Six mois avant la mort du King of Pop, le photographe Henry Leutwyler se livre à une séance photo étrangement prémonitoire. Une gigantesque vente aux enchère vide Neverland, le domaine de Michael Jackson, pour pallier à la ruine financière du chanteur. Le photographe immortalise chaque objet mis en vente, des extravagantes tenues de scène aux possessions […]
Six mois avant la mort du King of Pop, le photographe Henry Leutwyler se livre à une séance photo étrangement prémonitoire. Une gigantesque vente aux enchère vide Neverland, le domaine de Michael Jackson, pour pallier à la ruine financière du chanteur. Le photographe immortalise chaque objet mis en vente, des extravagantes tenues de scène aux possessions les plus personnelles, dans un livre, Neverland Lost (Steidl, 2010). A l’occasion de l’exposition de ses clichés chez Colette, le photographe raconte son expérience.
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Quel était le point de départ du projet?
J’étais en reportage sur le trafic d’armes venant d’Amérique du sud, et j’ai visité une sorte de bunker sous-terrain où étaient conservées toutes les armes confisquées par la police avant d’être détruites. En sortant, je trouve une petite coupure de journal entourant un pistolet. On m’informe que j’ai sous les yeux le revolver qui a tué John Lennon. J’ai sauté sur l’occasion pour le prendre en photo, et tout est parti de là. Je me suis dit que tous mes héros étaient inphotographiables de nos jours, la plupart étant décédés. L’unique moyen de le faire, c’était à travers leurs objets. J’ai donc commencé à rechercher les objets de mes héros. En février 2009, la maison d’enchères Julian’s Auctions annonce une gigantesque vente des objets ayant appartenu à Michael Jackson, et je propose au magazine Portfolio de photographier son mythique gant blanc. Neverland, le domaine de Michael, avait été entièrement vidé – mêmes les portes ont été démantelées – et tous les objets ont été sortis, numérotés, catalogués, estimés. Je suis parti avec mes assistants de New York à Los Angeles, et on a photographié le gant blanc, puis un deuxième gant, et un troisième gant. On nous avait donné une heure ou deux, on est restés quatre jours. On y est retourné par la suite, et une fois qu’on avait tout bouclé, que j’ouvrais mon ordinateur de retour à l’hôtel, la nouvelle est tombée : la vente aux enchères était annulée. J’ai tout de même fait un portfolio d’une dizaine de photos, mais je n’envisageais absolument pas d’en faire un livre. Plus de six mois plus tard, je montrais les photos sur mon iPhone à mon ami le photographe Robert Polidori, qui a contacté Steidl. Et trois mois plus tard, le livre sortait.
Vous êtes spécialiste du portrait. A leur façon, les objets raconteraient un personnage?
Michael a été photographié un million de fois depuis tout petit, mais personne n’a jamais fait son portrait à travers ses objets. Si vous les regardez de près, les objets parlent. Je trouve d’ailleurs qu’une nature morte bien faite reflète bien mieux l’être humain qu’un portrait traditionnel. Surout qu’avec la coiffure, le maquillage, Photoshop, vous arrivez rarement à avoir une vraie photo. Là, il y a les tâches de transpiration, la rouille… Ça vit quoi. Je l’avais déjà fait pour mon livre sur Elvis, et je le poursuis avec mon prochain ouvrage sur lequel je travaille depuis onze ans. J’y rassemble les photos d’objets de personnages mythiques : les lunettes de Gandhi, le pinceau de Warhol, la guitare de Prince, le révolver qui a tué Lennon… Pour moi, c’est la suite logique du photographe portraitiste : faire le portrait de quelqu’un à travers l’objet. Et je crois qu’il faut partager tout ça avec les gens qui ont peut-être moins de chance que nous, à qui on livre une autre vision de l’artiste, une autre qualité. Avec ces photos des objets de Michael, on voit à quel point il aimait la mise en scène, la glorification – il s’est érigé en légende. Les dorures, les peintures, les costumes extravagants, toutes ces paillettes… Il a lui-même créé le mythe du King of Pop.
Quelle était votre réaction quand avez découvert la pièce où étaient entreposés les objets de Michael?
C’était un hangar ! Deux hangars énormes, et des conteneurs en plus, dans le Dowtown Los Angeles, d’une hauteur de plafond de plus de 30 mètres. J’ai pris en photo les portes de Neverland, les fontaines, les meubles, les tableaux… tout. Je crois que l’importance du projet, c’est de garder une histoire en images d’une vie qui était privée. Aujourd’hui, il n’est pas certain qu’il va y avoir un musée, que les objets vont rester groupés… Quand on a commencé à réfléchir sur le livre, c’était pour garder la famille des objets en un recueil, de se dire que si dans 50 ans quelqu’un veut étudier Michael Jackson, il pourra avoir accès à ces photos. Dans 50 ans, le gant blanc ne sera peut-être plus là. J’ai rencontré des gens formidables, j’ai fait des expositions dans le monde entier… La finalité du livre, c’était de célébrer le génie musical qu’a été Michael Jackson.
Avant la vente initiale, les objets de Neverland ont été exposés au public. Les fans de Michael Jackson y sont venus en masse. Avez-vous eu leurs échos sur votre projet?
Quasiment à chaque exposition des fans clubs venaient me voir. L’un des plus enthousiastes était celui de Madrid : on a carrément fait une conférence rien que pour eux, qui a été poursuivie par trois heures de conversation. Au départ, j’appréhendais un peu leur réaction. On ne peut jamais faire plaisir à tout le monde. Mais je n’ai jamais eu un mauvais commentaire de leur part, ils ont toujours soutenu le projet, en étant très curieux et courtois. Le projet avait été photographié de façon respectueuse, j’ai fait ces natures mortes selon la même éthique professionnelle que pour mes portraits : on est là pour rendre les gens beaux et intéressants, et non pas le contraire. Ce n’est pas mon métier de dire « fautif / pas fautif ». C’est un témoignage historique, mené de façon académique. C’est à partir du résultat final que vous portez votre propre jugement.
Pourquoi avoir choisi de réaliser les photos de Neverland Lost sur fond noir, alors que celles de vos autres ouvrages sont sur fond blanc?
Etrangement, je me suis instinctivement dit qu’il fallait faire ces photos sur fond noir. J’ai pensé à l’adage du philosophe japonais Yuichiro Tanizaki, « l’or brille dans la pénombre ». On met toujours le diamant en plein soleil, alors qu’en réalité il va briller d’autant plus dans l’ombre. Je me suis dit, vu ce qu’on est en train de photographier – et vu l’état de Michael à l’époque, qui vivait totalement reclus – on va prendre ça avec le même esprit japonais, et on a choisi les fonds noirs. Six mois plus tard, j’étais à mon bureau à New York, et un ami m’appelle pour m’annoncer que Michael Jackson est mort. Rétrospectivement, les photos ont un côté funéraire. Même si on ne pouvait pas prévoir ce qui allait se passer, il y avait déjà un vrai souci de respect de la mémoire durant cette séance photo.
Parmi toutes les photos de ses costumes de scènes, hauts en couleurs, vous avez choisi de clore votre livre avec la photo de la première édition de Peter Pan. Pourquoi ?
Parce que je pense qu’il vivait un peu comme lui. Quand les enfants grandissent, ils doivent quitter Neverland. C’est un peu ce qui s’est passé. Sur place, mes assistants et moi, on avait le sentiment d’être témoins d’un moment triste. Ce n’était pas une ambiance très joyeuse. Michael a été mis sur le devant de la scène dès ses cinq ans : avec Neverland, il a essayé de recréer une enfance qu’il n’avait pas eue, avec tous ses jouets, le Luna Park, les petites voitures… Quand on prenait tout ça en photo, on se faisait la réflexion que son enfance était en train de lui échapper une seconde fois. La star fait faillite, et on lui retire tout ce qu’il a crée. Je l’avais dit à mes assistant : si ça devait m’arriver, je me suiciderai. Et peu de temps après, il est décédé. Les raisons, on les connaît. Mais peut-être qu’il y avait autre chose. Si on y réfléchit bien, un génie musical qui se retrouve à 50 ans sans un rond, sans maison, sans possessions, c’est quand même dramatique.
Exposition « Neverland Lost : Un Portrait de Michael Jackson » à la boutique Colette jusqu’au 4 octobre
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