Le policier qui a tué un homme noir de 44 ans n’a pas été poursuivi par la justice américaine, malgré une vidéo accablante le montrant en train de pratiquer une technique d’art-martial d’étranglement interdite. Un événement qui fragilise l’importance de la preuve vidéo dans les cas de bavures policières.
« Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à respirer. Je n’arrive plus à respirer. » Les derniers mots d’Eric Garner, tué par un policier le 17 juillet dernier à New York, peuvent être écoutés et réécoutés. Ils ont été enregistrés par un ami de la victime, Ramsey Orta, qui a filmé la scène avec son smartphone, sur le même trottoir, à quelques mètres de là.
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https://www.youtube.com/watch?v=j1ka4oKu1jo
On y voit Eric Garner se faire interroger par des policiers. “Il s’est juste interposé dans une bagarre pour essayer d’y mettre un terme”, affirme Ramsey Orta sur la vidéo. Eric Garner avait été libéré sous caution après avoir été arrêté pour vente illégale de cigarettes. Les policiers déclarent avoir tenté de l’arrêter ce jour-là car il continuait à en vendre. L’Afro-Américain de 44 ans s’adresse aux quatre policiers qui l’encerclent :
“A chaque fois que vous me voyez, vous voulez me chercher des noises. J’en ai marre. Ça s’arrête aujourd’hui. Tous les passants ici vous diront que je n’ai rien fait, je n’ai rien vendu. Je m’occupe juste de mes affaires. S’il vous plaît, laissez-moi tranquille.”
Une technique d’art martial interdite par la police
Puis un policier, Daniel Pantaleo, passe derrière lui et utilise une technique d’étranglement appelée “chokehold” pour étrangler Eric Garner et le forcer à tomber. L’usage de cet art martial a été strictement interdit dans la police depuis 1993, car il peut couper l’arrivée d’oxygène au cerveau et entraîner la mort.
Une fois Garner au sol, l’officier maintient la position d’étranglement alors que l’homme, en surpoids et asthmatique, répète à neuf reprises qu’il n’arrive plus à respirer. Quelques secondes plus tard, Eric Garner est pris de convulsions. Puis il s’arrête de bouger. La mort sera prononcée quelques heures plus tard à l’hôpital. D’après le Guardian, l’autopsie a révélé que ce père de six enfants était décédé des suites de l’étranglement (chokehold) effectué par l’officier.
https://www.youtube.com/watch?v=vT66U_Ftdng#
Trois mois après les faits, un grand jury vient de refuser d’engager des poursuites contre le policier Daniel Pantaleo, car il “a trouvé qu’il n’y avait pas de cause raisonnable de voter pour une inculpation” d’après les propos du procureur de Staten Island, rapportés par le Monde.fr.
“Des millions de témoins oculaires” mais pas d’inculpation
Des manifestations ont été organisées dans la foulée pour protester contre le jugement. Comme le relève l’éditorialiste du Washington Post, il y a « des millions de témoins oculaires » qui ont vu la scène du décès d’Eric Garner grâce à la vidéo de son ami Ramsey Orta.
The man is unarmed. The chokehold is banned. The coroner ruled it a homicide. It is on video. None of this matters. I can’t breathe.
— jay smooth (@jsmooth995) 3 Décembre 2014
(“L’homme n’est pas armé. Le ‘chokehold’ a été interdit. L’autopsie a montré que c’était un homicide. tout est sur la vidéo. Rien de ça n’a d’importance.”)
La présence de la vidéo nourrit ici l’indignation des manifestants : malgré quelques coupures entre certaines scènes, tout le monde peut voir la manière dont le policier a utilisé une technique d’étranglement mortelle pour mettre à terre Eric Garner. Tout le monde peut voir qu’Eric Garner n’était pas armé, ni menaçant. Et tout le monde peut entendre ses dernières phrases: « S’il vous plaît, laissez-moi tranquille. S’il vous plaît, ne me touchez pas. »
Eric Garner’s last words. pic.twitter.com/5lbqIEm63t
— John Green (@johngreen) 4 Décembre 2014
L’intérêt de la preuve vidéo mis en doute
Un constat s’impose aux détracteurs du policier new-yorkais : la vidéo n’a rien changé à son jugement. Pourtant, depuis le décès de Michael Brown à Ferguson, un jeune homme noir non armé tué de plusieurs balles par un policier blanc (non poursuivi par la justice), une pétition a été envoyée à la Maison Blanche demandant que les policiers américains soient tous équipés d’une caméra portable, afin de s’assurer que les « procédures soient bien suivies » et éviter les bavures. Barack Obama s’est dit prêt à débloquer 263 millions d’euros pour un lancer ce programme au niveau national.
Le site américain Vox résume le paradoxe :
“Les gens se disent, et à raison : ‘il y a une preuve, en image, qu’un homme a été tué par un policier, et il n’a quand même pas été inculpé. Alors dans quel autre cas la vidéo pourrait permettre une inculpation?”
What now will be the purpose of body cameras? For a close up of a black mans death? One where his killer will still go free? #EricGarner
— zellie (@zellieimani) 3 Décembre 2014
(« A quoi vont servir les caméras collées sur l’uniforme des policiers? Pour avoir un plus gros plan de la mort d’un homme noir ? Celui où le meurtrier de cet homme finit libre ? »)
If we ever need proof that Body Cameras mean next to nothing, it just happened. Eric Garner was murdered & it was on YouTube the next day.
— Shaun King (@ShaunKing) 3 Décembre 2014
(« Si on avait besoin d’une preuve que les caméras sur les policier n’ont pas d’importance, voilà, ça vient d’arriver. Eric Garner a été tué et c’était sur YouTube le lendemain »)
Un rôle préventif avant tout
Paradoxalement depuis l’affaire de Ferguson, de plus en plus de jeunes sortent leur téléphone portable pour filmer les éventuels dérapages de la police. La semaine dernière, un jeune homme noir de l’Etat du Michigan a posté une vidéo sur YouTube, le montrant en train de se faire questionner par un officier. La raison : des habitants ont appelé la police car le jeune homme « marchait dans la rue avec les mains dans ses poches« . Après quelques secondes, le policier sort, lui aussi, son iPhone pour filmer la « rencontre », ce qui amplifie le caractère absurde de la scène.
D’autant plus que la remise en cause de l’importance de la vidéo dans les condamnations de violences policières ne date pas d’hier. En 1991 déjà, les images de policiers en train de rouer de coup un homme noir, Rodney King, faisaient déjà le tour des télévisions américaines. Les officiers avaient pourtant tous été acquittés, ce qui déclencha une série d’émeutes en 1992.
Le journaliste américain Jason Koebler, du site Motherboard, tient tout de même à nuancer les critiques, qui vont jusqu’à affirmer que l’affaire Eric Garner prouve que les caméras fixées sur les policiers ne serviraient à rien. Pour lui, l’intérêt de ces caméras ne serait pas d‘aider à condamner des officiers en faute, mais de les pousser à ne pas commettre ces fautes, à l’origine :
“Ces caméras aident à créer un environnement dans lequel les policiers savent, intrinsèquement, qu’ils sont observés, et qu’il y a au moins la possibilité qu’ils devront répondre de leurs actes.”
Et le journaliste de citer l’exemple de la ville de Rialto en Californie, dans laquelle l’utilisation de la force par des policiers a baissé de 60 %, un an après l’instauration de caméras sur les uniformes des policiers.
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