Le Fashion Institute of Technology rend hommage aux stylistes noirs encore aujourd’hui trop minoritaires, dont l’influence sur l’histoire de la mode fut majeure. Une rétrospective exceptionnelle, qui ne devrait plus l’être…
C’est probablement l’une des pièces les plus rutilantes de l’exposition Black Fashion Designers, dessinée par l’Américain CD Greene. La célèbre “mirror dress” portée par Tina Turner à la fin des années 90 marque l’ascension des“designer des tapis rouges”, spécialisés dans les gowns (robes de bal). Un vestiaire de divas réservé à une clientèle restreinte et huppée, adepte des séances shopping chez Bergdorf Goodman.
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En mélangeant les genres et les styles, la rétrospective du Fashion Institute of Technology démontre que les créateurs noirs ont largement compté dans l’histoire de la mode. Des couturiers s’adressant à un spectre très large, tantôt classique ou avant-gardiste, destiné aussi bien à l’élite qu’aux classes populaires. Ils choisissent ou non de revendiquer leurs racines et de s’en inspirer, mais le talent et les prouesses techniques de chacun d’entre eux sont avant tout mis en avant. Plus de 75 créations de 60 stylistes constituent cette riche rétrospective, des années 50 à nos jours, qui s’articule en 8 parties différentes, allant des influences africaines à l’activisme en passant par les tenues de soirées ou le street style.
Des débuts difficiles à l’âge d’or
A la fin des années 50 malmenées par un climat fortement ségrégationniste, on répète systématiquement aux stylistes noirs en herbe que leur avenir est inexistant. Arthur Mc Gee parvint néanmoins à contredire cette destinée et devint le premier créateur de couleur à conquérir les empires de la consommation haute gamme comme Saks Fith Avenue, Bloomingdales ou Henri Bendel. Il ne tarda pas à trouver des habitués célèbres, comme Stevie Wonder.
Les années 70 mettent cependant en lumière ces minorités des podiums, devenus soudainement sensationnelles aux yeux du public. Stephen Burrows, star des looks années disco, électrise de ses collections colorées tout le gratin de “Fun City” (surnom de New York durant cette période). Fan de mambo, il imagine les tenues de ses partenaires de danse et travaille avec Andy Warhol.
Cette étrange époque est également marquée par l’une des performances les plus incroyables qui célébra la diversité dans le monde codifié de la couture: la “bataille de Versailles” de 1973 qui eut lieu dans le palais du même nom, où s’affrontaient des habitués des podiums français et américains à coup de tenues audacieuses.
De nombreux invités prestigieux comme Grace Kelly, Andy Warhol ou Liza Minnelli assistèrent à cet affrontement surréaliste, qui bouleversa l’industrie de la mode outre-Atlantique. Les Américains ont d’ailleurs remporté cette “compétition”, en faisant défiler pour l’occasion 11 mannequins noirs, preuve d’un incontestable esprit d’avant-gardisme. Face à Yves Saint Laurent, Pierre Cardin, Emmanuel Ungaro et Christian Dior étaient présents Oscar de la Renta, Halston, Bill Blass, Anne Klein… et Stephen Burrows.
Les années 80 ont également eu leur lot de révélations, comme Barrie Scott, Patrick Kelly ou Willi Smith. Tout en s’occupant du dress code du Palace à Paris, le second réalisait ses propres créations qu’il proposait chez lui en cuisinant du poulet pour ses potentiels acheteurs. Repéré à 18 ans par Pierre Bergé, Kelly fut le premier Américain de couleur à intégrer la vénérable Chambre syndicale du prêt-à-porter des couturiers et des créateurs de mode.
Willi Smith marqua quant à lui la culture populaire en dessinant les vêtements du film School Daze de Spike Lee. Rapidement décimés par le sida, Kelly et Smith eurent chacun des existences tragiques et fulgurantes, symptomatiques d’une époque euphorique brutalement détruite.
Des créateurs sans couleur
Si de nouveaux noms s’imposent aujourd’hui et gagnent en notoriété comme Duro Olowu, Shayne Olivier ou Kerby Jean-Raymond de la marque Pyer Moss, ils restent nettement moins médiatisés que leurs homologues occidentaux ou asiatiques. Plusieurs d’entre eux intègrent une part activiste dans leur travail ou s’inspirent de références ethniques, d’autres sont avant tout des “créateurs sans couleur”, brillant aux commandes de leur propre label ou d’une maison en manque de modernité.
Les mannequins noirs sont par contre bien plus présents sur les podiums ces dernières années et font plus souvent la couverture des magazines, même si leur présence reste une éternelle figure d’exception.
Exposition Black Fashion Designers, au FIT de New-York jusqu’au 16 mai 2017
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