Le 20 novembre le « Mouvement Y » a été propulsé sur internet : une pétition originale en forme de manifeste de la génération Y, qui s’assigne pour but de répondre à la crise démocratique en renforçant les moyens de contrôle de nos représentants. Mais qui sont les instigateurs de ce mouvement ?
« Génération Tous Pourris ». C’est ainsi que France Télévision titrait au début de l’année 2014 les résultats de sa vaste enquête sur les 18-34 ans – la fameuse « génération Y » – à laquelle 210 000 personnes avaient répondu. Le questionnaire montrait que 86% des jeunes sondés n’avaient pas confiance en la politique. Pour la moitié des 18-25 ans, les politiques étaient même « tous corrompus ». Que ces enfants du scepticisme politique fondent un mouvement pour redorer le blason de la politique institutionnelle était donc inespéré.
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C’est pourtant l’ambition du Mouvement Y. Lancé sur internet le 20 novembre dernier par huit jeunes (dont certains sont engagés en politique et d’autres non), il se présente sous la forme d’une pétition posant trois constats : une minorité d’élus mêlés à des « affaires » décrédibilise l’ensemble de la classe politique ; la représentation nationale souffre d’un manque de renouvellement flagrant ; et le mode de rémunération des élus – notamment la réserve parlementaire – peut conduire à des formes de clientélisme. En découlent trois solutions : des peines incompressibles pour les élus condamnés dans le cadre de leurs mandats ; la limitation temporelle à trois mandats pour tous les élus ; et une remise à plat du mode de rémunération des parlementaires. Ces réponses à la crise démocratique et au désenchantement politique caractéristique de la génération Y ont obtenu à ce jour près de 8000 signatures. Mais qui sont ces anges-gardiens du système représentatif ?
« Une idée qui me trottait dans la tête depuis l’affaire Cahuzac »
Au départ, le site indiquait seulement que « huit jeunes » en étaient à l’origine. Mais sous la pression des internautes qui leurs demandaient de s’identifier, par peur qu’un parti politique ne soit derrière – la défiance, encore -, ils ont révélé leurs noms – Pierre Dulac, Milena Fedida, Arnaud Jardin, Nawal Mrani Alaoui, Nicolas Normand, Vianney de Villaret… – en renvoyant parfois à leurs profils respectifs sur les réseaux sociaux.
Ils ont en commun d’avoir fait des études supérieures (le CELSA, Sciences Po, Sup de Pub, l’ISCOM…), d’être en phase d’insertion professionnelle voire d’être déjà insérés (on trouve parmi eux une consultante, un développeur, un chargé de communication ou encore un responsable de la communication…), et de baigner dans un environnement politisé. De fait, ce réseau de connaissances s’est tissé en partie à l’occasion de la campagne pour les élections européennes des listes UDI-Modem, pour laquelle Milena Fedida, Arnaud Jardin et deux autres membres du groupe ont travaillé. Le reste de la bande est composé d’amis côtoyés pendant leurs études, et du cousin d’Arnaud Jardin, « le meilleur développeur » qu’il connaissait.
Arnaud Jardin est celui qui les a fédérés. « C’est une idée qui me trottait dans la tête depuis l’affaire Cahuzac, raconte-t-il. En juin, après les élections européennes, j’ai proposé à des amis et collègues de boulot de lancer ce mouvement. Il fallait qu’un groupe soit opérationnel pour que les choses changent ». Il s’est lui-même chargé du graphisme sur le site. Ses dessins racontent l’histoire d’une génération à laquelle des interdits se sont imposés, qui a grandi avec des écouteurs sur les oreilles et les yeux rivés sur un écran d’ordinateur, une génération informée, qui a fait l’expérience d’une amère désillusion politique.
« On parle souvent de politique avec des amis, et on se rend compte qu’il y a une frustration générationnelle, commente Arnaud Jardin, par ailleurs responsable de la communication d’Open Diplomacy. Nous formons une génération bridée, culpabilisée, qui ne sait plus se situer sur le plan politique. On trouve qu’on a beaucoup moins d’importance quand on vote que quand on est sur les réseaux sociaux« .
« Nous ne voulons pas saccager le système, au contraire »
Comment combler cette distance vis-à-vis des élus ? Comment redonner foi dans la politique institutionnelle ? Comment faire en sorte que la conscience politique des jeunes trouve un débouché dans le système représentatif ? Ce sont ces questions auxquelles le Mouvement Y tente d’apporter des réponses. « L’idée de base c’est que notre système démocratique est en péril, or la base de la démocratie, c’est de donner des mandats pour nous représenter », résume Arnaud Jardin. Pas franchement révolutionnaire. Mais le Mouvement Y ne voit pas de contradiction à être jeune et modéré. Sur son site, ses cofondateurs se défendent même d’être idéalistes :
« Si nos propositions n’étaient pas réfléchies, abouties et réalistes, on n’insisterait pas. Nous ne voulons pas saccager le système, au contraire. Nous voulons qu’il fonctionne enfin, qu’il soit en phase avec son temps« .
Pas question de renverser la table donc, mais d’améliorer le système existant. « Le but était de proposer quelque chose de possible et de concret, en partant du constat du ras le bol politique chez les jeunes », affirme ainsi Milena Fedida.
Le collectif cultive ce côté raisonnable. Le choix d’internet et d’une pétition originale pollinisée via Twitter s’est imposé non seulement parce que ces outils forment le socle commun de la génération Y, mais aussi parce qu’ils sont pacifiques. « Internet rend possible le partage des idées, et leur appropriation par les internautes, explique Pierre Dulac, le développeur du site, et cousin d’Arnaud Jardin. Mais c’est aussi un moyen de faire une révolution douce, sans que l’on ait besoin de descendre dans la rue, de tout casser ». Une telle action collective a-t-elle une chance de ne pas se résumer à une simple révolte de jeunes centristes ?
Les quatre branches du Y
Depuis le 20 novembre la pétition a récolté quelques 8000 signatures, elle reçoit donc un certain écho, sans pour autant emporter une adhésion massive. Sa répercussion médiatique est encore quasi-inexistante : seul le site de Libération a publié leur manifeste. Pourtant, comme le collectif le signale lui-même sur son site, la génération Y constitue à elle seule 13 millions de personnes. Pourquoi ce manque d’adhésion ?
C’est que la vision du monde tout en nuances des instigateurs du mouvement n’est pas partagée par l’ensemble de la génération Y.
« La génération Y désigne une classe d’âge, celle des 18-30 ans, qui n’est pas homogène, rappelle la sociologue Monique Dagnaud, auteure de Génération Y, les jeunes et les réseaux sociaux : de la dérision à la subversion (Presses de Science Po, 2013). On peut distinguer quatre branches : 5% qui ont fait des classes préparatoires, des écoles d’ingénieurs ou de commerce, et qui sont les futures élites ; 37% qui ont un diplôme universitaire général ou professionnel ; 42% qui n’ont que le bac ou une formation professionnelle courte ; et enfin 16% qui n’ont pas de diplôme, ou seulement le brevet. Le mode d’expression du Mouvement Y, de l’ordre de l’indignation morale, est plutôt le propre de la fraction de cette classe d’âge composée par les deux premières branches, elle se positionne dans l’espace politique classique. Les jeunes sans diplômes, souvent destinés à connaître une vie précaire, se seraient sans doute exprimé de manière plus violente« .
Alors que, selon le dernier baromètre de confiance politique du Cevipof, 60% des Français n’ont confiance ni dans la gauche ni dans la droite pour gouverner (la défiance politique n’étant pas l’apanage des jeunes), la réponse du mouvement Y apparaît comme trop optimiste pour certains segments qui subissent la crise économique de plein fouet.
« C’est une initiative vertueuse, qui dans un contexte de très forte défiance par rapport à la politique a le mérite de rappeler que la démocratie représentative est le moins mauvais des régimes qui soit, et qu’il garantit la représentation de chaque citoyen, explique la sociologue Anne Muxel, auteure d’Avoir 20 ans en politique : les enfants du désenchantement (Seuil, 2010). Cependant, elle émane d’un collectif qui rassemble des catégories de jeunes diplômés, qui a conscience de l’importance des rouages démocratiques. Or cette adhésion n’est pas partagée par d’autres segments de la jeunesse, qui se reconnaissent davantage dans la contestation du système, que ce soit à l’extrême gauche ou à l’extrême droite, et qui partagent une exaspération par rapport à toute forme de médiation politique« .
L’ère du soupçon
Une partie de la jeunesse réagit donc de manière épidermique à ce mouvement qui lui apparaît comme encore trop imbriqué à la politique classique. En témoigne le fait que ses instigateurs aient dû révéler leur identité pour démentir les soupçons de collusion partisane. Cela n’a cependant pas suffi à dissiper tous les soupçons, et pour cause : le 21 novembre, le compte Twitter de « La Manif Partout » (collectif contre la loi Taubira lancé par la Manif pour Tous, et devenu indépendant) a relayé le Mouvement Y en ces termes :
En politique, il n’y a pas de fatalité. Notre génération est prête à faire des propositions. http://t.co/TkuDxhd2Z0
— LaManifPartout (@lamanifpartout) 21 Novembre 2014
L’appartenance d’un des cofondateurs, Vianney de Villaret, à la nébuleuse de la Manif pour tous n’est sans doute pas étrangère à ce soutien inopiné. Une internaute en a rapidement conclut que le mouvement était clairement identifié :
@mouvementY Ben c’est simple: les fachos homophobes de LMPT! https://t.co/2s8cyrjsec #nonmerci @dulaccc
— ALaVieALAmour (@ALaVieALAmour) 1 Décembre 2014
Le collectif s’en défend. Des personnes de bords politiques différents en sont à l’origine, même si la dominante est centriste. Quant au contenu, chacun est libre de s’en saisir. « Notre but est de transmettre ces idées, et de faire en sorte qu’elles soient reprises. Que ce soit par le centre, la gauche ou la droite, cela nous est égal », résume Pierre Dulac, qui réfute toute homophobie, certains membres du collectif étant eux-mêmes homosexuels.
Au-delà de ce cafouillage, « la majorité des critiques sont positives », affirme Milena Fedida, tandis qu’Arnaud Jardin souligne les messages d’espoir lapidaires laissés par certains internautes. En scrollant sur le mur des signatures, on peut en effet croiser un « Hope », ou encore « yes we can ». Sait-on jamais…
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