“Minit”, “Not A Hero”, Crossing Souls” : quelques mois après “Enter the Gungeon” et en attendant “The Messenger” et “Broforce”, trois nouveaux jeux de Devolver Digital viennent de sortir coup sur coup sur la console de Nintendo. Qui, loin de l’image “familiale” de la bande à Mario, est devenue aujourd’hui l’une des plateformes de prédilection de cet éditeur américain pas comme les autres.
Ils appellent ça le “Summer of Devolver”. Plus précisément : l’été de Devolver “sur la Nintendo Switch”, qui semble devenue depuis peu la plateforme de prédilection de l’éditeur américain qui, dans le monde du jeu vidéo, est probablement ce qui se rapproche le plus d’un label de punk rock, pour reprendre une comparaison établie en 2014 par The Verge et qui n’a depuis rien perdu de sa pertinence. Mieux : en 2018, Devolver Digital est un label punk qui a grandi sans se trahir, s’est diversifié, et ne craint pas de surprendre comme, il y a quelques jours à peine, en annonçant un titre aussi inattendu que Gris du studio barcelonais Nomada, qui promet un “voyage au cœur de la tristesse” dans un style esthète et mélancolique qui tranche furieusement avec l’approche brutale et/ou subversive sur laquelle l’éditeur basé à Austin, Texas, a construit sa réputation.
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Une réputation savamment entretenue, d’ailleurs, avec les saillies sur les réseaux sociaux de son CFO (soit directeur administratif et financier) Fork Parker – un personnage tout à fait fictif – ou ses vraies-fausses conférences organisées depuis deux ans dans le cadre du salon E3 et qui sont un peu à l’industrie vidéoludique ce que furent longtemps à celle du cinéma les parades de la société de production de films de série Z Troma en marge du festival de Cannes.
Simulations de meurtre ou de préparation de cocktails
Au commencement était Serious Sam, vieille série de FPS potaches dont, allié à ses créateurs croate du studio Croteam, Devolver Digital a récupéré les droits à l’époque de sa création, en 2008. S’ensuivit une bonne demi-douzaine de remakes, suites ou spin-offs des aventures du musculeux Sam “Serious” Stone en lutte contre de méchants aliens avant que Devolver n’opère son virage indé en 2012, avec Hotline Miami, simulation de meurtre et cauchemar lyncho-cronenbergien instantanément culte et néanmoins profondément perturbant. Depuis, c’est l’avalanche, avec jusqu’à une quinzaine de nouveaux jeux par an, ce qui, pour un éditeur de la dimension de Devolver – une quinzaine d’employés en 2017 – est considérable. Mais, si son catalogue est en réalité plus divers qu’on ne pourrait le supposer à première vue (avec, en vrac : du skate, du l’urbanisme écolo ou de la préparation de cocktails), il n’en révèle pas moins un certain nombre de partis pris.
Le plus évident : Devolver est cosmopolite. Parmi les jeux qu’il édite, on trouve des productions américaines ou britanniques, mais aussi néerlandaises (Luftrausers), suédoises (Hotline Miami), espagnoles (Crossing Souls, The Red Strings Club), brésiliennes (Heavy Bullets), polonaises (Shadow Warrior), russes (Pathologic Classic HD), sud-africaines (Broforce, Genital Jousting) ou encore japonaises (avec l’adaptation du visual novel Hatoful Boyfriend et le futur Metal Wolf Chaos XD). Deux petits Français font également partie du club : l’impressionnant Absolver des Parisiens de Sloclap et le beat’em up à l’ancienne – pensez Double Dragon ou Streets of Rage – Mother Russia Bleeds, signé par Le Cartel Studio.
Douze jeux Switch d’ici la fin 2018
Aujourd’hui, donc, Devolver investit la Switch, confirmant à la fois que l’eShop de la console hybride est bien devenu une destination clé pour la scène indé et, dans le sillage de Bethesda (Doom, Wolfenstein 2, prochainement Doom Eternal), que Nintendo ne craint les jeux violents, grossiers et un peu mal élevés. Pour l’heure, quatre jeux Devolver sont déjà disponibles sur la Switch : Enter the Gungeon (qui était arrivé le premier), Not A Hero, Crossing Souls et Minit. Un cinquième (The Messenger) les rejoindra le 30 août, Broforce ne devrait plus trop tarder non plus et ils devraient être au total pas moins de douze d’ici la fin de l’année, sans que tous les titres concernés ne soient encore connus. On ignore par exemple encore si les Hotline Miami ou l’étonnamment fin jeu de combat de pénis (oui, ça existe vraiment) Genital Jousting sera de la partie – on aimerait assez. Mais les titres déjà disponibles sur la Switch, et en particulier les trois derniers arrivés, sont très représentatifs de ce qu’est le style Devolver.
Le “Stranger Things” du jeu vidéo
Rétro. C’est le premier mot qui vient à l’esprit en découvrant nombre de jeux Devolver, et en particulier le trio Crossing Souls – Minit – Not A Hero. Parce qu’ils s’affichent et se pratiquent en 2D comme bon nombre de succès de l’éditeur et empruntent sans s’en cacher à certains genres du passé, mais aussi, et plus profondément, pour le rapport quasi-amoureux qu’ils semblent entretenir avec une autre époque, généralement les années 80. Ce n’est pas un hasard si Crossing Souls (qui, pour son avalanche de références et son ambiance très Amblin, est souvent présenté comme le Stranger Things du jeu vidéo) se déroule en 1986, après Hotline Miami qui, lui, situait son intrigue en 1989. Pas un hasard non plus si les personnages de Broforce s’inspirent de ceux incarnés à l’écran jadis (comprendre : dans les années 70 à 90) par Stallone, Schwarzenegger, Bruce Lee, Jean-Claude Vandamme ou Chuck Norris. De là à en déduire que l’affaire Devolver ne serait qu’un nouvel épisode de la grande histoire du commerce de la nostalgie et de la connivence fétichiste, il n’y aurait qu’un pas.
Allure low-tech et satire politique
Sauf que non, ou en tout cas pas seulement. Si les jeux Devolver regardent vers le passé, ce n’est pas parce que c’était nécessairement mieux avant, mais plutôt pour proposer une autre version de ce sur quoi il aurait pu déboucher. Ils ne jettent pas distraitement un œil dans le rétro mais y plongent généreusement les mains, se l’approprient, le remodèlent. D’où la nature à la fois obsessionnelle et quasi expérimentale de Minit, ce quasi-Zelda en noir et blanc, ou de Not A Hero qui, sous ses allures low-tech, pour ne pas dire approximatives et brouillonnes, se révèle un fascinant exercice de précision (en plus d’une satire à l’humour très britannique et, au rayon des simulations d’assassinat avec têtes d’animaux sur corps humains, un digne successeur plus ouvertement politique de Hotline Miami). D’où, aussi, le curieux mélange de légèreté et de morbidité de Crossing Souls qui, s’il semble moins “tenu” que d’autres publications de Devolver avec sa manière de mélanger les genres – mais sa générosité est aussi une qualité –, va quand même jusqu’à tuer et enterrer un gamin de dix ans avant la fin de sa première heure. Ce qui, si l’on s’arrête deux minutes pour y penser, est quand même assez fou.
Tout est permis
S’ils sont punks, les jeux Devolver le doivent peut-être d’abord, plus encore qu’à leurs côtés provocateurs, à la manière dont leurs auteurs semblent ne pas s’interdire grand-chose (ludiquement, narrativement). Y compris, a contrario, quand il s’agit de s’imposer à soi-même des contraintes plus ou moins improbables – les héros de Not A Hero glissent au lieu de sauter comme c’est traditionnellement le cas dans les run and gun, celui de Minit meurt toutes les soixante secondes pour instantanément renaître et l’on ne reviendra pas sur Genital Jousting. Parfois, le résultat frôle la grosse blague (Omnibus). Parfois aussi, c’est au contraire très sérieux et cérébral (The Talos Principle). Ailleurs encore, la reprise du mode d’interaction de Tinder – faire glisser son doigt d’un côté ou de l’autre de l’écran pour accepter ou refuser – nourrit un renversant récit interactif au long cours (les deux Reigns). Alors, passéiste, Devolver ? On jurerait au contraire que, sur la Switch ou ailleurs, l’avenir lui appartient. En tout cas, on l’espère bien.
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