La légende lui prête un fluide divin, un regard hypnotique… et un sexe disproportionné à faire trembler le Marquis de Sade ! Mais c’est l’ascendant néfaste qu’il exerça sur le dernier tsar de Russie qui le fit entrer dans l’Histoire. Une riche enquête sur Arte fait la lumière sur la vie mouvementée et la mort mystérieuse de ce sulfureux personnage.
Raspoutine ! Tout le monde connaît ce nom, ne serait-ce que pour avoir entendu à la radio crachouiller le vieux tube disco de Boney M – » Ra Ra Rasputin, Russia’s greatest love machine « – ou pour avoir découvert sa mine patibulaire (mais presque) dans un Corto Maltese – bien que le facétieux brigand sociopathe, brossé par Hugo Pratt, n’ait de commun avec le personnage historique que la barbe filandreuse, la tignasse hirsute, le regard de chaman flippant et ce nom, claquant comme une rafale de blizzard dans la taïga sibérienne.
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Que dire aussi de la légende qui lui colle à la chemise ? On voit en lui un génie du mal, un manipulateur, tirant les ficelles d’un empire déliquescent, la Russie des tsars, dont il aurait précipité la chute. Ou encore un mystique débauché, usant de son magnétisme de braise pour faire tomber ces dames comme des mouches, allant parfois jusqu’à violer les plus récalcitrantes.
30 centimètres, pas moins
Hum. Oserais-je vous parler de son chibre d’or, objet de tous les fantasmes ? Allez. Ce bon vieux Rasp’ aurait été doté d’un sacré piège à filles, un joujou extra avoisinant la taille d’un concombre ! Émasculé par ses assassins ( toujours selon la légende), son pénis de 30 cm (!), barbotant désormais dans le formol, serait conservé au musée de l’Érotisme de Saint-Pétersbourg. Il va sans dire que la véracité de ces affirmations est on ne peut plus discutable. Quant à la-dite relique, une rapide vérification sur Google Image dissipera les rêveries fantaisistes. Pas besoin d’être spécialiste pour constater que l’attribut en question provient en réalité d’un animal. Pourtant certains historiens continuent de colporter ce fantasme. Au point qu’il devient difficile, parfois, de démêler ce qui, dans sa biographie, relève de la fable et de la réalité. Mais vous connaissez la célèbre phrase de John Ford dans L’Homme qui tua Liberty Valance : « When the legend becomes fact, print the legend » qu’on peut traduire à la louche par « Si la légende prend le pas sur les faits, imprimez la légende ».
Imprimer la légende, ce n’est visiblement pas le parti adopté par ce documentaire allemand, qui privilégie les témoignages sérieux au mythe coquin. Ne comptez donc pas sur le film d’Eva Gerberding pour en savoir davantage sur le braquemard de Raspoutine. Élaboré comme une enquête policière, avec saynètes animées et plans sublimes d’une Russie irréelle sous les glaces, il tente plutôt de restituer les évènements historiques qui ont jalonné sa vie hors du commun, nettement moins frémissante et orgiaque qu’on ne l’imaginait.
L’éminence grise du tsar et le chéri de ces dames
Assassiné de trois coups de feu puis balancé dans les eaux gelées de la Neva il y a pile un siècle, qui était Grigori Efimovitch Raspoutine ? Comment ce fils d’un modeste moujik sibérien, devenu moine itinérant, prétendument doté de dons médiumniques, et d’un incontestable talent de suggestion, a-t-il pu avoir ses entrées chez Nicolas II – dernier des tsars renversé en 1917 par la révolution bolchévique –, devenant son éminence grise et le confident, voire l’amant, de son épouse Alexandra ?
C’est simple : précédé d’une réputation de guérisseur au fluide divin (enfant, il prétendait avoir vu la Vierge), il fut introduit au palais impérial pour soigner le fils du tsar, souffrant d’hémophilie. Quelques paroles apaisantes auraient suffi à juguler l’hémorragie du petit Alexis. La joie de voir l’unique héritier du trône hors de danger et la fragilité psychologique de la tsarine aidant, notre gourou au regard perçant et au verbe envoûtant devient l’intime des époux impériaux et la coqueluche de la haute société pétersbourgeoise qui l’invite à des réceptions fastueuses auxquelles il prendra goût. Charmées par celui qu’elles considèrent comme un saint, les femmes se donnent à lui. Et les hommes, connaissant son influence auprès du tsar, iront parfois jusqu’à lui offrir leur épouse, pour obtenir des faveurs.
Meurtre mystérieux à Saint-Pétersbourg
Mais le pacifisme avéré de Raspoutine, qui voulut inciter le monarque à ne pas entrer en conflit contre l’Allemagne durant la Première Guerre mondiale, mécontentera les va-t-en-guerre du pays. D’autant que ses mœurs dissolues et l’ascendant qu’il exerce sur les souverains dérangent. La menace d’un complot contre lui, ourdi par le prince Felix Ioussoupov, se dessine alors, probablement attisée par la jalousie d’une partie de la noblesse espérant par la même occasion destituer Nicolas II de sa couronne. Des historiens émettront aussi l’hypothèse d’une intervention des services secrets britanniques.
Mais les zones d’ombre demeurent. Et le charme de ce documentaire – alliant aux archives d’une Russie pré-soviétiques de superbes travellings dans les rues enneigées de Saint-Pétersbourg – tient aussi aux approximations fumeuses entourant le charismatique héros, dont le film se garde bien, in fine, de déflorer le mystère.
Raspoutine, meurtre à Saint-Pétersbourg, documentaire d’Eva Gerberding, diffusé sur Arte, le 10 décembre à 20h50 et le 12 décembre à 15h30. Et également en replay sur le site de la chaîne.
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