance, « je l’ai pris comme un jeu » – un peu stressée quand même. Laurent Drezner est séduit : « Elle avait une bonne diction. Une prestance, une sobriété élégante. Tout n’était pas bon mais elle dégageait quelque chose. » Bingo, elle est prise. Les remplacements s’enchaînent et Aurélie se prend au jeu : « J’aime le hard-news, l’adrénaline de la dépêche qui peut tomber à tout moment. » Elle choisit de ne pas utiliser de prompteur, pour gagner en naturel, parler directement au téléspectateur et laisser une place à l’improvisation. « J’ai vite compris que ce n’était pas grave de bafouiller. L’important, c’est d’être soi. »
Un souffle nouveau
Mais peut-on vraiment être soi dans ces grosse machines que sont devenues les chaînes d’info en continu ? Laurent Drezner constate une certaine évolution du métier :
« Les parcours sont inversés. On voit de très jeunes gens propulsés en présentation sans avoir touché à l’école du terrain. Il faut prendre garde à ne pas tourner en boucle, à ne pas s’enfermer, car l’exercice est répétitif et peut s’avérer usant. »
Même mise en garde du côté de Victor Robert : « Le risque couru par cette nouvelle génération, c’est le formatage. Faire de l’antenne c’est bien, mais attention à ne pas devenir un animal de télévision, à ne pas oublier le fond. » Aurélie réfléchit : « Il faut se méfier bien sûr. Le risque, c’est l’uniformisation, la mécanisation, les tics : même voix, même ton, même écriture. C’est difficile de sortir du lot, de faire émerger sa personnalité. Il faut à la fois savoir s’emparer des codes et être capable de les détourner. »
Si elle n’a pas encore tâté le terrain, si elle ne s’est pas essayée au reportage, elle rappelle que sa génération a une autre arme en main, une autre ressource, un autre espace à explorer : les réseaux sociaux.
« Les réseaux, c’est un souffle nouveau, et notre force c’est de savoir les utiliser. Nous sommes le chaînon entre Internet et les gens. Notre rôle, c’est de faire le tri, de clarifier, d’expliquer. Au fond, le métier reste le même : raconter des histoires, avec le souci des faits. Quant au terrain, je ne m’interdis pas d’en faire demain. »
Pour l’avenir, Laurent Drezner lui donne un conseil : « Être patiente. Elle gagne en visibilité. Si elle reste professionnelle et motivée, elle sera repérée, on lui fera des propositions… » Contrairement à sa consœur Erika Moulet, Aurélie Casse ne se verrait pas pour autant faire passer le bac aux people sur NRJ12 : « Erika a l’air très heureuse dans ce choix du divertissement. Moi, franchement, non, ça ne m’attire pas. » Par contre, elle n’a pas oublié Victor Hugo : la culture l’attire toujours. Amoureuse du grand cinéma italien, elle se verrait bien croiser un jour la route de Sophia Loren… Et le journal de 20h, à ses yeux, reste « un rendez-vous incontournable pour ceux qui aiment l’info : la grand-messe. » Elle admire les parcours de Gilles Bouleau et de David Pujadas (deux ex de LCI, tiens). Elle adorerait interviewer Hillary Clinton. Elle dit : « Mon rêve de petite fille, c’était d’être journaliste : je le suis. J’avance pas à pas. Je ne m’interdis rien. » Elle a 27 ans. Pourquoi pas, qui sait, un jour, un 20h à son nom… Encore plus classe qu’une rue « Aurélie Casse ».
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