Le journaliste, écrivain et critique Michel Polac vient de mourir à 82 ans. En 1999, ce saltimbanque mélancolique des lettres et des images nous avait accordé un entretien que nous publions ici.
Votre modèle était-il Blaise Cendrars ?
Cendrars en premier, Georges Navelle aussi, un ouvrier anar qui travaillait dans les fermes, sur les chantiers, ce que j’ai fait un certain temps. C’est d’ailleurs ce qui m’a le plus appris sur le monde – plus que tous les livres.
D’où vient votre côté anar et bourlingueur ?
La guerre, la révolte contre ce que j’ai vu, la déportation de mon père en 1941, la pension avec des petits paysans dans la Creuse. Je suis sorti de la guerre totalement révolté. A Paris, je voulais mettre le feu au lycée Jeanson de Sailly, plein de fils de bourgeois. J’étais chahuteur, déjà provocateur.
Etiez-vous politiquement engagé ?
Absolument pas. Je me suis un peu ouvert les yeux avec la guerre d’Algérie. Avant, j’étais un simple révolté à fleur de peau, anticolonialiste surtout. Mais rien n’était très clair en réalité. Je me souviens même que lorsque de Gaulle est parti en 1946, je suis allé manifester pour le soutenir : ma première manif! Il faut dire que la confusion était à son comble. J’ai vraiment démarré sans savoir ce que je voulais, mes copains n’étaient pas du tout politisés, on était des individualistes forcenés. Quand j’ai bourlingué, travaillé en usine, cela ne m’a même pas politisé : je voyais les ouvriers lire L’Equipe, et pas L’Huma. Cela m’a frappé. Ensuite, avec Mendès France, l’Indochine, mais surtout l’Algérie, j’ai commencé à avoir une conscience politique. Je me suis brouillé avec les copains du lycée qui ne me comprenaient pas. La censure a pointé son nez à l’ORTF au moment des affaires d’Algérie. Quand cela s’est durci, notamment au moment de l’affaire des 121, je n’étais plus à la radio : j’étais parti vivre en Iran, de 1959 à 1962. J’ai épousé une Iranienne, je suis parti écrire un livre jamais publié sur la complexification du monde. J’avais toujours rêvé de vivre dans une maison sur pilotis en pleine jungle, avec les tigres et les chacals, dans une ambiance à la Joseph Conrad ou à la Jack London. En fait, c’était moins exotique, on vivait dans la banlieue de Téhéran, dans un harem désaffecté de l’ancien Shah.
A votre retour d’Iran, que faites-vous à Paris ?
J’ai un peu ramé, j’ai finalement repris le magazine radio Le Masque et la plume, que j’avais créé en 1954. Je m’occupais de la partie théâtrale. Et puis, un hasard à nouveau : un ami m’a proposé de travailler à la télé. J’ai ainsi créé Dim Dam Dom avec Daisy de Galard. Au bout d’un an, j’en ai eu marre, car Daisy voulait de plus en plus faire un magazine féminin, alors que je rêvais de faire le Cinq colonnes à la une des femmes.
Que représentait la télé pour vous à l’époque ?
Je n’avais pas la télé, je la regardais dans les vitrines des magasins ou chez des amis. J’avais quand même une grande admiration pour Pierre Dumayet et son émission Lectures pour tous. J’ai proposé une émission littéraire, un peu plus populaire que la sienne, Bibliothèque de poche. Je parlais des livres qui sortaient en poche. Mais très vite, après 1968, j’ai fait des émissions spéciales sur Miller, Céline, Gombrowicz.
La télé était-elle un mythe pour vous ?
Je n’ai pas connu ses pionniers des années 50, les Sabbagh et compagnie, puisque je travaillais alors exclusivement à la radio. Moi, je voulais être écrivain. Et puis tout d’un coup, me voilà à faire Dim Dam Dom et Bibliothèque de poche. Je me suis pris totalement au jeu, j’ai laissé tomber l’écriture et je n’ai plus pensé qu’en termes d’images. Jusqu’en 1967, je faisais de la télé avec passion. Pour moi, chaque émission était comme si je réalisais Le Cuirassé Potemkine. Et puis j’en ai eu marre, j’ai voulu faire des films ; j’ai écrit le scénario de mon premier téléfilm, Le Fils unique, que j’ai tourné en 1969. J’ai eu une période d’hyperactivité au début des années 70. J’ai animé Le Masque et la plume de 1969 à 1971, Bibliothèque de poche à la télé une fois par mois, j’ai publié un roman, tourné mon premier film, puis mon deuxième, Demain la fin du monde, publié un autre roman, présenté une nouvelle émission de télé, Post scriptum, sorte de café littéraire, préfiguration de Droit de réponse, qui n’a duré que six mois, car elle fut censurée à cause d’une émission sur l’inceste où j’avais invité Louis Malle et Alberto Moravia. L’émission suivante devait être consacrée à l’avortement. C’était trop pour la direction. Cette activité débordante m’a bousillé la santé : j’ai fait une crise cardiaque. Après, je me suis calmé. Je n’ai tourné un film que tous les un an et demi.
La télé est un média encore très jeune dans les années 60. Qu’en attendiez-vous au juste ?
La télé comptait peu, la radio dominait. J’étais plus connu comme producteur du Masque et la plume que comme animateur de télé. La télé restait assez marginale, sauf lorsque Jean Prat jouait Les Perses. Il y avait aussi bien sûr quelques feuilletons, comme Belphégor, et puis bien sûr Cinq
colonnes à la une, qui restait quand même très sage. Sur l’Algérie par exemple, ils ont été très prudents.
Mesuriez-vous l’impact de l’outil télévisuel ? Pensiez-vous que la télé pouvait servir à ouvrir des horizons nouveaux aux gens ?
C’était un mélange. Au début, j’ai découvert le plaisir égoïste de manipuler l’image ; et puis, comme à la radio à mes débuts, j’ai caressé le rêve qu’on pourrait éduquer le peuple par l’audiovisuel. Je ressentais en même temps une méfiance à l’égard du monde intellectuel. Je disais “Il y a le peuple, les intellectuels, ils sont séparés, et nous, les journalistes, serons le pont entre eux.” Je pensais que c’était à nous de leur apprendre plein de choses, de les éduquer. J’avais découvert aux Etats-Unis, lors d’un voyage de six mois, le mépris de la télé américaine pour les intellectuels. A mon retour, dans un article dans la revue Arts, intitulé “La télé, cancer des USA”, et dans un petit rapport remis à l’ORTF, j’avais dénoncé ce rôle avilissant de la télé.
Dix ans s’écoulent entre la fin de Post scriptum et le début de Droit de réponse en décembre 1981. Qu’avez-vous fait durant cette décennie ?
J’étais sur une liste noire à cause du scandale de Post scriptum. J’avais été assez violent dans mes réactions ensuite. J’ai attaqué tout le monde, jusqu’à Pompidou lui-même. Alors je me suis contenté de faire des films. Un au cinéma, La Chute d’un corps, avec Marthe Keller, sur les sectes ; puis, sur proposition de Marcel Jullian, des téléfilms, dont une adaptation de Monsieur Jadis, d’Antoine Blondin. On m’a cantonné dans des comédies, il ne s’agissait pas de faire du social, même si mes scénarios étaient politisés en creux ; par exemple, L’Homme sandwich, un film assez vachard, racontait l’histoire d’un paysan en colère parce qu’on construisait une autoroute près de chez lui. Et puis j’ai réalisé Le Beau monde, avec le jeune Fabrice Luchini – une satire de la jet-society. Je rêvais surtout de faire un film de cinéma. Mais j’étais un peu échaudé par le milieu des producteurs, que je ne comprenais pas bien. J’étais plus tranquille à la télé. Puis, parallèlement, je continuais à écrire.
Aujourd’hui, l’errance et le vagabondage semblent encore structurer votre vie, comme si vous étiez toujours en partance.
L’idée du vagabondage m’est toujours restée dans la tête. Je crois que cela vient d’une chanson de Trenet, L’Ame des poètes – “Je partirai sur les routes…”
En même temps, on vous sent un peu en dehors de votre vie, en représentation. Vous avez d’ailleurs écrit un recueil d’aphorismes, Hors de soi, dont le titre est éclairant.
Je me suis trouvé installé dans un rôle que je n’avais pas choisi. Ecrire était une manière d’échapper au rôle. Etre tout seul chez soi était une sorte d’idéal de vie, une manière d’être à l’écart. Et puis, à partir du moment où je suis devenu connu comme homme des médias, et pas du tout comme écrivain, je me suis dit qu’il y avait un quiproquo ; j’aurais préféré être reconnu comme écrivain. Il y a quelque chose de ridicule dans le fait d’être reconnu comme homme des médias. Cela m’a longtemps gêné. Aujourd’hui, je m’en fous.
Recueilli par Arnaud Viviant et Jean-Marie Durand