La photographe danoise d’origine koweïtienne Lina Hashim expose ses photos d’amants illicites musulmans prises à la sauvette dans des parcs publics au Danemark et en Suède. Interview.
Des photos d’amants prises à la sauvette. C’est de cette manière que la photographe danoise née au Koweït, Lina Hashim, 37 ans, a mis en image l’intimité à la fois cachée et exhibée des amants d’origine musulmane dans les parcs publics de la Suède et du Danemark. Sa série de 77 images intitulée « Unlawful meetings » est à découvrir jusqu’au samedi 27 juin dans le cadre de l’exposition collective Intervalles #1 à la galerie parisienne Le Petit Espace, qui célèbre sa première année d’existence.
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Comment avez-vous entendu parler de ces “rencontres illicites” dans les lieux publics danois et suédois?
Lina Hashim – Je les ai vécues. Je suis musulmane, croyante mais non pratiquante. Quand j’étais ado, avec des amis confrontés aux mêmes interdits, on trouvait des moyens pour se rencontrer comme dans ces « rencontres illicites ». Mais pour mon projet, j’ai cherché d’autres espaces. J’ai interrogé des jeunes et des vieux musulmans, et plus généralement des musulmans qui avaient des rendez-vous amoureux. Il y a des endroits que j’ai aussi trouvé toute seule, par hasard. C’est ainsi que ça a commencé.
Même si vous assurez l’anonymat de vos sujets en ôtant toute couleur et ne montrant jamais plus de 25% des traits de leurs visages, n’avez vous pas craint d’être vue par ceux-ci ? Comment avez-vous procédé pour les photographier ?
J’ai d’abord commencé par observer, et par tout noter : les horaires, les types de gens, l’âge, combien de temps le couple restait sur place, etc. Puis j’ai commencé à prendre des photos. C’était très étrange, et j’avais peur d’être repérée, donc je me plaçais à distance. Mais je n’étais pas satisfaite, j’avais besoin de me rapprocher et de montrer réellement ce qu’étaient ces rencontres. Selon les lois islamiques, si quelqu’un affirme qu’il ou elle a vu des musulmans avoir des relations sexuelles hors mariage, ils doivent faire venir six témoins. Et le témoin principal doit avoir vu l’homme et la femme précisément pendant l’acte sexuel. Sinon ils ne peuvent pas être jugés.
Dans mon travail, j’avais besoin de documenter les rencontres, pas les couples. C’est pourquoi j’ai effacé tout ce qui faisait qu’on pouvait les reconnaître. J’ai pris des cours auprès d’un détective privé, j’ai appris à me rapprocher discrètement, et à utiliser du nouveau matériel. L’appareil photo à vision nocturne était parfait, car cela me permettait de prendre des photos depuis ma voiture. D’autres fois, je me cachais dans les arbres, dans les buissons et prenait des photos par instinct, sans vraiment voir ce que je shootais. Un peu comme un soldat. On m’a repéré plusieurs fois. La première a été la plus effrayante : je ne m’y étais pas préparée, l’homme m’a demandé d’effacer les photos, je l’ai fait.
Vous avez également étudié l’anthropologie. Avez-vous voulu donner un sens anthropologique à vos photos, en montrant comment vos sujets gèrent la tension entre leur personnalité publique et leur vie privée ?
Ce qui m’intéressait, c’était montrer ce phénomène, les faits. Ces rencontres secrètes se font dans des parkings, sur des plages, mais personne ne veut le croire. Et oui, en effet, ces couples subissent une grande pression. Ils ne sont pas autorisés à suivre leurs sentiments et leurs désirs, et, comme le montre mes photos, quand ils le font, c’est de façon secrète. Ils ont souvent l’air terrifiés à l’idée d’être vus.
Habituellement, ils choisissent des endroits où seuls des Danois non musulmans se rendent, et situés au moins à 20 kilomètres de leurs domiciles, pour éviter de croiser d’autres musulmans ou des connaissances. Mais il arrive parfois que plusieurs couples musulmans se retrouvent au même endroit. Dans ces cas-là, ils se garent loin les uns des autres. Leur voiture devient un espace invisible, avec la vue sur la mer, pour que ce soit romantique, et de la musique arabe pour masquer le bruit de leurs étreintes amoureuses, qui hors mariage sont bien sûr un péché.
Ce n’est pas facile d’être musulman dans une société européenne, et de voir tout le monde vivre sa vie librement, alors que ceux qui viennent d’un background musulman doivent cacher leurs sentiments et leurs relations. Ils suivent des règles strictes qui se fondent avec leur personnalité, de façon que le véritable moi est rarement décelable. Le personnage public et la vie privée sont deux territoires distincts, créant des paradoxes dans le quotidien qui mènent à une forme de schizophrénie culturelle.
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