Le journaliste, écrivain et critique Michel Polac vient de mourir à 82 ans. En 1999, ce saltimbanque mélancolique des lettres et des images nous avait accordé un entretien que nous publions ici.
Michel Polac est mort à l’âge de 82 ans. Journaliste, écrivain (il avait publié son premier roman en 1956, La Vie incertaine, chez Gallimard), cinéaste et documentariste aussi (son Autoportrait en vieil ours réalisé en 1999 avec une caméra numérique), on se souviendra surtout – et à son grand regret – de Polac en grand subversif de la télé. C’était le samedi soir, sur TF1, en deuxième partie de soirée – vous avez bien entendu TF1 : Droit de réponse. Sur un plateau enfumé à mort, Choron s’embrouillait avec Desproges, Cavanna clopait à fond, Coluche faisait l’andouille et les cendriers volaient.
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Polac avait commencé à la radio, au milieu des années 50, créant et animant Le Masque et la Plume. Puis ce fut Bibliothèque de poche et ensuite Post-Scriptum, des émissions littéraires (cette dernière fût supprimée après une « spéciale inceste » un peu douteuse). Après dix années d’absence, Polac revenait en grâce avec Droit de Réponse, une émission de débat comme on n’oserait même plus en rêver aujourd’hui. On buvait sur le plateau, on fumait, on y recevait des écrivains, des politiques, des perturbateurs, des syndicalistes, des anarchistes même parfois.
L’émission durera de 1981 à 1987 ; elle sera supprimée par Bouygues après la lecture en direct d’un dessin de Cabu qui disait en somme : « Une maison de maçon, un pont de maçon, une télé de merde ». Polac réapparait ensuite à L’Evénement du jeudi, chroniqueur littéraire, sur M6 de 1988 à 1989 pour Libre échange.
Durant les années 90 Polac passe chez Charlie Hebdo, interpelle l’opinion sur les atrocités commises en ex-Yougoslavie (il sera candidat aux européennes sur une liste appelée « L’Europe commence à Sarajevo »). Au début des années 2000 c’est Ardisson qui lui remet le pied à l’étrier dans Ça balance à Paris sur Paris Première, puis Ruquier qui le ramène sur le hertzien, aux côtés de Zemmour pour On n’est pas couché. Après plus d’une année de service et une prise de bec mémorable avec Daniela Lumbroso (qui avait lu en direct un passage du journal intime de Polac qu’elle jugeait pédophile), Michel Polac quitte l’émission en juin 2007 pour raisons de santé, remplacé – si on peut dire – par Eric Naulleau. Voici l’interview qu’il nous avait accordée en 1999.
En 1981, à la faveur des changements à la télé, on vous propose d’animer Droit de réponse. Quelle était la commande au juste ?
Michel Polac – On m’a confié la tranche du samedi soir à 20 h 30. Du coup, j’ai laissé tomber le film que j’avais commencé à préparer. C’était quand même très excitant : faire une émission culturelle à la place des variétés ! André Harris voulait un “espace de liberté”, une sorte de café littéraire, culturel au sens large. Mes idées, je les traînais depuis longtemps, notamment celle qu’il fallait amener les gens à la culture par des ruses. J’avais proposé à Schaeffer une maquette où l’invitée Sylvie Vartan lisait des pages de Proust, donnait des recettes bulgares, parlait d’un film qu’elle aimait… C’était mon obsession de faire un truc comme cela. En réalité, le côté culturel a très vite été balayé par le politique. Dès la première émission, autour du thème de la violence, j’ai fait venir Roger Knobelspiesse, qui sortait de taule. Ça avait chauffé. Puis on a fait une émission sur l’architecture, où l’on a parlé surtout des magouilles et des caisses noires. Tout s’est enchaîné dans les émissions suivantes.
Qu’en gardez-vous ?
C’était dur, usant. Ce fut une guerre permanente. Les trois quarts de la presse m’étaient hostiles ; c’est seulement quand j’ai créé la revue de presse fin 1983 que les journalistes de la presse écrite ont commencé à devenir gentils avec moi, ils se sont calmés. Les attaques ont cessé tellement ils étaient ravis de devenir des vedettes : les Giesbert, Bénichou, Bouguereau, Jamet… On m’a accusé d’être l’animateur d’un bordel, d’un tribunal populaire, on trouvait que cela n’était pas sérieux, alors que nous avons fait les enquêtes les plus sérieuses de la télé. L’audience, heureusement, était excellente. Quand elle fléchissait, on faisait des émissions un peu putes pour faire remonter l’audimat, avec des thèmes comme le sexe ! Jusqu’en 1983, on a été extrêmement surveillés, en danger. Quand Droit de réponse a été arrêté, j’ai presque dit merci à monsieur Bouygues, tellement j’étais fatigué.
Qu’êtes-vous devenu après ?
J’ai tout de suite enchaîné sur M6 avec Libre et change, que j’ai présenté avec beaucoup de plaisir, dans un confort absolu, sans contrainte d’audience, pendant un an et demi. Puis M6 n’en voulait plus, je suis parti dans le Midi, me reconsacrer à l’écriture. J’ai alors découvert que je n’avais plus la foi dans le roman. J’ai un peu flotté, je me suis lancé dans la critique littéraire ; c’est devenu mon seul job pendant dix ans, ce qui était une manière pour moi de me retrancher dans ma forteresse. Les livres qui s’entassaient devant moi me servaient de rempart contre un monde qui me fatiguait.
Que vous inspire la télé d’aujourd’hui, avec laquelle vous n’avez quasiment plus aucun lien ?
Je ne comprends pas très bien pourquoi on m’a tenu à l’écart de la télé ces dernières années. Cela dit, je l’ai un peu cherché. Je ne suis pas très diplomate. J’ai par exemple traité Bernard-Henri Lévy de salaud dans L’Evénement du jeudi au moment des affaires de Bosnie, alors qu’il était président du conseil d’administration d’Arte. On me le fait payer. Autre exemple : j’ai proposé à Hervé Bourges, vers 1992, un projet de revue de presse, qui lui a plu mais qu’il a confié à Michèle Cotta. C’était tellement malhonnête de sa part que j’ai dû prendre un avocat – j’ai d’ailleurs gagné. Cela dit, tout cela me fait plutôt rire : on a tellement peur de moi ! On dit de moi que je suis incontrôlable, c’est effarant. Il y a beaucoup de haine derrière tout cela : il ne faut pas oublier que neuf députés RPR ont officiellement demandé en 1986 mon renvoi de la télé ; ces gens-là n’ont pas désarmé. Je crois que je me suis mis trop de monde à dos. Aujourd’hui, je n’ai que mépris pour les directeurs de chaîne, sans imagination. La télé m’a déçu. Ce projet culturel et éducatif que j’ai eu toute ma jeunesse est bien loin. Même les politiques se foutent de la télé. La façon dont ils laissent la pauvre Trautmann nager me scandalise. C’est une énorme erreur de la gauche. Elle ne pourra pas se maintenir au pouvoir avec une télé de droite – car la télé est de droite. L’imagerie des émissions de la télé est de droite.
La télé serait un média structurellement de droite ?
Oui, au sens où c’est un média basé sur l’émotion ; alors qu’être de gauche, c’est se fonder au contraire sur la raison. Ce fut le gros problème de Droit de réponse, où je mettais toujours de l’émotion parce que je savais que, sans cela, ça ne passait pas – malgré toute l’ambiguïté que cela représente. Mais je pense que l’exemple de Droit de réponse prouve que l’on peut faire une télé de gauche. Je crois qu’on peut changer un pays par sa télé.
Rêviez-vous d’être une star de la télé ?
Je n’ai jamais rêvé de devenir journaliste. Je ne me suis jamais vraiment senti un homme de télévision. Ce sont les hasards et la chance qui m’y ont conduit. Adolescent, j’étais assez doué pour le dessin, je faisais les illustrations du journal de mon lycée ; et je me suis vite aperçu que ce qui m’amusait le plus, c’était d’écrire des articles. Un jour, avec mes copains, on a rencontré un directeur littéraire qui nous a proposé de faire une émission de radio. C’est de là que tout est parti et que j’ai démarré ma carrière dans les médias, à l’âge de 17 ans. Le Club d’essai, sorte de Radio Sorbonne de l’époque, était un lieu mythique, qui a existé jusqu’en 1958 – occupé par les Allemands pendant la guerre et récupéré par Pierre Schaeffer à la Libération. Jean Tardieu, qui s’en est ensuite occupé, accueillait des poètes, des musiciens, des critiques, des journalistes débutants. C’était un endroit formidable, où Artaud a enregistré Pour en finir avec le jugement de Dieu. On ne savait pas combien d’auditeurs on avait, on ne se souciait absolument pas de l’audience, on faisait ce qu’on voulait. J’ai d’abord animé un radio-club des lycéens. Puis j’ai réalisé ma première émission de radio comme producteur à 19 ans, en 1949. Je faisais seulement des émissions littéraires. La première fois, j’ai présenté une adaptation d’une nouvelle de Dylan Thomas. Une époque de rêves.
Aviez-vous un mentor ?
Pas du tout. J’étais complètement indépendant, je n’ai jamais eu de maître. J’ai appris tout seul. Très vite, j’ai essayé de faire des trucs nouveaux, j’ai commencé ainsi une série d’émissions sur les premières pièces de théâtre. J’ai présenté, deux ans avant tout le monde, En attendant Godot de Beckett, dans une lecture publique enregistrée à la radio. J’avais découvert la pièce dans une pile de manuscrits. Après, avec Beckett, on s’est beaucoup vus, je l’amusais parce que j’étais un gamin pour lui. Moi, je le prenais pour un vieux monsieur intimidant, alors qu’il n’avait que 40 ans. C’était un homme merveilleux, très chaleureux et fraternel. J’ai moins aimé ce qu’il a écrit à partir de Oh les beaux jours – il l’a su et on s’est perdus de vue. Il a quand même signé plus tard des pétitions en ma faveur, quand Post scriptum et Droit de réponse ont été supprimés.
Fallait-il une grande assurance pour côtoyer, aussi jeune, les plus grands écrivains de l’époque ?
Mais j’étais complètement inconscient. J’avais une forme d’assurance, mais celle de quelqu’un qui ne prenait pas très au sérieux tout cela. J’étais à la fois pétri de respect pour ces grands noms et, en même temps, le monde littéraire ne me paraissait pas sérieux. Certaines personnalités m’intimidaient beaucoup. Jean Paulhan m’a par exemple terrorisé. Je pensais, après qu’il m’avait encouragé et félicité au moment de la publication de mon premier roman à 26 ans, être admis dans la maison Gallimard. Je lui ai proposé de nouveaux textes, plus philosophiques ; mais il ne les a jamais lus. Cela m’a beaucoup déçu.
On est alors en plein existentialisme à Paris. Fréquentiez-vous les réseaux sartriens ?
Je suis resté complètement en dehors. J’ai bien connu Camus, j’étais camusien à l’époque – même si je ne peux plus le lire aujourd’hui. Les sartriens m’énervaient, leur côté donneurs de leçon m’insupportait. Ils formaient un clan très fermé. Je n’ai pas cherché à les connaître. J’ai toujours fui les groupes, comme les hussards. Dès qu’il y a clan, je ne suis pas à l’aise.
Pourquoi n’aviez-vous pas eu envie de faire des études littéraires ?
Je ne voulais pas faire d’études, je voulais foutre le camp sur un cargo. En réalité, cela m’a gêné d’avoir trop de chance, car je voulais bourlinguer. Un jour, quand même, j’ai tout laissé tomber, j’ai voyagé un peu. Et puis, alors que j’étais en train de faire les vendanges dans le Languedoc, on m’a prévenu que mon projet de première pièce était accepté et qu’il fallait que je revienne vite à Paris. Sans cela, je me serais embarqué pour peut-être ne plus revenir.
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