Nouvelle perle du jeu vidéo indépendant graphiquement minimaliste mais conceptuellement imparable, « Minit » enferme le joueur dans une étonnante boucle temporelle. Comment vivre une grande aventure quand tout repart toujours à zéro (ou presque) au bout de soixante secondes ?
Mourir et recommencer, jusqu’à ce que ça passe. Dans le jeu vidéo, c’est un peu (beaucoup) la base : des jeux d’arcade d’antan aux perles indés modernes (Cuphead, disons), de Mega Man à Dark Souls, l’échec plus ou moins répété est souvent une étape inévitable sur la route qui mène au succès. C’est l’effet Edge of Tomorrow ou Un jour sans fin : on reprend, on apprend et, au bout du compte, on arrive à passer à la suite – si on n’est pas devenu dingue entre-temps.
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Soixante secondes, pas une de plus.
Tout cela est presque banal et, pourtant, rien ne nous préparait à Minit, qui pousse le principe un cran plus loin. Ici, la mort (suivie d’une renaissance immédiate) est non seulement fréquente mais inévitable et, même, programmée. Si un malencontreux accident ou une rencontre funeste avec, par exemple, un taureau belliqueux ne vient pas nous couper dans notre élan avant, c’est précisément au bout d’une minute que notre personnage rendra l’âme. Soixante secondes, pas une de plus : tel est le temps dont le joueur dispose pour progresser dans l’aventure avant d’être renvoyé à son point de départ. Pour qui voudrait partir explorer le monde (au design très minimaliste, mais attirant quand même) de Minit, Il y a de quoi se sentir déstabilisé.
Evidemment, il y a un truc dans ce nouveau phénomène du jeu indé conçu par un quatuor mené par le Néerlandais Jan Willem Nijman, moitié de l’excellent studio Vlambeer (Ridiculous Fishing, Nuclear Throne, Luftrausers…), et publié par le non moins essentiel éditeur Devolver Digital (Hotline Miami, Broforce, Enter the Gungeon, Crossing Souls…) Car, comme dans Majora’s Mask, l’épisode le plus sombre et conceptuel de la saga Zelda où la fin du monde était vouée à survenir au bout de chaque heure de jeu (trois jours dans le récit, que l’on ne cessait de recommencer), certaines choses demeurent en l’état quand l’aventure se « reboote ».
C’est le cas des objets et armes que l’on aura dénichés (une épée, un arrosoir, une tasse de café, une paire de palmes ou, bizarrement, une carte de presse) mais, aussi, de certains changements opérés suite à nos actions dans le monde de Minit. Par exemple, le bateau de ce type croisé au cours de nos brèves pérégrinations reste prêt à nous emmener sur les flots au-delà du tour de piste d’une minute au cours duquel on a contribué à le réparer. Idem pour la terrasse (avec piscine, tant qu’à faire) de l’hôtel ouverte au public sur le tard mais qui, une fois que c’est fait, le sera jusqu’au bout.
L’autre astuce qui rend éminemment jouable ce Minit qui aurait pu n’être qu’un exercice de style plus ou moins sadique, c’est que le lieu où commence notre minute n’est pas toujours le même. Il y a notre vrai foyer (avec, comme dans toute maison digne de ce nom, un chien), et ensuite une caravane, et encore plus tard, donc, un hôtel… L’enjeu, alors, sera de réussir à aller de l’un à l’autre en moins de soixante secondes – quand on approchera de la fin du jeu, il sera possible de se téléporter. A nous de déterminer de quelle demeure il vaut mieux partir pour pouvoir atteindre la zone que l’on souhaite au cours de notre prochaine session car, si l’univers de Minit ne se révèle pas immense, sa superficie ne permet quand même pas de le traverser en moins d’une minute. Sans parler des « quêtes » à accomplir (tuer cinq crabes, apporter de l’eau à un voyageur perdu dans le désert…) qui, bien que globalement simples et rapides, exigent néanmoins que l’on exploite au mieux le temps imparti. Échouer à deux secondes du terme du compte à rebours serait bien trop cruel, alors que réussir in extremis nous remplit d’une immense fierté. Et tant pis si on meurt dans la foulée. Tout ça est très secondaire. Ce qui restera, c’est l’exploit, dans la fièvre du temps limité.
Quelque part entre la bonne blague et le dispositif furieusement expérimental – un bon espace où évoluer, généralement –, Minit fait passer le joueur par des états variés. Il y a d’abord la panique, cette impression que, non, ça ne peut pas être possible : une minute, c’est bien trop court. Puis vient le sentiment d’urgence et cette euphorie fragile qui l’accompagne souvent. La vitesse et l’ingéniosité sont les deux clés. Alors on s’organise. Parfois, on suicide notre personnage (« Tu as fait ton temps », lit-on alors à l’écran) parce qu’on a perdu quatre ou cinq ou dix précieuses secondes en sortant de chez nous et qu’elles pourraient bien cruellement nous manquer quand on tentera notre chance dans le « temple secret ».
Filer où on veut, au hasard et même dans l’inconnu vide
Parfois, aussi, on décide de flâner un peu. Tiens, là, on va faire une promenade de vingt-cinq secondes. Dans la boucle de Minit, le temps semble passer différemment. Vingt-cinq ou trente secondes, c’est déjà bien, et soixante, c’est royal. On en profite pleinement. Il y a encore autre chose. Qui, dans un jeu de rôle ou d’aventure, n’a jamais hésité à s’aventurer loin de ses bases ? Et si on se perdait, si on ne retrouvait pas notre chemin ? Et si, ensuite, on ramait douloureusement pour reprendre le fil de l’aventure ? Rien de tel avec Minit : on peut filer où on veut, au hasard et même dans l’inconnu vide (des écrans tout noirs, avec juste un cactus et / ou un serpent) du « désert sans fin ». De toute façon, à la fin de la minute, on se retrouvera chez soi. Cette malédiction est réconfortante.
Par ailleurs, Minit est un jeu politique dans lequel on rencontre notamment des ouvriers mécontents de leurs conditions de travail – à l’usine de fabrication d’épées : on est quand même dans un jeu d’action-aventure, un mini-Zelda. De la vie de travailleur aliéné-exploité à la folie répétitive des boucles temporelles de Minit, il n’y a qu’un pas que l’on franchit sans hésiter, qu’une projection métaphorique, radicale et discrètement exaltée. Jouer à Minit, c’est redécouvrir, non pas le prix, mais la valeur de chaque instant et, aussi, l’élégance qu’il peut y avoir à, simplement, le dilapider – à ne rien en faire, rien de productif en tout cas, du moins en apparence.
Au terme de notre voyage, on fait le point. Triompher de Minit nous a demandé 137 minutes et 176 vies, apprend-on. On a visité 111 zones (c’est-à-dire écrans, probablement), découvert 13 objets sur les 16 du jeu, 5 pièces d’argent sur 19 (ce qui est malheureusement insuffisant pour acquérir les super baskets repérées à la solderie du coin) et 3 cœurs sur 6. Il semble que l’on n’ait vu que 51% de ce que Minit avait à nous montrer. C’est aussi bien comme ça.
Minit (JW Nijman, Kitty Calis, Jukio Kallio & Dominik Johann / Devolver Digital), sur PS4, Xbox One, Mac et PC, environ 10€
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