A New York, la Commission municipale de la santé s’est prononcée ce jeudi en faveur de l’interdiction à la vente des sodas de plus de 47 cL dans les lieux publics de la ville, malgré la campagne de lutte contre le projet menée par les industriels. Retour sur un été de lobbying pro-sodas.
Les jours du méga soda à l’américaine sont comptés. La Commission de la santé de la ville de New York a voté ce jeudi l’interdiction, dans les cinémas, snacks et restaurants de la ville, de la vente de soda dans des contenants de plus d’un demi-litre. Cette décision intervient après plus de trois mois de bataille acharnée entre le maire de New York, Michael Bloomberg, et les lobbies pro-sodas, et devrait entrer en vigueur en mars 2013. Les membres de la commission étant nommés par le maire, les lobbies avaient peu de chance de l’emporter.
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Michael Bloomberg n’en est pas à son premier coup d’essai : en 2010 il avait tenté de faire interdire l’achat de sodas aux bénéficiaires des coupons d’alimentation distribués par l’Etat, puis de taxer les sodas en fonction de leur taux de sucre. Sans succès. Le 30 mai dernier, l’élu enfourche donc un vieux cheval de bataille en déclarant la guerre aux sodas XXL. A New York, plus de la moitié des adultes et 40 % des enfants sont obèses ou en surpoids et 5 800 New Yorkais en meurent chaque année, selon la mairie. Avec Bloomberg aux manettes, la ville a lancé pas moins de cinq campagnes de sensibilisation ces trois dernières années.
« L’obésité est un problème national et partout aux États-Unis les autorités de santé se désespèrent – “Oh, c’est vraiment terrible” – mais n’agissent pas, déclarait Michael Bloomberg lors d’une conférence de presse en mai dernier. A New York, il ne s’agit pas de brasser du vent, mais de prendre les choses en main. C’est ce que les citoyens attendent de nous. »
Pas si sûr. Début juin, 53 % des New Yorkais se disent hostiles à la proposition du maire, contre 42 % qui trouvent que l’idée est bonne, selon un sondage commandé par la chaîne d’informations locale NY1. 52 % pensent que la mesure ne sera pas efficace pour lutter contre l’obésité. Un été et beaucoup de lobbying plus tard, six habitants sur dix estiment que la stratégie du maire est une mauvaise idée, selon un sondage du New York Times.
Freedom vs Obesity
Le sujet peut paraître trivial. Mais outre-Atlantique, il en va des tailles de gobelets en carton comme des libertés individuelles : don’t touch it ! Et vous pouvez compter sur les lobbies des industriels pour monter au front (ils sont très attachés aux libertés individuelles). Dès le lendemain de l’annonce du maire, un porte-parole de l’American Beverage Association (ABA), qui représente l’industrie du soda, lance la contre-attaque :
« La ville de New York nourrit une obsession malsaine pour les attaques contre les boissons gazeuses. Il est temps pour les professionnels de santé de passer à autre chose et de chercher des solutions qui vont vraiment lutter contre l’obésité. Ces mesures détournent juste l’attention du difficile travail qui doit être fait sur ce terrain. »
Dans la foulée, le puissant lobby s’offre une campagne publicitaire d’envergure et travaille le quidam à coups de spots télévisés et d’affiches dans le métro. Il compte aussi sur son site Let’s clear it up pour démonter le discours de Bloomberg, qui insiste sur la corrélation entre obésité et taux de sucre dans les sodas.
http://vimeo.com/36143201
Le 2 juin, le centre pour la liberté des consommateurs renchérit avec une publicité publiée dans le New York Times, représentant le maire sous les traits de « Nanny Bloomberg » – surnom donné par ses opposants, qui l’accuse d’ingérence dans la vie des New Yorkais – avec ce slogan : « New York a besoin d’un maire, pas d’une nounou. »
La mairie riposte quelques jours plus tard, avec la parution dans le quotidien gratuit Metro d’une pleine page montrant un gobelet de soda de 94 cL et son équivalent calorique en sachets de sucre. « Votre enfant vient de manger 26 sachets de sucre« , souligne la légende, évoquant les risques de diabète et de maladie cardiaque. Mais deux pages plus loin, une lettre ouverte adressée au maire de New York réprouve le projet de réglementation. Elle est signée Daniel Birnbaum, PDG de Sodastream, leader mondial de la gazéification à domicile, qui en profite pour vanter les mérites de la production de soda à la maison. « Laissons les gens choisir » conclut Birnbaum. Le ton est donné : l’enjeu, ce n’est plus l’obésité, mais la sacro-sainte liberté.
Lobbies en campagne
Très vite, les propriétaires de restaurants, snacks et autres buvettes forment une coalition nommée « New Yorkers for Beverage Choices » (Les New Yorkais pour le choix de boire) – et financée par l’ABA. Le nombre de membres augmente rapidement : ils sont plus de 2 000 début septembre, et quelques 253 000 particuliers les soutiennent. Pétitions à la main, les revendeurs de sodas quadrillent les rues de New York tout l’été pour sensibiliser les passants.
Le 23 juillet, plus de 300 membres se rassemblent devant la mairie de New York. « Je choisis moi-même ce que je bois« , « Je ne bois pas de soda, mais je crois en la liberté« , disent les pancartes et les tee-shirts. Les lobbyistes se succèdent à la tribune. « Nous ne voulons pas du 50 cL ! » lance Robert Sunshine, porte-parole des exploitants des salles de cinéma, rappelant qu’au cinéma les consommateurs choisissent souvent des gobelets d’un litre et demi. « Qui veut aller au cinéma avec des petits verres ? » ajoute-t-il sous les hourras.
Les « New Yorkers for Beverage Choices » se paient enfin un spot radio, diffusé début juillet. « C’est New-York, ici ; personne ne nous dit où on doit vivre ou quelle équipe supporter. Est-ce qu’on va laisser notre maire nous dire quelle taille de boisson acheter ? » s’interroge un New Yorkais dans le spot. « Si on laisse passer ça, jusqu’où ça ira ? » renchérit un autre. Si l’American Beverage Association n’a pas souhaité communiquer le coût de cette campagne d’envergure – qui s’élèverait à plus d’un million de dollars selon le New York Times, elle se dit « prête à utiliser toutes les ressources nécessaires« , selon son porte-parole Eliot Hoff.
Coca Cola monte au créneau
Coca-Cola n’allait pas rester les bras croisés à regarder ses revenus diminuer en même temps que la taille des gobelets new-yorkais. C’est Katie Bayne, PDG de Coca-Cola Amérique du Nord, qui monte au créneau, début juin. Dans un discours de com’ parfaitement maîtrisé, elle explique à USA Today que, oui, le maire de New York a raison de dire que l’obésité est un problème critique aux Etats-Unis, mais que, non, s’en prendre aux sodas ne réglera pas le problème. Et d’arguer qu’elle-même et son fils se gavent de sodas toute la journée.
« Je peux prendre un Coca light quand je prépare le petit déjeuner, un Powerade zero quand je vais faire mon jogging, raconte-t-elle. Au travail, je m’accorde un Coca light dans la matinée et l’après-midi, un thé glacé. Et pour le goûter, une canette de Coca. Je préfère cela à une barre chocolatée ou à un cookie. »
« Les ados devraient bénéficier d’un régime alimentaire sain, avec la possibilité de choisir leurs aliments et boissons tout au long de la journée« , ajoute-t-elle. Et enfin, point culminant de la démonstration : « il n’existe aucune preuve scientifique qui relie les boissons sucrées à l’obésité. » Puisqu’on vous dit que c’est bon pour la santé !
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