Dans un monde bouleversé par l’élection de Donald Trump puis par le mouvement #MeToo, les femmes soutiendront-elles davantage le parti Démocrate lors des élections de mi-mandat qui se tiendront le 6 novembre ?
Un an après le mouvement #MeToo, l’année électorale aux Etats-Unis prend un tournant particulier. Dans une Amérique divisée par l’élection de Donald Trump, les électrices peuvent-elles faire basculer la balance ? A l’orée des élections de mi-mandat, Claire Delahaye – maîtresse de conférences en histoire et civilisation américaine à l’université Paris Est – Marne la Vallée et spécialiste de l’histoire du droit de vote des femmes – nous éclaire sur la question.
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Après les propos sexistes de Donald Trump, le mouvement #MeToo, la nomination du juge Brett Kavanaugh… Les femmes vont-elles se rendre massivement aux urnes d’après-vous ?
Claire Delahaye – Avant toute chose, j’aimerais préciser qu’il est tout de même extrêmement difficile de prédire les résultats d’une élection, et que de nombreux facteurs peuvent nous échapper à ce stade. Avant son élection en 2016, la diffusion de l’enregistrement de Donald Trump avouant fièrement ses propensions à la violence sexuelle (« Grab them by the pussy ») et à son mépris des femmes en général, n’a pas empêché de nombreuses femmes – blanches surtout – de voter pour Trump. Ainsi, on peut remarquer qu’il n’y a pas de motivation liée uniquement au genre, que l’idée d’un « vote des femmes » semble résister à d’autres facteurs tels que la « race » (utilisée ici dans le sens anglo saxon de race), l’origine géographique, l’éducation, la situation familiale… D’ailleurs, le spectre d’un « vote des femmes » a souvent été utilisé avant que les femmes n’obtiennent le droit de vote, aussi bien par celles et ceux qui soutenaient le vote (les femmes allaient « nettoyer » la politique, on peut remarquer la référence problématique à la domesticité d’une part et à la vision idéalisée des femmes comme si elles étaient imperméables à toute corruption, comme si elles étaient moralement supérieures aux hommes) que par celles et ceux qui s’y opposaient. De nombreux exemples historiques montrent que les femmes ne votent pas d’un bloc, y compris sur les questions qui sembleraient faire consensus : en 1914 et 1916, les suffragistes du National Woman’s Party souhaitent mobiliser les femmes qui peuvent voter dans certains États afin qu’elles s’opposent au Parti démocrate, et au président américain Woodrow Wilson (démocrate), qui ne soutient pas le droit de vote des femmes par un amendement constitutionnel. Or cette campagne n’a pas eu le succès escompté. L’idée d’un « vote des femmes » semble ré-essentialiser le débat, comme s’il y avait une femme et non des femmes aux expériences et intérêts divergents.
En 2016 42% des femmes ont voté pour Donald Trump : après les propos sexistes du président américain, le mouvement #MeToo, la nomination du juge Brett Kavanaugh… Peut-on envisager que ces femmes votent désormais en faveur du camp démocrate ?
Les motivations d’un vote sont pour le moins complexes, entre le choix et le mérite des candidat.es dans un contexte donné d’une part et l’allégeance aux partis politiques d’autre part. Pour de nombreuses femmes conservatrices et hommes conservateurs, le vote démocrate n’est tout simplement pas envisageable. Elles/ils préfèreront toujours voter pour le camp républicain, pour diverses raisons: peur de la perte de leur statut (racial, économique…), valeurs religieuses (rôle des évangéliques: oppositions aux valeurs libérales des démocrates, contre l’avortement…), valeurs familiales et patriarcales (dans une société patriarcale, certaines femmes estiment qu’elles ont intérêt à soutenir le patriarcat…). Elles/ils peuvent considérer que tel.le candidat.e incarne certaines de leurs idées, indépendamment d’une potentielle affiliation à Trump. Notons cependant que certains sondages semblent indiquer que certaines femmes républicaines seraient tentées par un vote démocrate.
Il n’y a jamais eu autant de candidates aux élections de mi-mandat. Comment expliquez-vous qu’en 2018, autant de femmes aient décidé de tenter leur chance en dépit parfois d’une faible expérience en politique ?
Effectivement, de nombreuses femmes se portent candidates cette année. On note une véritable diversité, qui concerne aussi bien l’ethnicité que l’orientation sexuelle (26 candidat.es se déclarent LGBTQI selon le New York Times). Il reste 23 femmes dans la course pour le Sénat, 237 pour la Chambre des représentants et 16 pour la fonction de gouverneur, selon les chiffres donnés par le Center for American Women and Politics. L’année 2018 représenterait donc un record concernant le nombre de femmes candidates. D’une façon générale, après l’élection de Donald Trump, n’importe qui sans aucune expérience en politique peut se présenter ! L’expérience, l’expertise, la connaissance, ne semblent pas des prérequis pour devenir président des États-Unis, donc cela peut inciter de nombreuses personnes à se porter candidat.e ! Il faut également souligner l’importance des groupes, associations ou organisations sur le terrain (grassroots) qui permettent aux militant.es de se former et qui offrent parfois de véritables cycles de formations politiques. Les organisations féministes ont été très actives (Women’s March…) et ont pu encourager les femmes à se porter candidates.
Quant aux motivations des candidates, il y en a tellement ! On peut penser à MeToo bien sûr, mais surtout à l’élection de Trump et tout ce qu’elle recouvre : le sexisme, les menaces sur le système de santé, l’environnement, le refus de légiférer sur les armes et la défense constante de la NRA… Il ne faut pas oublier par ailleurs qu’il y a aussi des femmes qui se présentent sous les couleurs des Républicains.
Être une femme peut-il être un argument électoral favorable aujourd’hui aux Etats-Unis ?
Être une femme peut constituer un élément dans la façon dont on est perçu, dont on se positionne également, par rapport à une norme qui reste majoritairement masculine, blanche, hétérosexuelle… Être une femme, c’est être politiquement, tout comme être un homme. Cela signifie que ces questions restent éminemment politiques, imposées, exploitées, invisibilisées… C’est un débat intéressant, parce qu’une nouvelle fois se pose le risque de réessentialiser le débat en faisant des femmes des figures potentielles de progrès, de contre-pouvoir, comme si l’on souhaitait « figer » politiquement le fait d’être une femme… Ces perceptions demandent bien sûr à être déconstruites, au même titre que les catégories de « femmes » et d' »hommes ». Malgré toutes les mobilisations autour de ces questions, il reste quand même de nombreux obstacles structurels, liés à la façon dont le pouvoir est pensé, perçu, vécu, mais aussi aux représentations culturelles, sociales etc. sur ce qu’être en politique (discours, attitudes, positions, vêtements, voix…).
Davantage de femmes ne signifie pas encore pour autant moins de sexisme en politique. La perception de ces attaques a-t-elle changé dans l’opinion publique aujourd’hui ?
Vous avez raison, davantage de femmes ne signifie pas moins de sexisme. Pensez également aux femmes de couleur, je songe à l’exemple de Kiah Morris, membre de la Chambre des représentant de l’État du Vermont, qui a dû abandonner son poste suite à des menaces et du harcèlement. Elle a dû faire face à la fois au sexisme et au racisme. Je pense aussi à la façon dont les Républicains se sont sans cesse attaqués à Nancy Pelosi.
Concernant la façon dont les femmes et les hommes perçoivent différentes qualités en politiques, l’étude du Centre de recherche de Pew est très intéressante car elle montre bien que les Républicain.es sont moins enclin.es à reconnaître la discrimination liée au genre comme un obstacle en politique pour les femmes: tandis que seul.es 30% des Républicain.es le reconnaissent, elles/ils sont 64% chez les Démocrates.
Propos recueillis par Fanny Marlier
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