Elles s’appellent Bleu de Paname, Archiduchesse ou French Trotters. A contre-courant des délocalisations systématiques, ces jeunes marques se réapproprient le made in France.
On cherche une marque française qui fabrique en France et on nous rigole gentiment au nez. En l’espace de cinq minutes, le manager d’une ligne de baskets en toile nous balance que « cela n’aurait aucun sens financièrement », et la boss d’une collection de fringues accolée à un label de musique nous dit que ce serait « une galère pas possible ». « Demandez sur le stand d’à côté, je crois qu’ils font ça… », suggère-t-elle tout de même. Pas de chance, la marque voisine ne produit plus rien en France depuis cette saison.
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Fin janvier, à Paris, dans les allées de Capsule, salon couru par de nombreuses marques émergeantes et quantité d’acheteurs, la production française est invisible, inconcevable. Les marques tricolores présentes y ont renoncé et assument crânement. « Pour nous, produire en France, ce serait trop cher, trop long, trop compliqué », résume un designer, presque surpris que l’on puisse même considérer le made in France comme une option viable en 2011.
A rebours de la logique de délocalisation, c’est pourtant le parti que viennent de prendre plusieurs jeunes marques de très bon goût. Elles ont pour nom Bleu de Paname, Bérangère Claire, Robinson les Bains, Archiduchesse, French Trotters, Veam, Pigalle, Bronzette, Bleu de Chauffe, Meilleur Ami ou Emissar, et font produire leurs collections à Dax, Limoges, Roubaix, Troyes ou Paris.
Quelques jours plus tard, on est chez Bleu de Paname, dans un hangar au bout d’une petite rue du XIe arrondissement. Sur des racks s’entassent les prototypes et les anciennes collections de la marque. Dans un coin, des boîtes remplies d’étiquettes en tout genre. Thomas Giorgetti, cocréateur de la marque, sourit : « Oui, oui, on s’occupe de ça nous-mêmes ici ». La semaine précédente fut d’ailleurs bien chargée : à deux, ils ont géré plus de deux mille étiquettes.
Chez Bleu de Paname, tout, à l’exception de quelques toiles de jeans en provenance du Japon, est made in France. Si l’essentiel des tissus vient d’une usine des Vosges, la confection se divise entre Roubaix, Villeneuve d’Ascq, Dax et un village du Massif central. Les finitions sont réalisées à Paris, dans ce minuscule atelier par lequel transite chaque pièce avant d’être expédiée en magasin.
« Le souci principal, c’est la qualité, dit Thomas Giorgetti, appuyé à la table de travail. En faisant produire en France, on a des garanties sur la fabrication et on a surtout la possibilité de suivre de près chaque étape de la production. Toutes les semaines, nous sommes sur place. A la moindre question, les usines peuvent nous appeler. Au moindre souci, nous pouvons immédiatement corriger le tir. Du coup, on finit toujours par obtenir exactement ce que l’on veut. » Il marque une pause. « Même s’il faut pousser les fabricants, parce qu’on a parfois l’impression de les déranger en leur filant du boulot… »
Les détracteurs du made in France appuient justement dans ce sens-là. En opposition avec le dynamisme des usines asiatiques, ils soulignent le manque de souplesse ou de sens pratique des fabricants français. A Capsule, une créatrice racontait par exemple qu’elle avait essayé de faire réaliser le prototype d’un gilet dans une usine bretonne :
« Comme ils n’avaient pas les boutons que nous souhaitions, nous leur avons dit que nous le ferions nous-mêmes. Mais quand le prototype est arrivé, il n’y avait pas de boutonnières. On ne pouvait pas fermer les boutons. Visiblement, cela ne leur avait pas effleuré l’esprit ! »
Parmi les tenants du made in France, l’argument trouve aussi une résonance. Thomas Giorgetti s’amuse des « sites pages perso Wanadoo » de la plupart des usines françaises. Christophe Vérot, créateur de Robinson les Bains, spécialiste du maillot de bain pour hommes, raconte lui qu’il n’a jamais obtenu la moindre réponse d’une usine avec laquelle il souhaitait travailler, malgré des dizaines d’appels téléphoniques, et autant de fax, de mails ou de mots glissés sous la porte.
« En cherchant un peu, on y arrive, dit-il pourtant. Certes, toutes les techniques de production ne sont plus disponibles en France et toutes les usines françaises ne font pas de la grande qualité, il faut être lucide. Mais il reste encore beaucoup d’endroits pour faire de belles choses.
Je travaille notamment avec une usine de Troyes, dans laquelle bossent une dizaine de personnes et il n’y a aucun souci. Eux comprennent la fringue. Je peux vous garantir pour l’avoir vu de mes yeux qu’en Chine, dans beaucoup d’usines, les gens sont incapables de reconnaître l’envers et l’endroit d’un tissu… »
Quand les partisans de la délocalisation pointent du doigt le manque de réactivité des usines françaises, les acteurs du made in France jouent sur du velours.
« Tu vois, dans La vérite si je mens 2, quand le gars reçoit une livraison de vêtements pour poupées parce que le fabricant a confondu centimètres et millimètres ? En fait, ça arrive en vrai à certaines marques », rigole Thomas Giorgetti.
« Quand on fait produire à l’étranger, il y a une peur terrible au moment d’ouvrir le carton, parce qu’on est toujours à la merci d’une mauvaise surprise, raconte Ophélie Klere, créatrice de la marque Dévastée. Dans le passé, nous faisions fabriquer en Italie, et nous avons reçu une fois une livraison de cardigans sur lesquels l’emplacement des boutons était simplement marqué par une croix, au crayon. On a cru que c’était une blague. Il faut passer des heures au téléphone pour expliquer ce que l’on veut. Moi, j’ai appris l’italien sur le tas, comme ça, à force de négocier avec les fabricants. C’est beaucoup de stress, beaucoup d’énergie. » Et en bout de course, aussi, beaucoup d’argent.
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