Retour sur l’année 2018 avec Sébastien Bénard, game-designer de Dead Cells. Le jeu français est le premier indé à remporter le Game Award du meilleur jeu d’action.
« J’ai beau connaître le jeu par cœur, je me fais toujours butter avant la fin… » Il n’aura fallu qu’une petite vingtaine de minutes pour extraire à Sébastien Bénard cette terrible confession. Pourtant, on se garde bien d’ironiser sur le niveau manette en mains du game-designer de Dead Cells – pour cause, après une bonne quinzaine d’heures on est à peine parvenu à occire plus de trois fois le premier boss. Le premier jeu pour PC et consoles de la Scop bordelaise Motion Twin ne se laisse pas dompter facilement, malgré son apparente simplicité et ses couleurs attrayantes. A la rencontre de plusieurs tendances fortes de ces derniers temps (pixel-art, niveaux modélisés automatiquement par un algorithme et exigence du gameplay) le jeu indé français, sorti cet été, aura été l’une des sensations gaming de 2018, jusqu’à se frayer une place sur notre podium des meilleurs titres de l’année.
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Début décembre, Dead Cells a reçu le Game Award du meilleur jeu d’action. Qu’est-ce que cela représente pour un studio indépendant comme le vôtre de remporter une telle distinction ?
Sébastien Bénard – Honnêtement, c’était une grosse surprise. Bon, déjà on ne connaissait pas très bien les Game Awards donc on n’avait pas forcément conscience de la chose. On découvre maintenant que les gens nous en parlent. On a été surpris par l’importance de l’événement mais c’est vrai que lors de la cérémonie, quand j’ai revu la liste des prétendants je me disais qu’on n’avait aucune chance face à des gros jeux comme Far Cry et Call of Duty. Quand ils ont cité notre nom, on était un peu tous le cul par terre. On ne réalise pas encore complètement.
D’autant que vous êtes les premiers indépendants à gagner ce prix. Avant vous les lauréats se nommaient Doom, Wolfenstein, Metal Gear…
Il y a une catégorie jeux indé, où on s’est fait doubler par Celeste qui a largement mérité son titre. Mais dans les autres catégories, les jeux indé étaient jusque-là présents parfois parmi les nommés mais rarement du côté des gagnants. C’est donc encourageant parce que je me dis qu’on reconnaît une certaine qualité intrinsèque au jeu indépendant, généralement reconnue dans le milieu par la presse mais jamais de manière officielle. Et c’est plutôt cool de se dire que dans certaines catégories, le jeu d’action par exemple, l’énorme machine marketing peut être mise à mal par des productions plus petites.
Dead Cells est assez exigeant et même parfois punitif. Pourtant, sa prise en main est simple et surtout ses graphismes sont colorés. Est-ce que vous aviez l’envie de rester grand public ?
En interne, on cite forcément des références comme Castelvania ou Dark Souls qui se déroulent dans des univers assez sombres, voire glauques. Quand on s’est dit qu’on voulait faire un jeu exigeant et qui allait répondre à certains canons, l’idée n’était pas de reprendre tous les codes du genre et faire redite. C’est pour ça, pour marquer notre différence, que sur la partie graphique, on s’est lâché sur les couleurs pour avoir un rendu assez acidulé.
Pour ce qui est des contrôles, c’est plutôt que si on souhaitait faire un jeu difficile, on avait à cœur qu’il soit juste. On a tous été marqués par des jeux difficiles uniquement parce que les contrôles étaient pourris, ou où l’on se fait tuer sans comprendre pourquoi. Des jeux qui créent un sentiment d’injustice. Nous voulions que si le joueur meurt, ça soit de sa faute et pas un défaut du jeu.
La force du jeu c’est que même si on recommence chaque partie au même point de départ, grâce aux différentes armes par exemple, vous réussissez à faire que ne s’installe pas une sorte de monotonie.
Nous sommes de gros joueurs de RPG à la Diablo où l’on va trouver une multitude d’armes mais dont les caractéristiques ne vont pas énormément changer. Je trouvais ça plus intéressant d’un point de vue du gameplay d’avoir un choix plus restreint mais où chaque arme disponible a sa capacité propre, sa manière d’être utilisée.
Reste qu’on avait peur qu’une fois qu’un joueur ait trouvé sa bonne combinaison il choisisse uniquement de continuer dans cette voie-là – ce qui pourrait devenir lassant. Mon objectif c’est d’obliger le joueur à varier, à sortir de sa zone de confort. Lui dire : « Essaye cette façon de jouer, peut-être qu’elle te plaira ».
Comment jauge-t-on la difficulté pour qu’elle puisse satisfaire autant un joueur habitué que le grand public ?
Ma femme, pas du tout joueuse hardcore, joue à Dead Cells depuis sa sortie et ça m’a beaucoup surpris. Je ne l’ai pas forcée, je lui ai juste montré une fois le jeu quand il est sorti sur Switch mais en fait elle y joue beaucoup. Elle ne passe pas le tout premier boss du jeu et pourtant elle y revient. J’ai beaucoup discuté avec elle pour comprendre. Elle me dit que battre le premier boss, oui ça serait chouette et que c’est un objectif mais que le chemin jusqu’à lui est rigolo. Ça a toujours été primordial dans le cadre de Dead Cells, de faire en sorte que ça ne soit pas la finalité qui soit importante, mais que dès le premier niveau et dès la première arme le jeu soit drôle. Que le joueur ait très vite une sensation de puissance et de progression. On essaye de faire un jeu difficile et où la mort est permanente mais qui puisse être joué par à peu près tout le monde.
Comment expliquer le retour depuis Dark Souls de jeux plus difficiles et exigeants ?
C’est vrai que pendant une période, on n’avait de moins en moins de jeux avec du challenge. Des titres où la mort n’était presque plus présente. Le problème c’est que quand on édulcore trop, à un moment donné il manque quelque chose, une raison. Les jeux à mort permanente rendent une certaine saveur au fait de se dire « j’ai battu tel monstre, c’était difficile, je m’y suis repris à plusieurs fois mais au bout d’un moment je me suis posé, j’ai réfléchi ou je suis monté en compétence et j’ai fini par le battre ». Cette saveur de se dire qu’on ne doit cette victoire qu’à soi-même, que ce n’est pas le jeu qui vous a pris par la main pour vous faire passer le boss.
Il n’y a jamais eu autant de jeux vidéo français qu’en 2018. Comment expliquer ce phénomène ?
Il y a eu une évolution assez marquée notamment avec le syndicat national du jeu vidéo, le SNJV, ou les aides comme celles du CNC. Beaucoup de mécanismes mis en places ces dernières années qui permettent à des projets qui sont en recherche de budget de simplement survivre. Avant, quand il n’y avait plus de fonds, le jeu s’arrêtait. Aujourd’hui, il y a beaucoup de moyens qui sont mis en place par l’Etat pour soutenir les productions. Ça a un peu endigué la fuite, notamment vers Montréal où la plupart des talents partaient. A présent, on a de plus en plus d’avantages qui permettent de rivaliser avec l’industrie mondiale, avec pour conséquence que les talents viennent ou restent en France.
Dans le cadre de Dead Cells nous avons été soutenus par le CNC et s’il n’y avait pas eu cette subvention là, le projet aurait sans doute été abandonné en début de course – et je pense qu’on n’est pas les seuls dans cette situation-là.
Propos recueillis par Cyril Camu
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