Daisy Osakue, une jeune athlète italienne noire, a été agressée cette semaine. Nouvel épisode qui prouve que la situation des noirs en Italie est préoccupante, face à un racisme endémique.
Des agressions racistes multipliées par onze en quatre ans. Trente-trois rien que ces deux derniers mois. En Italie, la situation est explosive. Malgré l’exclusion de ce motif dans l’agression, le 29 juillet de Daisy Osakue, une jeune athlète italienne de l’équipe nationale à reçu un oeuf dans l’oeil, lui provoquant des lésions à la rétine et à la cornée, les chiffres du racisme transalpin sont alarmants.
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Depuis l’arrivée au pouvoir de la ligue du Nord, la parole raciste et xénophobe semble s’être libérée, quasiment encouragée par les discours nauséabonds de Matteo Salvini, le ministre de l’Intérieur .
Mais pour Aly Baba Faye, le racisme est plus profond que la seule Ligue du Nord et lui préexiste largement. Ce militant antiraciste, sénégalo-italien est sociologue de formation. Il a travaillé pendant cinq ans au cabinet du vice-ministre de l’Intérieur sur les questions d’immigration. Pour Les Inrocks, il décrypte ce racisme endémique et quotidien.
Si la victime de cet acte n’avait pas été Daisy Osakue, une athlète de l’équipe nationale italienne, en aurait-on autant entendu parler ?
Aly Baba Faye : Je ne pense pas. On parle là d’une citoyenne italienne à la peau noire, avec une certaine visibilité, dans l’équipe nationale d’athlétisme. C’est un personnage public, c’est ce qui permet cette médiatisation. Mais l’immense majorité des agressions quotidiennes n’émergent pas. Parce qu’il faut bien comprendre que les agressions de ce genre sont quotidiennes.
Le problème c’est le racisme quotidien qu’on rencontre partout, dans le travail, le métro, le bus, dans l’ensemble de l’espace public. Ce racisme là n’est pas rapporté par les médias parce que c’est quasi de la normalité. Il augmente d’année en année.
D’ailleurs, il faut distinguer entre le racisme et la xénophobie. Aujourd’hui, il y a un vrai racisme contre les gens qui ont la peau noir. On ne tue pas les immigrés asiatiques ou des pays de l’Est, pourtant nombreux aussi. En Italie, on tue des Noirs. Il y a une vraie question raciale.
Comment cela se traduit-il au quotidien ?
Ne serait-ce que monter dans un bus en étant noir. On perçoit dans les regards, dans les manières de faire qu’on n’est pas à notre place. Autre chose, on nous tutoie constamment.
Un jeune Italien à la peau noir qui veut travailler de façon saisonnière pendant l’été est quasi-systématiquement refusé. On lui dit qu’on ne veut pas de noirs. Et on lui dit tranquillement ! C’est très grave.
Autre exemple qu’on m’a raconté il y a quelques jours. Un Sénégalo-italien va faire une visite médicale on lui répond : « Ce n’est pas une structure vétérinaire ».
Je ne pense pas que la police italienne soit forcément raciste mais juste cet exemple personnel. J’ai travaillé pendant cinq ans au cabinet du vice-ministre de l’intérieur. Et bien pendant cinq ans, au ministère c’était toujours pareil : « Qu’est-ce que tu fais ? Qu’est-ce que tu veux ? » Ils ne peuvent pas comprendre qu’un noir puisse accéder à ces fonctions ou même au ministère. Pendant cinq ans !
Et on peut continuer comme ça. Tu descends dans n’importe quel aéroport dans ce pays, alors que tu es citoyen italien donc avec un passeport de l’Union européenne, avec la libre circulation. Tu vas là où passent les Européens. Si tu es noir ? On te dit « Non non, va là bas avec les autres ». Ils n’arrivent même pas à penser qu’on peut être italien avec la peau noire. C’est culturel.
Depuis l’arrivée de Matteo Salvini et de la Ligue du Nord au pouvoir, sentez-vous une exacerbation de ce racisme ?
C’est la nouveauté d’aujourd’hui. Il y a un discours politique qui légitime tout ça. Un discours fait d’insultes, de discriminations, de ségrégation. Il y a une grave responsabilité du gouvernement qui fait de la spéculation politique sur le phénomène raciste. C’est ce qui a créé leur consensus pour gouverner. Alors ils l’entretiennent.
Salvini a de vraies responsabilités. Mais ce serait une erreur de dire qu’il est le seul problème. La ligue du Nord et Salvini ont des responsabilités dans ce discours indigne mais ce n’est parce que Salvini s’en va que le racisme va s’en aller avec lui. C’est bien plus profond. Ça existait bien avant lui. C’est transversal. Cela touche toutes les strates de la société. Il y a un processus de dégénération.
Mais lisez les journaux, écoutez la télévision. Le langage est profondément raciste. Ils ne s’en rendent pas compte. Ce pays a un vrai problème avec les gens qui ont la peau noire. Il y a une narration raciste.
Les médias ont leur part de responsabilité. Il y a eu une sous-évaluation du phénomène. Des faits graves étaient relayés dans la rubrique faits-divers des journaux, rapidement en fin des JT ou à la radio. Les médias ont une très grande responsabilité dans le déclenchement des violences anti-immigration en général et anti-noirs en particulier. C’est le fruit d’une narration que les médias ont entretenu depuis plusieurs décennies.
De l’autre côté, il y a les médias sociaux où des gens comme Casabound [une organisation politique nationaliste, ndlr.] sont très présents. Ils contribuent à créer et légitimer le discours contre les noirs.
Au fond, est-ce l’ensemble de la classe politique qui a une responsabilité ?
Tous. Il y a la Ligue du Nord mais pas que. La gauche n’a jamais réellement affronté le racisme. Il n’y a aucune stratégie antiraciste sérieuse. Quand on parle de racisme dans les instances de la gauche, on est taxé de la paranoïa du noir africain. Même dans la représentativité, il y a un problème. Dans les faibles structures qui luttent contre le racisme, il n’y a même pas de noirs. Ou alors ils n’ont jamais de responsabilité.
Il y a des responsabilités des médias, de la classe politique, mais aussi un vrai retard culturel. Il n’y a rien. En faire une question de droite ou de gauche est une erreur. C’est une question nationale. C’est le pays qui est comme ça.
Pourtant, on a toujours appelé la classe politique à des améliorations. Mais il y a des retards d’élaboration. Tous les mouvements qui sont nés en France dans les années 1980, on a tenté de les dédoubler en Italie. Mais ça n’a jamais décollé ici.
Il faut faire une autocritique. Car l’antiracisme n’est pas seulement une réaction d’indignation. Il faut changer les processus, faire des batailles politiques jusque dans l’élaboration des lois.
Comment peut-on expliquer cette absence de mouvement antiraciste en Italie ?
Ce discours ne passe pas. On nous répond que c’est de la victimisation. Il y a un retard culturel sûrement, mais il y a également le manque de conscience. Quand on parle de racisme en Italie, on ne parle pas pour défendre une catégorie. Il n’y a aucun travail qui est fait pour valoriser les gens. Même quand on a eu une ministre noire au gouvernement [Cécile Kyenge, ministre pour l’Intégration, ndlr], elle a été insultée quotidiennement. Dès que ce gouvernement est tombé, il n’y avait plus de noir dans le suivant. C’est une stratégie d’évitement des tensions.
Ça ne les intéresse pas. Il y a un réel problème culturel par rapport à la peau noire en Italie. Ne serait-ce que par rapport au langage. Pour faire peur aux enfants, on leur dit qu’on va appeler « l’homme noir ». Ce dernier est le négatif. Cela dure depuis des siècles. Il y a un vrai processus de déshumanisation des noirs en Italie.
Et quand ils veulent faire des choses, ils le font de manière folklorique. Au lieu de faire appel à des Italiens noirs, ils font appel à des personnes nouvellement arrivées, qui ne parlent pas bien Italien. Cela rajoute à tous ces préjugés. On ne donne pas d’espace aux Italiens qui ont la peau noire.
C’est trop facile de dire que c’est uniquement Salvini le problème. C’est beaucoup plus profond. C’est dans la culture italienne. C’est ancré. Il faut travailler sur des générations. Il faut une vraie intégration, une représentation. Cherchez des noirs qui travaillent dans la télévision publique ? Il n’y en a pas.
Y-a-t-il néanmoins une amélioration à espérer ?
Non. Je suis peut-être pessimiste, mais je crois qu’il y a une crise profonde. Je me demande même si on n’était pas mieux il y a quelques années. Il y a un peu d’indignation, un peu de protestation. Quelques manifestations. Mais il n’y a pas de stratégie de fond. Il n’y a pas d’instance pour élaborer une réponse ou ne serait-ce qu’observer la réalité.
Et parallèlement, les réactions antiracistes sont très sporadiques. Cela apparaît le temps d’une action indignée parce qu’un noir a été tué et puis voilà. Quant au mouvement antiraciste, nous n’avons réussi aucune conquête législative ou de quelconques mécanismes normatifs qui permettraient une discrimination positive par exemple.
La question du racisme n’a jamais été mise à l’agenda politique. Parce que cela ne donne de voix à personne. Personne n’a eu le courage de dire « Voilà, l’Italie est devenu un pays cosmopolite ». Or aujourd’hui, c’est une réalité. Le racisme n’est pas seulement le problème des noirs, c’est le problème de toute la société italienne.
Propos recueillis par Pierre Bafoil
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