Un musicien, un directeur artistique de club et un producteur de ciné jugent la culture de la ville, qui malgré sa politique ambitieuse et ses réussites peine à s’ouvrir à la mixité sociale et culturelle.
Trois personnalités parlent de Paris : Pablo Padovani chanteur du groupe Moodoïd, Hervé Siard, directeur artistique du Carmen, et Emmanuel Chaumet producteur d’Ecce Films.
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Pablo Padovani, chanteur de Moodoïd : “La mairie met en place des dispositifs géniaux mais ne communique pas dessus”
A 18 ans je suis parti étudier à Saint-Quentin-en-Yvelines dans la banlieue parisienne. C’est à la MJC locale où j’ai pu fixer mon univers musical grâce à la MJC locale. En banlieue, tout est plus simple. A Paris, c’est quasi impossible de trouver un endroit où répéter et encore moins de trouver une structure qui va t’aider à monter ton projet. C’est limite si tu ne dois pas payer pour jouer… A chaque fois, j’ai dû me débrouiller avec des réseaux privés en appelant des salles, chercher des aides dans mon coin… Heureusement il y a le Centre Barbara (XVIIIe), qui appartient à la mairie de Paris. Tu présentes un dossier et ils te donnent accès à des locaux pas chers et des formations pour maîtriser la scène ou le studio. Il y a un vrai suivi du groupe et en plus tu peux être programmé. C’est là où Moodoïd a démarré. On s’était présenté au festival Ici et Demain, organisé par la ville de Paris. Ça nous a propulsés : on a fait le Centre Barbara, un live au Point Ephémère… On a des copains qui ont gagné des bourses grâce au tremplin Paris Jeunes talents, d’autres qui ont touché des aides pour acheter leurs instruments… La différence entre la banlieue et Paris, c’est qu’en banlieue il y a beaucoup moins de groupes, donc dès que tu as un projet qui tient la route on te prête tout le temps des locaux, on t’aide à te développer.
Au Centre Barbara, c’est plus l’usine : tu dois cotiser pour rentrer, l’ambiance est différente… Il y a une vraie ambiguïté à Paris parce qu’il existe des dispositifs géniaux mais il n’y a aucune communication autour. C’est à toi de te bouger et de te renseigner.
entreprise.bandcamp.com/album/moodoid-ep
Hervé Siard, directeur artistique du Carmen : “C’est plus facile d’ouvrir un club à Paris qu’à Londres”
L’évolution la plus marquante du monde de la nuit parisien, c’est l’extension des free parties hors de Paris. On se pose la question d’un Paris qui n’existait pas avant. Il faut dire que le centre-ville a été frappé par une législation contraignante, mais ces interdictions n’arrivent pas par hasard. Il faut tenir compte de la gentrification : les noceurs de Pigalle, attirés par les bas prix, finissent par s’installer, à fonder des familles et du coup à réclamer du calme, quitte à appeler les flics. Cette idée de “Paris liberticide” a toujours existé. Pourtant les gens sortent de plus en plus ! Il n’y a qu’à voir le nombre de clubs qui ouvrent : le Bel’Air, le Faust, le Nuba, le Zigzag… A Pigalle, les petits bars fleurissent.
Il faut sortir de ce fantasme du “c’était mieux avant”. En comparaison, à Londres on observe le même phénomène de gentrification comme à Shoreditch par exemple, mais les licences accordées pour maintenir un lieu ouvert après 2 h sont très dures à obtenir. C’est bien plus facile d’ouvrir un club à Paris. On entend davantage ceux qui se plaignent que les gens heureux ! Le problème de la nuit à Paris, c’est celui de la saturation. Rue Oberkampf par exemple, il y a trop de bars, trop de gens bourrés… Il ne faut pas transformer un quartier en supermarché de la nuit. Pigalle aussi a une date de péremption étant donné le foisonnement de nouveaux projets.
Il faudrait repenser la ville pour qu’il n’y ait plus que deux ou trois affaires par quartier. On a besoin d’un représentant de la nuit qui n’ait pas seulement un rôle consultatif comme le maire de la nuit, mais qui fasse partie intégrante de l’équipe gouvernante.
Emmanuel Chaumet, producteur et directeur de la société Ecce Films : “Où sont la diversité et les beaux discours sur la mixité sociale et culturelle? »
Paris est la ville où il y a le plus de salles d’art et d’essai au monde et une vraie diversité. Avec la reconquête de certains quartiers défavorisés, il y a de vraies réussites. Il n’y a qu’à se remémorer ce qu’était le quartier de Stalingrad avant que MK2 n’y implante ses multiplexes ! J’habite la Goutte d’Or dans le XVIIIe depuis vingt ans et ces dernières années, j’y ai vu pousser les ateliers d’artistes, la rue de la Mode, le Centre Barbara, le 104, le Louxor et l’Institut des Cultures d’Islam (ICI).
On ne peut que louer ces initiatives mais il faut rester vigilant sur ce qu’en font ensuite celles et ceux qui en récupèrent l’usufruit : ne pas se satisfaire que le 104 ne soit qu’une vaste esplanade à poussettes ou que le Centre Barbara (consacré aux pratiques musicales amateurs) soit fréquenté par les fils de bobos. Il y a quinze jours, nous cherchions dans le quartier une cage d’escalier pour tourner une petite scène d’un film. Nous n’avons jamais eu aucune réponse du 104 et à l’ICI la réponse a tellement tardé, que nous avons dû nous rabattre sur un interlocuteur privé… Pourtant ces établissements prônent l’ouverture sur leur environnement !
Belle réussite le Louxor ! On nous avait vendu une programmation ouverte sur les cultures méditerranéennes ? Le lieu est sympathique mais on en attend quand même un peu plus d’une politique culturelle de gauche ! La programmation, c’est quasiment celle du Cinéma des Cinéastes – à quatre stations métro de là : le cinéma d’auteur qui marche (Woody Allen, Wes Anderson) mais où sont la diversité et les beaux discours sur la mixité sociale et culturelle de la Goutte d’Or ?
On roule pour les gros “indépendants” de la distribution, au mépris des sociétés plus fragiles. La société Shellac, avec qui je travaille, n’a pu rentrer au Louxor qu’en neuvième semaine d’exploitation avec La Fille du 14 Juillet en plein cœur de l’été, avec une séance par jour ! Quant à La Bataille de Solferino, pas de place. C’est vous dire l’ouverture ! Mais s’ils ont la bénédiction du pouvoir en place, pourquoi cela devrait-il changer ?
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