Devenue ces dernières années un phénomène international, la série japonaise de jeux de chasse aux monstres revient sur Switch avec un nouvel épisode très réussi. Et aussi : l’inventif et très émouvant “Lost Words : Beyond the Page” et la grosse déception “Balan Wonderworld“ par le créateur de Sonic.
Et soudain, entre deux roulades, le lapin géant se met à nous lancer d’énormes boules de neige. Serait-ce une plaisanterie ? Pas du tout, et même si la séquence peut faire sourire, il faudra quand même rester attentif·ve pour remplir (sans trop mordre la poussière) l’objectif de notre mission de chasse. Et, donc, triompher du Lagombi – car tel est son véritable nom – que l’on nous a envoyé traquer en ces terres de glace avec nos chien et chat (ou presque : nos petits compagnons de combat leur ressemblent énormément). Ensuite, on rentrera au village pour faire le point sur les plantes et matières premières rapportées de notre expédition, voir s’il y a moyen d’améliorer nos armes et équipements de protection et, en bavardant un peu avec Fugen l’ancien, Hamon le forgeron ou Kamitsu la gourmande, nous remettre de nos émotions. Avant, bien sûr, de choisir une nouvelle quête, puis une autre, et une autre encore. La fièvre Monster Hunter reprend très fort.
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La chasse aux monstres est lancée
Longtemps, on a répété les mêmes choses sur le phénomène Monster Hunter, sur sa spécificité japonaise, sur le fait qu’il n’arrivait à prendre que modérément en Occident, sur ses modes multijoueurs qui se pratiquaient davantage en “présentiel” (en venant chacun avec sa console portable Sony ou Nintendo) que via Internet, mais tout ça a fini par changer. Avec Monster Hunter : World, son épisode paru en 2018 à la structure et au récit plus proches des standards du blockbuster ludique international, le jeu de chasse aux monstres de Capcom a enfin conquis le monde. Cumulant 16,8 millions de copies écoulées à ce jour, il est même devenu le jeu le plus vendu de toute l’histoire de l’éditeur japonais.
Jeu d’enfants
Réservé pour l’heure à la Switch et attendu l’an prochain sur PC, Monster Hunter Rise n’est cependant pas un véritable successeur de World. Développé parallèlement à ce dernier, il se rapproche beaucoup plus des Monster Hunter canal historique, pensés d’abord comme des collections de quêtes à mener que comme des aventures strictement scénarisées. L’idée, pour aller vite, c’est qu’on lance une partie comme on déciderait d’aller faire un tour en forêt plutôt que comme on démarrerait un film. Même si l’on est déjà venu bien des fois dans ladite forêt, la balade ne sera jamais exactement la même, en particulier si l’on s’y rend à plusieurs. Il y a ce que le jeu nous demande de réaliser et ce qui nous arrive vraiment, ce que l’on fait dans le détail, ce que l’on ressent. Et qui, plus que tout le reste, a vocation à se raconter, à devenir récit a posteriori, d’une manière comparable à celle d’un jeu d’enfants transfiguré en grande aventure par l’imagination des participant·es. Tu te souviens quand on est allés là et qu’il s’est passé ça ? Et comme on a eu peur à ce moment-là ? Et tu te rappelles quand Machin s’est mis à faire n’importe quoi et qu’il a fallu s’enfuir très vite ?
Avec sa cité-refuge qui, dans une série plutôt réputée pour sa sauvagerie, réussit l’exploit d’être jolie, son répertoire aussi riche que varié de missions de chasse et d’exploration et son bestiaire de 61 monstres (qui s’agrandira au fil des prochaines mises à jour gratuites ou payantes), Monster Hunter Rise fait figure d’aboutissement pour cette branche d’une série qui a pu passer au fil des années pour le World of Warcraft japonais (avec la dimension “sociale” des parties), pour un Pokémon mature (car, là aussi, les monstres sont les vraies vedettes), voire pour un Shadow of the Colossus revu en expérience sanguinaire (mais dont on admire les créatures colossales quand même). Monster Hunter Rise pourrait aussi être vu comme un jeu de rôle japonais dont n’auraient été conservées que les quêtes secondaires (un Final Fantasy XII, disons, ou un Xenoblade Chroniques) et même comme un Animal Crossing (pour le village-foyer et ses habitant·es, entre autres) où les bestioles que l’on attrape passeraient vraiment un sale quart d’heure.
Nature et découvertes
Rien de bien original, alors ? En fait si, justement : alors que la tendance générale est à la multiplication des activités au sein d’un même titre, Monster Hunter conserve sa ligne, celle, pour aller vite, de la simulation de scoutisme, avec course d’orientation en pleine nature et observation attentive de la faune et de la flore. Les premières heures de jeu puis les premières chasses sur un nouveau territoire ne sont ainsi pas loin de se révéler les plus exaltantes. On découvre la topographie des lieux et les animaux qui les habitent. On se demande comment atteindre tel ou tel point de la carte, et on finit par trouver (par exemple en utilisant des filoptères, nos nouveaux “grappins organiques”). Parfois, le chasseur que nous sommes censés être s’arrête pour contempler les animaux. Pour les regarder bouger, en guettant la façon dont ils interagissent entre eux. C’est d’un apprentissage qu’il s’agit, et à tous les niveaux, car s’ils ne manquent pas de possibilités, les systèmes de jeu ne se donneront pas sans effort et bien des joueurs risquent de tâtonner avant de les maîtriser. Plus tard viendra la planification des assauts plus délicate à mener (en solo ou avec quelques comparses). Monster Hunter Rise flirte alors avec le jeu de stratégie, au sens où il faudra bien élaborer la nôtre en fonction du terrain de chasse et de ce qu’il nous fournit comme outils.
A première vue, jouer à Monster Hunter Rise revient à renouer avec une certaine bestialité. On aurait pourtant tort d’y voir une exaltation univoque d’un supposé état de nature et d’une brutalité primitive car le processus dans lequel le jeu nous engage est le contraire d’un bond en arrière. Au fil de l’aventure, on n’aura de cesse de développer notre équipement autant que nos tactiques ainsi que la dimension “sociale” du jeu, virtuelle à travers les relations qu’on l’on entretient avec les personnages contrôlés par le programme et plus réelle avec nos partenaires humains rencontrés par Internet. Ce que rejoue presque en douce Monster Hunter Rise, c’est la marche vers la civilisation à travers le progrès et la socialisation. C’est ainsi une expérience de la barbarie qui, dans le même geste, nous en présente la sortie. Un grand jeu réconciliateur, en plus d’un saisissant monde sauvage de compagnie.
Monster Hunter Rise (Capcom), sur Switch, environ 60€. A paraître sur Windows en 2022.
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Et aussi :
Lost Words : Beyond the Page
Disponible depuis l’an dernier sur le service de cloud gaming Stadia, Lost Words arrive aujourd’hui sur les machines à jouer plus traditionnelles, ce qui devrait permettre à ce titre aussi inventif qu’émouvant de trouver un nouveau public. Ecrit par Rhianna Pratchett, le jeu nous fait partager les rêves et les inquiétudes d’une petite fille dont la grand-mère est hospitalisée. La belle idée de Lost Words, c’est de nous faire jouer littéralement avec les mots : en les déplaçant sur le journal que rédige la jeune Barbara (d’une manière qui rappelle If Found…) ou sur les décors même de l’histoire qu’elle écrit et dans laquelle elle se retrouve projetée. Ici, les mots sont “magiques” et constituent les principaux pouvoirs de l’héroïne. Par exemple, déplacer à l’écran le mot “relever” sur une plateforme la fera monter, et nous avec. A nous de piocher le bon dans notre répertoire qui se remplit au fil des chapitres : va-t-on choisir “réparer”, “éteindre”, “casser” ? Si le principe peut rappeler certains jeux d’aventure point & click d’antan, il n’y a pas vraiment besoin ici de se creuser la tête, l’essentiel étant dans la mise en scène à la fois métaphorique et sans fard du parcours de la fillette. Aussi délicat que marquant, Lost Words est une pépite ludique qu’il serait dommage de rater.
Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, Sketchbook Games / Modus, environ. A paraître le 6 avril.
Balan Wonderworld
C’est triste. Triste de voir un créateur qui a beaucoup compté faire naufrage sur à peu près tous les plans. On avait pourtant envie de croire que Balan Wonderworld marquerait le retour au premier plan de Yuji Naka, l’un des pères de Sonic qui renouait pour l’occasion avec son vieux complice le character designer Naoto Oshima. Est-ce qu’il n’allait pas y avoir quelque chose de l’enchanteur Nights into Dreams dans leur nouvelle création très bariolée, scintillante et musicale ? En réalité, non : de sa prise en main (laborieuse) à son mode de progression (confus), de la lisibilité de ses architectures à sa direction artistique en passant par la mise en scène des micro-récits individuels sur lesquels reposent chacun de ses chapitres (un peu comme dans Psychonauts, mais en raté), rien ne va vraiment dans ce jeu de plateforme en 3D qui, sur le papier, avait beaucoup pour plaire. A commencer par le principe de costumes à enfiler par notre personnage qui démultiplient ses capacités et, donc, renouvellent la manière d’aborder les niveaux. Ponctuellement, ça fonctionne, mais leur profusion (on en compte 80 !) ajoute surtout de la frustration. La déception est cruelle.
Sur Switch, PS4, PS5, Xbox One, Xbox Series X/S et Windows, Square Enix / Arzest, environ 60€
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