Et si l’heure était à un nouveau socialisme alliant urgences écologique et sociale ? Alors que l’essayiste altermondialiste canadienne Naomi Klein publie un enthousiasmant recueil de textes, “Plan B pour la planète : le New Deal vert”, partout sur la planète, des mouvements sociaux et courants politiques radicaux portent cette exigence. Tour d’horizon.
Rares sont les livres dont les idées deviennent des outils durables à l’usage des mouvements sociaux. S’il y en a un qui a réussi à infuser la constellation révolutionnaire à l’échelle internationale, c’est bien La Stratégie du choc de Naomi Klein. Publié en 2007, cet essai (adapté en film en 2009) a offert une grille de lecture précieuse aux adversaires et aux victimes du néolibéralisme. L’essayiste canadienne y montre avec acuité comment la droite profite des crises pour imposer un programme idéologique violent, destiné à enrichir les élites. “Elle a posé des concepts importants pour le mouvement altermondialiste, à tel point que je la considère aujourd’hui comme une camarade de lutte”, témoigne Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac.
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Un exemple récent a prouvé la force de cette démonstration : celui de Porto Rico, où Naomi Klein s’est rendue à plusieurs reprises. Après le passage de l’ouragan Maria en 2017, banquiers, promoteurs immobiliers et opérateurs de cryptomonnaie se sont servis du désastre causé par la catastrophe naturelle pour déposséder un peu plus l’île de ses ressources, en privatisant les services publics et en imposant des cures d’austérité drastiques. Autrement dit, le néolibéralisme ne se contente pas d’utiliser le bras armé de l’Etat pour substituer aux démocraties la seule loi du marché. Il s’accommode aussi très bien du réchauffement climatique.
“Notre système actuel est conçu pour trouver de nouvelles façons de privatiser les ressources et de tirer profit des désastres” Naomi Klein
Naomi Klein le soutenait en 2011 dans un texte visionnaire publié dans Plan B pour la planète : le New Deal vert, son nouveau livre qui rassemble une décennie d’enquêtes et de discours inédits, dont certains frappent les esprits : “La crise climatique qui commence à se déchaîner n’est nullement appelée à faire figure d’exception. Et tout cela est entièrement prévisible. Notre système actuel est conçu pour trouver de nouvelles façons de privatiser les ressources et de tirer profit des désastres. La seule chose que nous ne pouvons pas prévoir, c’est la montée d’un mouvement populaire capable d’opposer à ce sinistre avenir une solution de rechange viable.”
A observer la tectonique des plaques politiques dans le monde, cette vague de mobilisations a émergé depuis. Aux Etats-Unis, où l’offensive climatosceptique financée par les compagnies productrices de combustibles fossiles a été la plus massive depuis la fin des années 1980, les citoyens admettent de plus en plus le consensus scientifique. En 2019, 44 % des électeurs américains pensent que le changement climatique doit constituer une priorité absolue, alors qu’ils n’étaient que 26 % en 2011.
Le Green New Deal
Conjointement, depuis le mois de mars 2019, les rangs des marches pour le climat s’élargissent à une centaine de pays, le mouvement Sunrise s’est levé pour défendre la planète aux Etats-Unis, et les activistes d’Extinction Rebellion ont fait la démonstration de leur capacité à organiser des actions de désobéissance civile concertées à l’échelle internationale.
Mieux encore : “Il existe à présent aux Etats-Unis et en Europe des mouvements politiques, dont les membres sont parfois âgés d’à peine une décennie de plus que les jeunes activistes dans la rue, qui se déclarent prêts à répondre par des mesures concrètes à l’urgence de la crise climatique”, note Naomi Klein, qui appelle à “construire un New Deal vert à l’échelle du monde”.
On pense évidemment à la députée du Bronx Alexandria Ocasio-Cortez (dite AOC), qui à 29 ans est devenue la plus jeune femme élue au Congrès des Etats-Unis. Fidèle à son programme, elle a déposé une résolution le 7 février, “reconnaissant le devoir du gouvernement fédéral à créer un Green New Deal”. Ce terme, qui fait référence au New Deal de Franklin D. Roosevelt (une politique d’investissements publics et de programmes sociaux menée pour répondre à la Grande Dépression dans les années 1930), inclut non seulement des investissements massifs dans les énergies renouvelables, l’efficacité énergétique et les transports propres, le désinvestissement des énergies fossiles, mais aussi une série de mesures sociales, qui vont de la garantie universelle à l’emploi au système de santé publique universel, en passant par la gratuité des universités publiques. “Le Green New Deal des socialistes démocrates américains va très loin. Ce programme est une remise en cause profonde du néolibéralisme économique, voire un dépassement du système capitaliste. Ils proposent de socialiser toute une partie de l’économie, avec un Etat beaucoup plus volontariste”, analyse Aurélie Trouvé.
Une nouvelle gauche
A l’opposé des solutions tièdes et ciblées, le Green New Deal (GND) est une vision du monde et un imaginaire collectif qu’endosse progressivement la nouvelle gauche en train de se structurer. “Les démocrates socialistes aux Etats-Unis s’appuient sur le Green New Deal pour porter des idées beaucoup plus sociales, en partant du fait que les premières victimes du réchauffement climatique, et de certaines politiques de lutte contre le réchauffement climatique – comme la taxe carbone –, sont les plus fragiles”, détaille Romaric Godin, journaliste à Mediapart et auteur de La Guerre sociale en France. “Si on pousse cette logique, ça donne lieu à une réflexion sur un nouveau socialisme, qui serait très différent de ce qu’on a connu au XXe siècle, et qui associerait urgence écologique et urgence sociale”, poursuit-il. “C’est la grande qualité de Naomi Klein : elle montre qu’il n’y a pas d’opposition entre justice sociale et écologie, que c’est une construction des capitalistes”, souligne l’eurodéputée écologiste Marie Toussaint, à l’origine de la pétition “L’affaire du siècle”.
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“Face à la demande sociale, écologique et démocratique, le vieux monde du néolibéralisme tourne à vide. On voit donc émerger des réflexions qui prennent beaucoup d’importance” Romaric Godin
La campagne présidentielle américaine de 2020 se polarise déjà autour de cette question. Lors d’un discours de campagne en mars 2019, Donald Trump a dénoncé le GND comme le “plan le plus fou” qu’on ait jamais vu, et a promis que “les Etats-Unis ne seront jamais un pays socialiste”. A un moment de contestation globale des effets du néolibéralisme, Naomi Klein postule qu’il y a une fenêtre de tir pour “reprendre le terrain économique à la droite”, en défendant l’idée que “les vraies solutions à la crise climatique constituent aussi notre meilleur espoir de parvenir à construire un système économique plus juste et plus éclairé – un système qui mettrait un terme aux inégalités béantes”. Le Parti travailliste britannique débat d’ailleurs lui aussi ardemment sur l’opportunité d’adopter un GND à l’américaine. “Face à la demande sociale, écologique et démocratique, le vieux monde du néolibéralisme tourne à vide. On voit donc émerger des réflexions qui prennent beaucoup d’importance. Si le GND parvient à lier ces trois demandes, on pourra présenter une alternative crédible”, note Romaric Godin.
Combat enthousiasmant
Contrairement aux discours pessimistes, voire dystopiques, sur l’effondrement, Naomi Klein signe donc un livre de combat positif et enthousiasmant, à l’instar du discours mémorable qu’elle a prononcé au congrès du Parti travailliste, à Brighton, en septembre 2017 (une pépite). “Voilà le message que je voudrais faire passer aujourd’hui : les moments de crise n’ont pas pour seule réponse possible la stratégie du choc. Ils peuvent aussi déboucher sur tout autre chose”, déclarait-elle alors que le principal parti d’opposition avait mené une campagne très à gauche aux élections générales et avait vu ses suffrages augmenter comme jamais depuis 1945. A condition que de puissants mouvements sociaux incitent la sphère politique à poursuivre sans relâche l’ambition d’un GND, un grand bouleversement est donc possible. Dans les manifestations gigantesques qui secouent le Chili en ce mois d’octobre, un slogan témoigne de cet état d’esprit : “L’heure a sonné. Nous ne permettrons plus ta stratégie du choc”.
Plan B pour la planète : le New Deal vert, de Naomi Klein (éd. Actes Sud), traduit de l’anglais (Canada) par Matthieu Dumont, 416 p., 23 €
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