Au cours d’une interpellation policière nocturne, en juin 2007, Lamine Dieng décède. Depuis, sa famille tente de faire inculper les policiers qui, eux, mettent en avant « l’état anormal » de Lamine au moment des faits. Aujourd’hui, pour commémorer les cinq ans de sa mort, une marche débutait à 14 h depuis la rue des amandiers. Relisez notre reportage au sein de la manifestation de l’année dernière et notre point sur l’affaire.
[Initialement publié le 23 juin 2011] « Justice pour Lamine Dieng« , inscrit en lettres jaunes sur un drap noir. Cette banderole de cinq mètres de long a été portée par la famille, samedi 18 juin 2011, en tête du cortège qui commémorait pour la quatrième année consécutive la mort de Lamine Dieng. Vers 16h, pour relancer un énième appel à témoins et faire une prière, la centaine de personnes présentes a opéré une halte, rue de la Bidassoa (XXe arrondissement), devant l’hôtel où, le 17 juin 2007 vers 5h du matin, le jeune homme de 25 ans décédait dans un fourgon de police.
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Le juge d’instruction en charge du dossier a décidé d’attribuer aux policiers présents au moment des faits le statut de témoin assisté, « sorte de statut intermédiaire entre le simple témoin et le mis en examen« , précise un autre juge d’instruction du tribunal de grande instance de Paris. Une confrontation des fonctionnaires avec la famille devrait également avoir lieu en septembre prochain. Cette décision du juge fait suite à l’arrivée de la dernière expertise médicale, en juin 2010, qui semble désormais placer « l’appui de la face contre le sol » comme la cause première de la mort par asphyxie de Lamine Dieng.
Rappel des faits : une immobilisation « peu académique »
Dans la nuit du 17 juin 2007, vers 4h du matin, après un appel du 17 pour des cris dans un hôtel, trois policiers se rendent rue de la Bidassoa à Paris. Les agents expliquent qu’à leur arrivée sur place, ils ont trouvé Lamine Dieng allongé, à plat ventre, entre deux voitures stationnées devant l’hôtel. Les fonctionnaires de police repèrent une bouteille de whisky vide sur le trottoir (l’autopsie révèlera que Lamine Dieng n’avait pas d’alcool dans le sang, mais une forte dose de cocaïne ainsi que du cannabis), ils estiment rapidement que l’individu est agité et « dans un état anormal ». Ils décident de l’interpeller mais, précisent-ils, « (sa) force hors du commun » les conduit à demander du renfort.
L’immobilisation définitive de Lamine Dieng est finalement réalisée par cinq policiers « d’une manière peu académique« , note le rapport de la Commission nationale de déontologie de la sécurité (CNDS), autorité administrative indépendante – désormais rattachée au défenseur des droits – saisie à l’époque par la députée de Guyane, Christiane Taubira.
Face contre terre, son bras droit est passé par dessus son épaule et menotté à son bras gauche replié dans le dos. Une sangle de contention lui est passée aux pieds. Lamine Dieng est ainsi transporté dans le car de police secours, où il est de nouveau posé à plat ventre sur le plancher. Toujours selon le rapport de la CNDS, quatre fonctionnaires l’empêchent « de manière ferme » de se mouvoir.
Soudain, un policier constate que Lamine Dieng ne bouge plus. On lui retire ses menottes et on le positionne sur le dos. Les policiers expliquent alors avoir tenté le bouche-à-bouche et un massage cardiaque. En vain. Son décès est constaté à 5h15.
Les interprétations des faits
Au départ, s’appuyant sur les conclusions de la première autopsie, l’enquête de l’inspection générale des services (IGS), la fameuse « police des polices », a conclu à l’absence de faute des fonctionnaires de police. Depuis la seconde autopsie du corps de Lamine Dieng, l’enquête a avancé – lentement – au rythme des différentes expertises médicales visant à déterminer plus précisément les causes du décès.
La famille de Lamine Dieng, qui s’est portée partie civile depuis le début de l’enquête, compte justement s’appuyer sur la dernière expertise, datée de juin 2010. Pour la première fois, les conclusions hiérarchisent davantage les causes de la mort.
Répondant à une question des parties civiles, les médecins légistes précisent désormais :
« Oui, l’asphyxie mécanique (cause du décès) est due à l’appui de la face contre le sol maintenue au niveau crânien. »
Dans les expertises précédentes, l’accent était plutôt mis sur l’aspect multifactoriel de la mort. Désormais « l’absorption de cocaïne et de cannabis à forte dose » est toujours constatée mais se trouve présentée comme ce qui a « aggravé » l’asphyxie.
Le rapport de la CNDS rappelle par ailleurs que, pour un cas similaire (Arrêt Saoud contre France, 09/10/2007), la France a été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH).
« Cette forme d’immobilisation a été identifiée par la pratique internationale comme hautement dangereuse pour la vie, l’agitation dont fait preuve la victime étant la conséquence de la suffocation par l’effet de la pression exercée sur son corps. »
Un membre de la CNDS explique toutefois aux Inrocks que l’influence de la commission est variable et difficile à définir. « Des fois, le tribunal nous invoque, des fois pas du tout. Cela dépend beaucoup des avocats. »
Les suites possibles de l’instruction
La question centrale est désormais de savoir si, oui ou non, il y a eu un usage disproportionné de la force de la part des fonctionnaires de police. C’est pourquoi le juge a décidé de conférer le statut de témoin assisté aux policiers.
Si les parties civiles y voient une première victoire symbolique, ce statut permet également aux policiers d’avoir accès au dossier et donc d’organiser leur défense avec l’aide d’un avocat.
Depuis l’année dernière, le juge a organisé dans son bureau une confrontation pour tenter de mettre face à face les divergences ou incohérences de points de vue. Désormais, les avocats des deux parties attendent qu’il prononce soit un « non lieu » (il classe l’affaire), soit une mise en examen des policiers, ouvrant ainsi la voie vers un procès.
Geoffrey Le Guilcher
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