On aurait tendance à y voter davantage à l’extrême droite, à être replié sur soi et à y polluer davantage. Est-ce le reflet de la réalité ? Dans un passionnant ouvrage de synthèse, les sociologues Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, dressent un état des lieux de la France périurbaine et démentent les clichés à l’égard d’un territoire complexe, hétérogène et en pleine mutation.
Un quart des français – soit 15,3 millions de personnes – y habite et, pour le coup, la connaît très bien. Et puis, il y a ceux qui y travaillent, y consomment et la traversent, cette France goudronnée, rythmée par des rocades, des plateformes logistiques, des lotissements pavillonnaires standardisés ou encore des hangars en tôle préfabriqués abritant ces bons vieux Leclerc, Castorama ou IKEA.
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Aménagé à la hâte face à la pénurie de logements post-Seconde guerre, puis à partir des lois de décentralisation Defferre donnant aux maires (souvent inexpérimentés) le pouvoir de construire, le périurbain désigne une réalité constitutive du paysage et des modes de vie français. Exit la densité, les pouvoirs publics ont laissé pulluler ces habitations uniformes et ces commerces ressemblant parfois à des boites à chaussures métalliques. Et tout cela en préservant des zones de vide, afin que les riverains et consommateurs puissent jouir d’un décor plus ou moins champêtre. Mais aussi d’incessants trajets en voiture…
Cette réalité, la sociologie a mis bien du temps à s’en emparer. Dans leur ouvrage paru cet été, Hervé Marchel et Jean- Marc Stébé font même acte d’une « ignorance sociologique » avant les années 2000, à l’égard de ses territoires dans lesquels la population a pourtant doublé entre 1962 et 2016.
« Quand c’est flou, c’est qu’y a un loup »
Car il faut dire que pendant longtemps, le périurbain a peiné à être conceptualisé, s’appliquant à une zone plutôt floue, qui tend d’ailleurs à le rester. Car de quoi parle-t-on au juste ? Concurrencé par les termes de rurbanisation ou d’exurbanisation, le concept s’est finalement cristallisé dans les années 90. On s’accorde aujourd’hui à ce qu’il ne désigne « ni la ville ni la campagne », selon les mots de Martin Vanier, mais ces espaces au-delà de la première couronne urbaine constituée par la banlieue. La démarcation entre ces deux territoires, fortement imbriqués, demeure pourtant ardue à tracer, certaines zones périurbaines restent rattachées à plusieurs villes, et un nouvel espace, baptisé « pré-urbain » par les auteurs, émerge « aux confins du périurbain ». Situé « entre le périurbain traditionnel et l’espace rural », ce nouveau décor se caractériserait par une population âgée de moins de 20 ans supérieure à la normale, abriterait peu de retraités et « une majorité de catégories sociales modestes et moyennes-moyennes ».
Aussi approximatif et élastique soit-il, le périurbain se décline, selon Hervé Marchel et Jean- Marc Stébé, en trois familles : le périurbain industriel (bonjour les ZAC), le périurbain résidentiel et enfin, le périurbain mixte. Publié en 2010 mais toujours d’actualité, l’enquête de Télérama « Comment la France est devenue moche » reste un classique pour le décrire, autant que le symptôme d’une utopie d’accès à la propriété et à la consommation devenu un sérieux repoussoir dans l’opinion. Dans leur essai, les deux universitaires témoignent justement des souffrances éprouvées par certains riverains. En quête des raisons poussant les ménages modestes à acheter des maisons inachevées et décentrées, les sociologues découvrent des « ambivalences dans les discours » et soulignent un fort « sentiment d’isolement » s’accompagnant « d’une certaine lassitude devant des travaux qui n’en finissent pas ».
Une extension persistante
Autre zone d’ombre à l’égard du périurbain et à laquelle s’attaquent les sociologues : les dégâts environnementaux présumés et causés par cette dépendance à la voiture (80% des déplacements par les périurbains sont réalisés en voiture). Hervé Marchel et Jean- Marc Stébé ne minorent pas leur impact, mais nuancent l’approche qui voudrait faire de cette population les boucs émissaires du réchauffement. « In fine, à partir du moment où l’on prend en compte la mobilité de week-end et les déplacements longue distance, il ressort que les choses ne sont pas si simples.« , écrivent-ils, sans pour autant invoquer des chiffres, « La mobilité des habitants des centres-villes, réalisée le week-end souvent en voiture et parfois en avion, est nettement plus importante que celle des habitants des périphéries« .
Mais alors, faudrait-il pour autant soutenir ce modèle périurbain ? Pendant ce temps et malgré les critiques dont il fait l’objet, il continue à s’étendre. Il y a un an, le Nouvel Obs soulevait que « les surfaces commerciales continuent à croître de 3% chaque année, à 90% en périphérie des villes. » Intégré au Grand Paris, le projet Europa City, regroupant un cirque, un lac, une piste de ski et un parc d’attraction, est un exemple parlant. L’idéal résidentiel – pavillon, pelouse, entre-soi – quant lui séduit toujours. Les auteurs le rappellent en invoquant les travaux de Jacques Donzelot sur le pavillon comme « support d’affirmation de soi et de distinction » pour les classes modestes.
La France métropolitaine vs. la France périphérique
S’y ennuie-t-on peut-être moins ? Eh bien, ça dépend évidemment de chacun, et c’est bien ce que l’ouvrage écrit à deux mains ne cesse de mettre en évidence : l’existence d’un périurbain pluriel et mutant, havre de paix et de nature pour les uns, enclave clubisée ou enfer pour les autres. Les auteurs pondèrent de fait le constat fait par la presse, d’un périurbain attiré par l’extrême droite. Une idée qui a vu poindre son nez à partir des élections présidentielles de 2012. « C’est particulièrement le périurbain éloigné qui est concerné« , notent-ils, le vote frontiste demeurant à leur yeux « moins une question spatiale que sociale« .
Hervé Marchel et Jean- Marc Stébé dénoncent ainsi les thèses polémiques, à leurs yeux trop schématiques, du géographe Christophe Guilluy qui oppose une « France métropolitaine » à une « France périphérique ». S’appuyant sur les travaux de la sociologue Violaine Girard, notant que trois quart des catégories populaires vivent dans les villes, les sociologues refusent la polarisation au profit d’une approche transversale et plus fine, soulignant des phénomènes encore peu étudiés et pourtant à l’œuvre, comme la gentrification périurbaine (ses maisons d’architectes qui sortent de terre aux abords des villes) ainsi que le vieillissement des populations des lotissements pavillonnaires (et donc le sort des premiers bénéficiaires des Trente Glorieuse aujourd’hui cloîtrés dans des maisons peu adaptées à leur besoins).
Faut-il donc en finir avec le périurbain ? En attendant que le processus d’artificialisation des sols ne cesse au profit d’une densification, le professeur d’urbanisme à l’Ecole de Paris Martin Vanier invite les collectivités à davantage se coordonner afin de concevoir des territoires plus justes, plus durables, « à faire système », dit-il. Les réflexions sont ouvertes.
Hervé Marchal et Jean-Marc Stébé, La France périurbaine, PUF, 2018.
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