En plus d’une géniale série télé, « Mr Robot » est désormais aussi un épatant jeu mobile reposant sur les principes de la réalité augmentée qui fait du joueur un peu perdu un hacker amateur. Et qui s’immisce d’une manière troublante dans son existence de tous les jours.
Soudain, vous êtes un personnage de série télé. Secondaire, certes, et qui ne comprend pas toujours très bien ce qui se trame autour de lui, mais en relation directe avec les « vrais » protagonistes de la fiction que, peut-être, en parallèle, vous suivez assidûment : Mr Robot. Dans le jeu mobile (en anglais) qui en est dérivé, tout commence par la découverte d’un téléphone portable perdu. Après l’avoir ramassé, vous commencez rapidement à recevoir des messages. Il y en a un de la bibliothèque de New York qui vous informe que vous devez lui restituer sans tarder Lolita de Nabokov et deux ou trois autres romans. Il y a ceux d’un groupe de discussion joyeusement horripilant, quelques newsletters et pas mal de spams. Et surtout, bien vite, des échanges avec la propriétaire du mobile perdu, une certaine Darlene que les adeptes de Mr Robot connaissent bien.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Darlene vous demande de l’aider, puis ce sera au tour d’un autre correspondant dont tout indique qu’il s’agit d’Elliot, le héros sérieusement perturbé de la série. Et bientôt, sans trop comprendre comment, vous vous retrouvez impliqué dans leurs opérations de hacking, échangeant des messages textes avec des inconnus pour les convaincre, par exemple, de vous donner accès à certaines données ou de placer un logiciel qu’on vous a confié sur un serveur informatique que l’on imagine hautement stratégique. Pour parvenir à vos fins, il va falloir vous montrer persuasif – et malin.
Pour l’essentiel, le jeu prend la forme d’une suite de dialogues à choix multiples qui ne dépayseront pas énormément les adeptes des fictions interactives de Telltale Games (The Walking Dead, The Wolf Among Us, Game of Thrones ou tout récemment Batman) sous l’égide de qui il a été conçu par les développeurs de Night School Studio, déjà responsables du très remarqué Oxenfree. Mais la spécificité de Mr. Robot:1.51exfiltrati0n.ipa (ou .apk sur Android, car tel est son nom complet) se trouve ailleurs : dans son adéquation parfaite avec la plateforme sur laquelle il se joue et sa manière de s’immiscer dans nos vies. Le personnage que vous « incarnez » fait tout sur son portable ? Vous aussi, et au moyen d’une interface qui ressemble à s’y méprendre à celle d’un logiciel de messagerie. Tout est fait pour supprimer ce qui, en s’interposant entre le joueur et l’histoire dans laquelle il est plongé, pourrait l’empêcher d’y croire. Ainsi, l’illusion est presque parfaite.
Mr Robot n’est bien évidemment pas le premier titre à s’aventurer sur le territoire de la fiction transmédia et du jeu en réalité alternée. Avant lui, il y eut les pionniers The Beast (associé au film A.I. de Steven Spielberg) et Majestic ou, en France, les essentiels In Memoriam et Alt-Minds d’Eric Viennot. Mais, dans sa manière de s’approprier les fonctions même du téléphone portable, Mr Robot s’inscrit plus directement dans la lignée de deux applications novatrices de l’année dernière : l’obsédant Lifeline et The Martian : Bring Him Home, prolongement ludique du film de Ridley Scott Seul sur Mars. Comme eux, il s’appuie sur le pouvoir évocateur du texte (qui prend ici sa revanche sur l’image triomphante) pour instaurer un lien entre notre monde et un autre, qui demeure invisible. Comme eux aussi, il accompagne le joueur où qu’il aille et le sollicite au moyen de notifications apparaissant sur son écran. Des notifications qui, parfois, tardent douloureusement à arriver.
L’arme secrète de Mr Robot est là. Si, au fil des quelques jours nécessaires pour en venir à bout – les sessions de jeu elles-mêmes sont généralement assez courtes –, on retient quelques échanges marquants (et merveilleusement écrits, mais avec des fautes de frappe pour faire plus vrai) avec des personnages que l’on manipule à distance sans le moindre scrupule, c’est cette attente même qui donne sa force à l’expérience. Depuis le temps, le technicien devrait être arrivé dans la salle du serveur, non ? Et ce type que l’on fait chanter devrait nous avoir recontacté. Et s’ils nous avaient percé à jour ? Ou s’ils étaient incapables de faire ce qu’on exige d’eux et qui, là, commence franchement à presser ? Et si c’était tout simplement nous qui n’étions pas à la hauteur ? Les heures passant, le doute grandit, la tension monte et ce sentiment d’impuissance devient de plus en plus déstabilisant alors que les conséquences de nos actions se décident loin de nous. Parfois, on a des remords, aussi.
Si le temps est la matière principale que travaille le médium jeu vidéo (pour le contenir, l’étirer, le compresser, le sculpter…), ce que lui fait subir le subtilement minimaliste Mr Robot se révèle étonnant. Alors que tombe la frontière entre le temps du jeu et celui de nos existences (ce qui en fait, aussi, une adaptation très cohérente de la série), nous voilà devenu l’habitant multitâches de deux univers parallèles. Et peut-être encore davantage si, par exemple, entre une alerte de Mr Robot et un (vrai) échange de SMS, on attrape quelques petits monstres de Pokémon Go, autre représentant, mais « augmenté » plutôt qu’ »alterné », de ces « réalités » mutantes qui complètent notre monde, se superposent à lui. Nous voilà donc simultanément acteur de nos vies et d’une histoire, en l’occurrence celle de Mr Robot, qui nous engloutit par séquences mais ne nous quitte jamais complètement. Elle s’éloigne un peu, puis revient, nous appelle, nous prend par la main. Je sais que tu existes, nous dit-elle, je pense toujours à toi. Je sais que tu me regardes et, moi aussi, je te vois. C’est tout ce qu’on espérait d’elle.
Mr. Robot:1.51exfiltrati0n (Night School Studio / Telltale Games), sur iOS et Android, 2,99 €
{"type":"Banniere-Basse"}