A l’heure où les migrants de La Chapelle sont expulsés à coup de matraque de la capitale, zoom sur plusieurs projets qui tentent de redonner une voix et un visage à ceux qu’on ne traite qu’en masse informe et impersonnelle : les migrants. Parmi eux, le site Migrants of Marseille qui publie, chaque semaine, le portrait touchant et singulier d’un immigré.
C’est l’histoire de Fatou, la Guinéenne, qui s’est prise de passion pour la photographie. Ou celle de Manwar, un Syrien de 53 ans, qui a retrouvé une amie archéologue sur les trottoirs de Marseille. Mais c’est aussi Burak, le Turc, chef de chantier, promis à un CDI et coincé dans un imbroglio administratif. Depuis quelques semaines, le site Migrants of Marseille publie chaque semaine les portraits des « autres » habitants de la ville, ceux à qui on donne rarement la parole : les migrants, les étrangers, les immigrés. Ceux qui, d’habitude, sont transparents.
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C’est la jeune Lisa Castelly, fraîchement diplômée de son école de journalisme parisienne, qui a décidé de mettre les voiles sur la cité phocéenne pour aller à la rencontre de cette population. Elle en sort des histoires personnelles et passionnantes. “Je me suis inspirée de la page Facebook Humans of New York, qui met chaque jour en avant des New-Yorkais croisés dans la rue », nous explique-t-elle.
« Moi, je propose aux Marseillais de rencontrer les migrants qui vivent avec eux.” Pour elle, qui avait ce projet en tête depuis longtemps, Marseille était la ville idéale:
“La ville est historiquement liée à l’immigration. Le multiculturalisme est assez dingue.”
Redonner un « je » à ces groupes d’individus disparates
En France, comme partout en Europe, la figure du migrant ne se conçoit qu’en masse. Masse de personnes qui débarquent sur les côtes de la Méditerranée. Masse de campeurs expulsés sous le métro La Chapelle, à Paris. Masse de violence, à Calais, quand les policiers s’acharnent à déloger les camps de fortune de ceux qui tentent de passer la Manche qui les sépare de l’Angleterre.
De plus en plus d’initiatives s’essaient pourtant à redonner un « je » à ces groupes d’individus disparates, à l’histoire souvent incroyable.
“Il y a une politique très marquée depuis un certain nombre d’années, qui voudrait construire la légitimité de l’Etat nation en désignant l’étranger comme un danger, comme une menace. Aujourd’hui, on associe à la situation d’exil des populations indésirables, analyse Michel Agier, anthropologue et directeur de recherche au CNRS. Hannah Arendt disait : ‘Ce qui manque le plus à tous les réfugiés, c’est la célébrité.’ On est moins indésirable quand on arrive à prendre la parole. Le récit, c’est ce qui permet de rétablir de la singularité. C’est essentiel. »
Des visites guidées par des étrangers
A l’instar de Migrants of Marseille, de nombreuses initiatives s’emploient à rendre cette singularité à ces invisibles. Le Migrantour, par exemple, propose des visites des grandes villes européennes, guidées par les étrangers qui la peuplent. “Souvent, on parle au nom des migrants, mais on voulait qu’ils parlent eux-mêmes« , raconte Stefan Buljat, qui coordonne les visites à Paris. Et souvent, leur propre histoire nourrit la balade.
Comme ce Chinois, dans le XIIIe arrondissement, qui a intégré dans son itinéraire le parcours du combattant de son oncle pour arriver dans le Chinatown parisien. Chaque guide a été formé pendant plusieurs mois et est rémunéré pour son travail. Toujours à Paris, l’association Goutte d’Or et vous anime chaque semaine un groupe de parole avec les habitants du quartier et met en ligne ses productions.
« Ce sont des gens qui, souvent, ne parlent pas bien français. On leur donne très peu la parole. Et si on ne se penche pas sur leur situation, on ne peut pas les comprendre, détaille Lisa Castelly. Peu de monde sait par exemple qu’en France un demandeur d’asile n’a pas le droit de travailler. Une situation qui peut durer des mois, voire des années ».
Quand on dit migrant, ça ne veut dire ni immigré ni émigré
Mais les témoignages, parfois, sont terrifiants. Comme celui de cette Arménienne, effrayée quand son fils de 7 ans lui dit :
“Tu sais ce qu’on va faire, on va prendre du poivre très fort, on va le donner au monsieur à la préfecture, on va lui dire de s’en mettre sur les doigts, puis de se toucher les yeux, et comme ça il comprendra ce que ça fait.”
L’existence de ces personnes et de leurs histoires passe aussi par la reconnaissance publique de leur statut. Quelque chose qui n’est forcément pas prêt d’arriver. “Quand on dit migrant, ça ne veut dire ni immigré ni émigré. Ces gens sont en migration. Mais pour raconter un récit, il faut être arrivé quelque part. On ne leur reconnaît pas le droit même de circuler, de s’établir quelque part”, continue Michel Agier, qui cite à nouveau Hannah Arendt, dans Nous autres réfugiés.
“Sa première phrase, c’était : Et d’abord nous n’aimons pas être appelés réfugiés.” Peut-être faudrait-il tout simplement commencer par là.
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