Depuis plus de trois ans, le photographe queer américano nigérian Mikael Owunna shoote des immigrés LGBTQ d’origine africaine en Amérique du Nord et en Europe. Il nous a parlé de son parcours et de la puissance thérapeutique et politique du style de ses modèles.
Ils et elles sont originaires de Côte d’Ivoire, d’Ethiopie, du Liberia, du Maroc, de Namibie, du Rwanda, de Somalie ou encore de Trinidad. Leurs âges sont très variés. Ils et elles vivent aux Etats-Unis, au Canada ou en Suède. Gays, lesbiennes, bis, trans, queers… Tous ont en commun d’avoir été confrontés à un violent préjugé : être homo, cisgenre ou transgenre ne serait pas « compatible » avec une culture et des origines africaines. Une ineptie probablement déduite de la présomption de féminité qui pèse sur les gays, et de l’injonction à la virilité faite aux hommes africains. Pour s’affranchir de ces stéréotypes dévastateurs, Tyler, Kim, Alicia et les autres ont fait de leur style vestimentaire une arme. Le photographe Mikael Owunna les repère sur les réseaux sociaux et va à leur rencontre pour les prendre en photo et les interviewer pour sa série Limitl(less).
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La photo au service de la justice sociale
Mikael Owunna s’est mis à la photo il y a huit ans, lors d’un échange scolaire à Oxford. Son oncle, photographe amateur, lui a enseigné les bases et l’a aidé à acheter un appareil. En 2012 et 2013, il a réalisé son « premier vrai projet photographique » dans un village aborigène de Taiwan. Son but ? « Susciter une fierté culturelle chez les jeunes de cette communauté« . L’expérience lui a donné envie de poursuivre « la photo avec un objectif de justice sociale« .
La découverte des travaux de Zanele Muholi, « une photographe Sud Africaine noire et lesbienne » a été un déclic.
« Elle a fait une série incroyable sur les lesbiennes en Afrique du Sud, Faces & Phases. C’est la première fois que j’ai vu des images d’autres personnes queers africaines. »
L’homosexualité, « un truc d’occidentaux blancs »
L’histoire personnelle de Mikael l’a conduit à débuter la série Limit(less) à l’automne 2013. « J’ai grandi en étant à la fois queer et africain, en luttant avec ces deux identités. » Outé à l’âge de 15 ans, sa famille réagit en lui rabâchant qu’ « être gay n’est pas dans pas dans [s]a culture » et que son homosexualité est « un truc d’occidentaux américains blancs » inacceptable. Dès lors, deux fois par an, ses parents l’envoient au Nigéria, convaincus que l’immersion dans la « culture africaine » et l’Igbo (une des langues parlées au Nigeria) le transformeront. Parfois, Mikael doit même participer à des séances d’exorcisme pour « dompter le gay en [lui] ».
« On me disait que je ne pouvais pas et ne devais pas exister en tant qu’Africain queer, et que j’étais possédé par un démon non-Africain et occidental. Cela a été profondément traumatisant. »
Limit(less) est une étape dans son « processus de guérison« .
« Je me suis lancé dans ce projet parce que je me sentais complètement brisé du fait d’être à la fois LGBTQ et africain. À chaque clic sur mon appareil, je regarde ces gens incroyables me montrer le chemin vers l’auto-estime. »
Le récit de Mikael Owunna fait écho à ceux de nombreux autres immigrés africains LGBTQ, harcelés par une partie de la société qui exige d’eux un choix impossible entre deux composantes indissociables de leur identité.
« Pendant longtemps j’ai pensé que je ne pouvais embrasser pleinement qu’une seule des deux identités, qu’elles étaient mutuellement exclusives, se souvient Brian, queer rwandais installé au Canada. Quand je décidais d’embrasser mon identité LGBT, inconsciemment, je rejetais mon identité africaine. (…) Et puis un jour je me suis dis que je pouvais essayer d’embrasser les deux identités ensemble, juste pour le plaisir. Je me souviens d’avoir eu des papillons dans le ventre et de m’être senti léger comme si je m’étais débarrassé d’un poids énorme. Je ne m’étais jamais senti aussi entier et bien dans ma peau. »
Des looks en guise d’armures
Tous les participants au projet Limit(less) ont un style très étudié, des vêtements aux coiffures, chapeaux et bijoux, en passant par les ongles et le maquillage. Des apparences qui leurs permettent de se protéger en revendiquant la complexité de leurs identités. Kim, transsexuelle originaire du Burundi, le formule ainsi : « À chaque fois que je pose le pied en dehors de chez moi, je suis en conflit avec la suprématie blanche, alors mes looks sont une sorte d’armure que je porte. » Kamila, queer somalienne, va encore plus loin : « Mon style – la façon dont j’embellie et présente mon corps – est vraiment devenu une tactique de survie, un acte politique, et un moyen de célébrer mon identité. » Taib, queer éthiopiano-kenyan, détaille la façon dont il mixe des accessoires rapportés de ses séjours en Afrique de l’Ouest et les cadeaux de sa grand-mère kenyane avec ses tenues professionnelles et casual.
« J’aime flirter avec les aspects de la féminité et de la masculinité. J’aime les touches subtiles comme une boucle qui pend à une oreille, mettre de l’eye-liner de temps en temps, et des notes de couleurs. »
Mikael Owunna a déjà shooté trente quatre personnes pour Limit(less). Et il s’est récemment mis au français pour pouvoir entrer en contact avec des Africains LGBTQ francophones. Le 30 août, il s’envolera pour l’Europe où il restera trois mois. Il passera par l’Autriche, la Belgique, la France, le Portugal, le Royaume Uni et la Suède.
Site de Mikael Owunna : mikaelowunna.com
Site du projet Limit(less) : limitlessafricans.com
Kickstarter du projet : https://www.kickstarter.com/projects/mikaelowunna/limitless-lgbtq-african-immigrants
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