En 1989, lors du cinquantenaire de la Cimade, Michel Rocard déclarait « la France ne peut accueillir toute la misère du monde « , ajoutant « mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part ». Samedi 26 septembre, il est revenu devant la Cimade sur cette phrase tronquée, déformée et détournée depuis plus de vingt ans par les médias.
La circulation de la parole politique dans les médias joue tous les jours des tours aux responsables publics. Pour le bonheur des citoyens lorsqu’elle éclaire leur surmoi peu reluisant, comme récemment avec Brice Hortefeux. Pour leur malheur lorsque la déformation aboutit au contresens et à la désinformation. C’est la mésaventure que connaît Michel Rocard depuis vingt ans avec un discours incompris sur l’immigration : un “mal-entendu”qui étonne encore aujourd’hui le principal intéressé.
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En amputant de sa deuxième partie sa célèbre phrase, “la France ne peut accueillir toute la misère du monde, mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part”, les médias se sont surpassés dans l’art de faire dire à quelqu’un le contraire de ce qu’il pense. Pourquoi cette phrase fut-elle coupée dans les commentaires paresseux ? Par quel vicieux mécanisme le sens de cette pensée fut-il à ce point inversé ?
Vingt ans plus tard, invité à parler devant l’association d’aide aux étrangers La Cimade, le 26 septembre dernier, Michel Rocard avouait sa perplexité devant le piège des usages médiatiques. Alors que son intention visait à promouvoir une politique d’immigration ouverte et généreuse, le pays dont il était alors le Premier ministre ne pouvait pas entendre autre chose que la seule première partie de sa phrase : soumis à ce qu’on appelait alors la “lepénisation des esprits”, le discours dominant visait à reléguer la misère du monde à la porte de chez soi. Un réflexe xénophobe et populiste prenait alors l’évidence d’un constat supposé partagé.
Aujourd’hui, alors que la sarkozysation des esprits a pris le relais sur le même terreau nauséabond, un essai édifiant qui analyse rafles, rétentions et expulsions actuelles (Douce France, édité par le Seuil), démontre que la misère du monde mérite autre chose qu’un slogan tronqué et qu’une politique migratoire hypocrite et criminelle. Rocard, fidèle à lui-même, répète ce qu’il disait en 1990 : la France doit prendre fidèlement sa part dans le devoir moral d’accueillir la misère du monde, sans quoi elle perdra le sens des valeurs qui la fondent.
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