Une semaine après un premier rassemblement immobilisé par la police, plus d’une centaine d’individus ont défilés à Paris pour dénoncer les « traitements inhumains » infligés aux migrants. Ces derniers faisant l’objet d’une répression policière particulièrement violente ces dernières semaines.
« Nous sommes expulsés sans raison jusqu’à cinq fois par jour ! J’ai vu des familles boire l’eau du caniveau. Quand va-t-on enfin reconnaître notre humanité et nos droits ? » Des cicatrices sur le visage en stigmate de son périple en Libye, Ahmed se confie avec dignité. Originaire du Tchad, l’homme est à Paris depuis une dizaine de jours. Peut-être la plus mauvaise période : « J’ai vu des coups de taser, des matraquages, des arrestations des hospitalisations… » Si l’histoire retiendra l’été 2016 comme la plus éprouvante des périodes pour les migrants franciliens, ces derniers ne comptent pas se laisser abattre. Face à ce phénomène inédit, ils défilent au départ d’un lieu symbolique : le camp de Stalingrad.
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D’habitude, les cartons d’emballage servent généralement de matelas pour les migrants. Aujourd’hui, ces derniers les brandissent pour scander leurs revendications : « Nous voulons nos droits, solidarité, liberté, nous sommes des réfugiés… » Des messages écrits en arabe, en anglais et en français, à l’image de la variété des cultures présentes dans le cortège. Beaucoup défilent en soutien pour leurs camarades blessés, expulsés voire « disparus ». « Mon ami a été embarqué par la police, depuis plus de nouvelles. Je ne sais pas où il est ni comment il va… C’est angoissant », explique un migrant. Micro à la main, ils chantent en cœur sous le regard bienveillant des bénévoles. « On ne fait que leur donner le moyen de s’exprimer. Nous avons organisé la manifestation mais c’est eux qui décident du reste », explique Houssam El Assimi, membre de l’association « La Chapelle Debout « .
« Un franchissement de seuils successifs dans la violence »
« La répression contre les migrants n’est pas un phénomène nouveau mais depuis quelques semaines nous assistons à un franchissement de seuils successifs dans la violence », décrit Houssam, lui même victime de violences policière :
« Alors que je faisais des traductions pour un homme asthmatique qui s’étouffait sous des gaz lacrymogènes, la police m’a étranglé avant de me tirer au loin. »
Après avoir déposé plainte il organise officiellement avec d’autres collectifs une manifestation contre les violences policières le 6 août. « Nous nous sommes rassemblés à Stalingrad pour nous rendre en métro au sit-in prévu sur la Place de la République. » Celui-ci n’aura jamais lieu. « La police nous a nassés avant même que nous puissions nous rendre dans le métro ». 11h de garde à vue plus tard, la nouvelle tombe pour Houssam El Assimi et Aubepine Dahan, une autre organisatrice : ils sont convoqués par la justice le 9 novembre prochain pour « organisation de manifestation illicite« .
Présent lors du rassemblement avorté du 6 août, l’élu (Front de Gauche) à la mairie de Saint-Denis Madjid Messaoudene déplore la situation : « On agite les migrants comme un repoussoir à la veille des élections. L’État va jusqu’à criminaliser les bénévoles qui les soutiennent ». Entre les départs en vacances et la diminution de l’attention médiatique, il accuse les autorités de profiter de la situation pour expulser un maximum d’individus « C’est un classique ! Même cette fois-ci l’acharnement est nouveau. Nous sommes face à des destructions de biens et de nourriture. Selon moi, c’est ça le vrai visage du socialisme d’État ». Également présente, l’élue (EELV) du Xe arrondissement de Paris Léa Vasa, « On déploie uniquement un dispositif policier au lieu d’un dispositif social. Cela est très coûteux ! Des solutions plus humaines et moins onéreuses existent pourtant « , déplore-t-elle.
« Siphonner Paris ? »
Malgré la chaleur étouffante et la fatigue, les manifestants défilent en dansant jusqu’à la place de la République. Le temps d’une pause à l’ombre, ils s’échangent le micro pour décrire le calvaire de ces dernières semaines. Sur un prospectus traduit en plusieurs langues, un message rédigé par les migrants et traduits des bénévoles rappelle la déclaration universelle des droits de l’Homme « Devant la persécution, toute personne a le droit de chercher asile et de bénéficier de l’asile en d’autres pays » . Venu « apporter son soutien » un homme réfléchit à haute voix : « Dans la mesure où l’on s’attaque systématiquement à un groupe social précis, faisant fi leur âge et de leurs conditions sanitaires, je m’interroge : Les autorités ne seraient-elles pas en train de siphonner Paris ? »
De retour à Stalingrad, beaucoup de migrants affichent un sourire rayonnant de fierté. Après des semaines infernales, la chaleur humaine de cet après-midi apporte un moment de répit. Personne n’oublie cependant le caractère dramatique de la situation. Selon les chiffres avancés par « La Chapelle Debout« , on dénombrerait 8 « rafles« , 35 blessés et 870 interpellations en moins d’un mois. Si la stratégie de l’épuisement marque bel bien et les esprits, Houssam El Assimi refuse de croire qu’elle génère de la division, au contraire : « Beaucoup se serrent les coudes face aux difficultés. La répression force parfois à la solidarité. Il suffit de les voir ensemble manifester comme cet après-midi. Voilà la plus belle des réponses« .
Bonus : Pour écouter les témoignages des migrants et réfugiés, Le reportage de « La Chapelle Debout »
Les exilé.e.s face aux violences policières from La Chapelle Debout on Vimeo.
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