Depuis 1981, date de son premier défilé parisien, Rei Kawakubo n’a de cesse de bousculer l’industrie de la mode et l’idée même du vêtement. Le MET consacre à cette créatrice silencieuse et cérébrale, qui fascine autant qu’elle déroute, une exposition jusqu’au 4 septembre 2017.
Pendant cinq mois, le Metropolitan Museum of Art de New York célèbre le travail de la créatrice japonaise Rei Kawakubo. C’est seulement la deuxième fois, après Yves Saint-Laurent, qu’un créateur y est exposé de son vivant. Si le choix peut sembler étonnant, Rei Kawakubo, esprit créatif hors normes, mérite indéniablement sa place entre les murs des musées.
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Une vision radicale
A son arrivée à Paris, au début des années 80, Rei Kawakubo s’immisce parmi cette jeune création française qui imagine une mode flamboyante et colorée. Mugler, Montana, Gaultier, font rimer leurs créations avec audace et hédonisme. Personne ne s’attend au séisme que la styliste japonaise va déclencher au sein de cette industrie. Les premières pièces qu’elle présente sont déconstruites, déchirées, rapiécées. Les ourlets bruts. Et surtout, l’ensemble est d’un noir profond. Devant ce spectacle, certains sont outrés, perplexes, d’autres l’accusent de provocation gratuite, mais une chose est sure : les médias se bousculent pour assister à ses défilés. Rei Kawakubo se rit des conventions et codes occidentaux, et n’a de cesse de questionner les standards de beauté. Ses vêtements déforment les corps, les dissimulent, les prive parfois leur dimension humaine. L’exposition rassemble 140 de ces créations qui ont défrayé la chronique.
© The Metropolitan Museum of Art
La créatrice a demandé à Thierry Dreyfus, célèbre artiste et scénographe ayant collaboré avec Yves Saint Laurent, Helmut Lang, Raf Simons ou Margiela pour ne citer qu’eux, de mettre en lumière ces pièces si particulières. S’il refuse d’être mis en avant, il discute volontiers de celle qu’il qualifie de grande dame de la mode comme il en reste peu. « La scénographie c’est Rei qui l’a faite, s’exclame-t-il. Si je travaille pour les autres, je veux une totale opacité sur moi en tant que concepteur. Dans ce cas-là, il n’y a pas de direction artistique autre que celle de Rei. C’est son travail et sa vision. Elle m’a simplement dit deux choses : les gens sont aussi importants que mon travail et je ne veux pas d’ombres. » Thierry Dreyfus explique avoir tout pensé « à travers elle« .
Une exposition avec supplément d’âme
« On peut, poursuit-il, si on veut, éclairer un vêtement de Rei Kawakubo comme une sculpture de Giacometti ou de Henry Moore. Mais ce n’est pas l’esprit de la dame, déjà. Et puis ce n’est pas une sculpture, ce n’est pas une œuvre d’art, c’est de la couture. » Pourtant, Thierry Dreyfus explique qu’il n’a pas même jeté un œil à la sélection des pièces qui allaient être exposées avant d’entamer son travail.
« Mais peu importe ! Il y a la marque, l’ADN, et encore ADN est un mot sec, je veux dire une âme, et le plus important, une générosité dans son travail.«
C’est cet ensemble, ce tout, qui constitue le paysage dans lequel l’œuvre va être présentée. Chacun a son monde, son esthétique, sa volonté, sa fragilité, ses peurs. C’est tout cela que le scénographe prend en main, embrasse. Une histoire d’instinct et de sincérité, selon lui. « Il y a certaines choses qui doivent se faire avec légèreté, sinon ça perd en magie« .
© The Metropolitan Museum of Art
« Cette exposition c’est un statement. On a voulu donner un coup de poing dans le ventre aux gens qui rentrent dans cette salle blanche, totalement et absolument blanche avec ces 340 tubes qui sont organisés comme une portée musicale, avec toutes ces formes arrondies et cubiques, et qu’ils se promènent comme dans une ville, à l’intérieur du MET. Et ça, ce n’est pas une exposition où la forme de la robe a une importance.«
Dans les salles du musée dédiées à l’exposition, ni musique, ni texte. « Rien qui ne fasse appel directement à votre tête. Ça permet de vivre le moment pleinement« . Les designs de Rei Kawakubo pour Comme des Garçons, datant du début des années 80 à sa dernière collection, sont organisés en neuf thèmes antagoniques : absence et présence, soi et autre…
« Implacable« , c’est le qualificatif qu’a employé Alber Elbaz, créateur et ex-directeur artistique de la maison Lanvin, à sa sortie du MET, pour définir l’exposition. « C’est vrai que c’est sans concessions, il n’y a pas de concessions avec Rei« . Elle et son équipe évoluent dans une bulle qui est totalement détachée de toute nécessité marketing de répondre à une demande. « Ce n’est sans doute pas impeccable, difficile d’atteindre l’impeccable, et je crois que d’ailleurs il vaut mieux quelque chose d’abimé que quelque chose d’impeccable. Mais c’est implacable : il y a des gens qui n’aiment pas. C’est bien. » A l’image de cette créatrice qui depuis ses débuts, divise et dérange. Mais déranger c’est déjà faire ressentir.
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