Le hussard de la VIe face au grognard de la Ve : Arnaud Montebourg, candidat à la primaire socialiste, et Henri Guaino, conseiller spécial et plume du président, confrontent leur idéal républicain.
Il y a des différences fondamentales entre vous. Arnaud Montebourg, vous mettez l’accent sur les contre-pouvoirs, et vous, Henri Guaino, sur la vertu républicaine…
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Henri Guaino – Les contre-pouvoirs institutionnels sont à mes yeux antinomiques de l’idée de République. La multiplication des contre-pouvoirs institutionnels dissout la souveraineté populaire. C’est pour moi l’exact contraire de la République. Les pouvoirs qui se paralysent réciproquement, aussi. La République, c’est la séparation et l’équilibre des pouvoirs, non pas la concurrence des pouvoirs. Je suis un partisan résolu de la République gaullienne ! La Ve République a permis que la République redevienne gouvernable avec un président élu au suffrage universel qui incarne l’unité et le destin de la nation. C’est mieux que le régime des partis. C’est mieux qu’un pouvoir sans visage.
On a dit que la conception française de la souveraineté indivisible était dangereuse mais, quand on regarde l’histoire, à part quelques mois sous la Terreur, cela n’a pas donné un système plus liberticide. La garantie contre la tyrannie n’est pas dans les institutions, mais dans les valeurs partagées, dans la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de manifester, le multipartisme, l’Etat de droit… Vous dénoncez, monsieur Montebourg, le risque d’une politique des caprices. Où voyez-vous ce risque ? La France est gouvernée plus sérieusement depuis 1958 que sous l’empire du régime des partis des IIIe et IVe Républiques. Vous savez, la France a atteint depuis longtemps l’âge de la pleine maturité démocratique. Quand le pays ne veut pas d’une politique, elle ne peut pas être mise en oeuvre. Souvenez-vous de l’école libre sous Mitterrand, du plan Juppé en 1995, du CPE en 2006…
Arnaud Montebourg – Je ne remets pas en cause l’élection du président de la République au suffrage universel. Mais nous avons besoin non pas d’affaiblir l’Etat mais de le re-légitimer. Les contre-pouvoirs sont nécessaires pour modérer la prise de décision, car la société n’accepte plus d’être gouvernée par l’infantilisme…
Henri Guaino – Mais elle ne l’a jamais accepté !
Arnaud Montebourg – C’est une des raisons pour lesquelles je défends l’idée que nous avons besoin aujourd’hui de fonctions d’arbitrage. Tout est politisé et partisan. Nous avons besoin de construire des compromis durables sur tous les sujets, notamment concernant la sortie de crise ; concernant la remise en marche de l’appareil industriel du pays ; pour faire face aussi à la crise écologique, qui n’est pas une invention des Verts mais qui est réelle.
Henri Guaino – La Ve République nous a sortis du lamentable régime des partis et a rendu son autorité à l’Etat. Le danger principal qui nous menace aujourd’hui n’est plus dans la trop grande puissance de l’Etat mais dans son dramatique affaiblissement. Vous vous souvenez du mot du général de Gaulle : « Les féodalités n’aiment rien moins qu’un Etat qui fasse son métier et qui par conséquent les domine ». Alors donnons plutôt à l’Etat les moyens de dominer les féodalités !
La question, c’est de savoir si cet affaiblissement républicain s’est aggravé ou a commencé à être corrigé pendant le mandat de Nicolas Sarkozy. Arnaud Montebourg a l’air de dire que ça s’est aggravé… Henri Guaino –
On peut être en désaccord avec la politique de Nicolas Sarkozy, mais l’honnêteté devrait obliger à reconnaître qu’il a rompu avec l’idéologie de l’impuissance publique. Jamais, depuis des décennies et face à des circonstances aussi dramatiques, l’Etat n’a fait preuve d’un tel volontarisme, qui est le préalable à la reconstruction de l’Etat républicain. Je trouve le procès en démolition de la République parfaitement ridicule. Quels sont donc les coups portés depuis quatre ans au modèle républicain ?
Il y a eu la discrimination positive, la laïcité positive…
Henri Guaino – La République a fait les bourses scolaires et l’aménagement du territoire, qui étaient des formes d’une discrimination positive républicaine. Cette expression, il est vrai, crée la confusion en renvoyant à une tradition politique très éloignée de la nôtre. Mais, concrètement, y a-t-il eu des mesures susceptibles de s’inscrire dans une perspective de différenciation des droits ? Non ! Les quotas ethniques ont-ils été instaurés ? Non ! Le gouvernement a fait les internats d’excellence. Est-ce républicain ? Oui ! Quant à la laïcité positive, c’était peut-être aussi une mauvaise expression, mais qui exprimait une idée juste, à savoir que la laïcité est un principe de respect. Ce qui était exactement la position de Jules Ferry…
Arnaud Montebourg – La conception de la laïcité qui a été mise en oeuvre par le pouvoir, que vous servez et défendez, est une preuve de plus de l’affaissement de la République, y compris devant la religion. Jamais le général de Gaulle, qui ne s’est jamais signé dans aucune circonstance, n’aurait accepté le discours de Latran, qui exalte les racines chrétiennes de la France. Non pas que ce ne soit pas un fait, mais qui dit racines dit que tout ce qui n’est pas racines n’est pas dans la souche mais dans la greffe, et donc est une forme de corps étranger. La laïcité, telle qu’elle a été conçue en 1905 et telle qu’elle n’a pas été touchée jusqu’ici, est l’outil du rassemblement et du respect commun. Ce n’est pas une loi d’exaltation de la religion ni une loi de stigmatisation de certaines autres religions. C’est une loi d’absolu respect des cultes et de neutralisation du champ politique.
Henri Guaino – Les racines chrétiennes, c’est un fait de civilisation, pas une prise de position religieuse. A Latran, il y avait une demi-phrase qui posait problème au républicain que je suis (la prééminence du curé sur l’instituteur – ndlr). Mais soyons sérieux, la loi de 1905 est toujours là, elle est bien là et personne n’a tenté d’y toucher. Depuis quatre ans, il n’y a eu aucune intervention législative ou réglementation portant atteinte au principe de laïcité tel qu’il nous a été légué par la tradition républicaine.
Arnaud Montebourg – Concernant la fiscalité, l’Etat s’est tout simplement mis au service des riches…
Henri Guaino – La détaxation des heures supplémentaires, c’est pour les riches ? L’exonération des droits de succession jusqu’à 300 000 euros, c’est pour les riches ? La réforme de l’impôt sur le patrimoine : elle est autofinancée. Où est le cadeau aux riches ? Le bouclier fiscal ? Une idée de Michel Rocard en 1988 ! Et il va être supprimé.
Arnaud Montebourg – Lorsqu’au nom du bouclier fiscal des chèques sont faits à des gens qui n’ont pas de problème de pouvoir d’achat, il est difficile à expliquer que votre politique fiscale est juste.
Henri Guaino – Le chèque n’était pas un cadeau, mais le remboursement d’un trop-perçu.
C’est le prochain mandat de Nicolas Sarkozy qui sera celui de la correction ?
Henri Guaino – Beaucoup de réformes ont été entreprises qui porteront leurs fruits dans la durée. Mais pour sortir du système qui nous a conduits aux crises dans lesquelles nous nous débattons ou qui nous menacent, il faut inscrire le choix de la République dans la perspective que le président de la République a tracée dans le discours de Toulon à l’automne 2008. Arnaud Montebourg disait au début de notre échange qu’il faudrait construire des consensus durables. On l’a fait après la Libération avec le programme du CNR. J’aurais aimé qu’après Toulon la gauche réformiste dise « Chiche ! ». Hélas, elle ne l’a pas fait.
Arnaud Montebourg – C’est un très beau discours. Il n’a été suivi d’aucun acte. Mais vous avez une très belle plume !
Henri Guaino – Vous n’avez pas bien suivi l’actualité : la France s’est engagée résolument sur tous les fronts ouverts par le discours de Toulon. Si la gauche avait soutenu cette ambition de régulation de la mondialisation et du capitalisme financier, peut-être la France aurait-elle été encore plus forte, et la République aussi…
Une dernière question sur ce qui se passe en Espagne. N’y a-t-il pas une grosse crise de la représentation ? Est-ce que la République y répond ?
Henri Guaino – Avec la crise d’un système économique et politique qui s’était construit contre elle, contre ses principes, contre ses valeurs, les circonstances sont de nouveau propices à sa renaissance. Mais voulons-nous collectivement nous imposer de nouveau cette exigence qui nous a toujours tirés vers le haut ? Voilà pour moi la question décisive.
Arnaud Montebourg – Ce que sont en train de dire les jeunesses européennes, et la jeunesse française ne tardera pas, c’est que le choix des banques au détriment des peuples se paiera très cher, pour les socialistes qui l’ont fait, c’est le cas de Zapatero, et pour les gouvernements de droite, quels qu’ils soient : Berlusconi, Merkel, Sarkozy…
A lire Votez pour la démondialisation ! d’Arnaud Montebourg, préface d’Emmanuel Todd (Flammarion), 86 pages, 2 euros.
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