Télé-poubelle, « TPMP », Télé-Bolloré… Tandis que la TV court à sa perte, les Gérard de la Télévision exultent. En juin prochain, cette cérémonie parodique fêtera sa décennie de causticités. L’occasion d’ausculter le pire du PAF en compagnie de ses animateurs.
On y distribue des parpaings, comme l’on balancerait des pavés dans la mare. Des parpaings qui ne servent pas à bâtir, mais à détruire, salement. Et personne n’est épargné dans cette foire d’empoigne. De l’émission « dont on n’a jamais parlé et c’est normal, elle est sur France 3” à l’animateur « qui fait de la scène mais qui ferait mieux de se jeter dedans« , au programme « parisianiste pour hipster à moustache tendance Technikart-bobo girl-néovintage Les Inrocks » au présentateur « accroché à sa chaîne comme un vieux morpion à sa couille« . Bûcher des vanités du PAF, la cérémonie des Gérard « allume » la télé depuis dix ans déjà.
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Tout a commencé par les divagations d’amis, passant leurs nuits à débiter des insanités sur cette boîte qui nous abreuve d’images – celles de Cauet, de Castaldi, d’Ardisson. Puis l’amusement amateur s’est mis en scène sur Paris Première, avec la volonté officielle d’offrir à l’Hexagone une parodie des Césars et Sept d’Or digne de ce nom, transposant du même coup le concept des Razzie Awards – ce détournement des Oscars qui fait couler beaucoup d’encre depuis sa création en 1981.
Le 5 juin prochain, l’instigateur Frédéric Royer sabrera le champagne pour célébrer le dixième anniversaire de ces parpaings d’or. Pour l’occasion, l’intéressé s’est laissé prendre au jeu de l’interview-zapping, accompagné d’Emilie Arthapignet, plume fidèle et « indispensable sidekick » à l »autodérision féminine très Minute Blonde.
Depuis la victoire de Trump, nous assistons de plus en plus à une « Gorafisation » de l’information. Le « fake », quelle que soit sa forme, n’a jamais eu autant de succès. Le bon moment pour fêter les dix ans des Gérard, ce pastiche délibéré des Césars ?
Frédéric Royer – Bien avant la création des Gérard, j’ai toujours eu une passion pour la parodie. J’ai commencé par écrire dans le journal Infos du Monde (1994-1998), l’ancêtre du Gorafi. Puis Infos du Monde est devenu On nous cache tout on nous dit rien, un « magazine d’investi-divagation » présenté par… Arthur, qui n’était pas si connu à l’époque. Des fake news sur France 2 avant l’heure ! En 1999, j’ai lancé L’Examineur sur le web, un mélange d’Infos du Monde et de The Onion. Notre plus grand coup, c’était ce scoop : « Elodie Gossuin est un homme ».
L’article a été écrit par Stéphane Rose, mon collègue barbu des Gérard. Tout a explosé quand a eu lieu le concours de Miss Univers 2001, où Gossuin représentait la France. Des journalistes malveillants ou trop naïfs ont relayé notre intox. Fait amusant : c’était Trump qui organisait le concours Miss Univers ! Avant de créer la cérémonie des Gérard, j’ai également bossé pour Le Groupe d’intervention culturelle Jalons – le groupe de pasticheurs lancé par Basile de Koch et Karl Zéro [« gang des pastiches » auquel a participé Frigide Barjot, et qui s’amusait à détourner a presse française : L’aberration pour Libération, Le Monstre pour Le Monde, Le Cafard Acharné pour Le Canard Enchaîné, etc – ndrl]
Face au chaos cathodique de cette année passée (les flinguages de Bolloré, l’affaire Morandini, les scandales de TPMP), l’humour hyperbolique des Gérard aura-t-il du mal à rivaliser ? La réalité paraît parfois plus grotesque ou violente que la parodie…
Emilie Arthapignet – Pour Morandini, lorsque la marque de smoothies « Innocent » passe en coupure pubs de son Morandini Live, en plein scandale et grèves d’iTélé, c’est effectivement trop gros pour être détourné. Parfois, la réalité se suffit à elle-même.
Frédéric – D’un autre côté, cela fait dix ans que l’on flingue Morandini. L’an dernier, nous l’avions nommé pour le « Gérard de l’émission de faits divers où, vu la tête de l’animateur, tu as plus tendance à te prendre de sympathie pour l’assassin« . Et suite à l’enquête des Inrockuptibles, force est de constater que l’on était pas si loin de la vérité. Idem en 2011, avec la première cérémonie des Gérard de la politique. Nous avions décerné le Gérard du queutard à… DSK. Quatre jours plus tard éclate l’affaire du Sofitel à New York… On avait trouvé un déguisement de bite géante et la bite de DSK était venue chercher son Gérard.
Emilie – La véritable impertinence se produit toujours avant. Etre impertinent c’est avoir un flair, détecter quelque chose avant l’explosion. Mais si la télévision est le reflet de notre société, l’humour permet de prendre du recul. Et de s’amuser des différences. De foutre des grands coups de pied de biche sur les différences, en frappant très fort.
Quitte à vriller sur la misogynie ? Avec des prix plutôt crus comme le « Gérard de l’émission de faits divers où, vu la tête de l’animatrice, tu as plus tendance à devenir toi-même un prédateur sexuel » ou la nomination de « la nouvelle miss météo du Grand Journal, tu sais, l’autre, là. Avec les nichons« . Quand l’émission Le Grand 8 avait reçu le Gérard de la “meilleure émission de bonnes femmes qui donnent leur avis”, Roselyne Bachelot avait demandé quand serait décerné « le prix des cinq connards qui causent à la télé« …
Frédéric – Aux Gérard, on fait non seulement des blagues sexistes, mais également racistes, antisémites ! On tape partout. Les cons tombent dans le panneau s’ils jugent les Gérards selon leur prétendue misogynie.
Comment s’organise une séance d’écriture des Gérard ?
Emilie – D’abord on travaille chacun de notre côté, on commence à imaginer des catégories, puis ça se passe en table-ronde. On se réunit, on rebondit les uns les autres. On réfléchit à énormément d’angles et de catégories et, sur une centaine, on ne conserve que les vingt-cinq : les plus drôles. De la télé poubelle de NRJ 12 aux docus d’Arte, la chaîne qui ne diffuse que des films sur la Seconde Guerre mondiale… On a clairement nos bêtes noires, et on s’en est rapidement lassé. Dès que je lis Mimie Mathy, Arielle Dombasle ou Morandini sur une fiche, je craque, je suis devenue totalement allergique.
Frédéric – De mon côté, je suis obligé de me taper une année complète de news Morandini pour m’informer. C’est d’une ironie dingue, Morandini est notre meilleure tête de turc mais on se sent obligés d’utiliser son blog pour se tenir au courant de l’actualité.
Emilie – Qui utilise qui, finalement ? La boucle est bouclée. (sourire)
Passer dix ans à voir défiler les pires émissions de télé-réalité, n’est-ce pas trop déprimant ? Ne se dit-on pas que l’état de santé du PAF empire au fil des cérémonies ?
Frédéric – L’état de la télévision française en 2017 ne m’alarme en rien. Est-ce que l’année passée fut pire que les neuf précédentes ? Depuis le temps, j’ai éteint mon poste. Soit parce que je suis devenu un vieux con, soit parce que la télé est devenue plus nulle qu’avant. Heureusement, mes auteurs la regardent encore – enfin, c’est ce qu’ils me disent, je leur fais confiance. Si tu réfléchis deux secondes, tu comprends que ces histoires médiatiques à la con ne concernent que le milieu lui-même : les conneries entre Arthur et Hanouna relayées par Morandini… Ça me fait rire avec beaucoup de commisération. En vérité, la télé ne m’angoisse pas, elle m’entertaine.
Parcourir la liste des nominations de cette décennie de Gérard et constater que cette culture télévisuelle sombre de plus en plus dans la vacuité et l’abêtissement de masse, ce n’est pas là le sens implicite de cette cérémonie ?
Frédéric – J’ai créé l’émission pour me marrer et pour amuser mes potes, sans vouloir donner de leçons à personne, avec une mauvaise foi assumée. Si ces cérémonies avaient une tout autre portée que l’humour, j’aurais tout arrêté au bout de deux ans. Car en une décennie, les Gérard ne sont pas parvenus à améliorer la télévision française ! Au contraire, on assiste à une hanounisation de la télévision et du spectacle. L’unique moyen de donner de la matière à cette vacuité c’est de lui attribuer des intitulés de prix incongrus. Le seul message des Gérard est peut être celui-ci finalement : la télévision aurait pu être un média formidable, une source d’expérimentations inédites, et il n’en est rien.
Emilie – Nous vivons la crise d’adolescence de la télévision. Une télévision-poubelle façon pets et gros seins, emplie de trucs qui « reposent le cerveau« . Cette ère, il faut la dépasser, l’exploser. La télé peut encore changer, va changer, car tous les schémas ont leurs limites. Face à cette crise d’acné, ce contexte lourdaud, ce cynisme, il faut retrouver un peu de légèreté, de réconfort, de bienveillance. D’ailleurs, si l’humour des Gérard est toujours super vachard, il est devenu plus « chic » depuis l’an dernier.
Chic, mais tendance trash. Du type à dézinguer le physique, l’âge, la sexualité… Vous a-t-on déjà refusé des blagues ?
Emilie – Il n’y a jamais vaiment eu de censure ou d’autocensure. Mais je regretterai toujours que l’on m’ait refusé cet intitulé, à propos des candidats de téléréalité : “Le programme que tu regardes alors que tu préférais mettre deux capotes, voire même te faire plâtrer la chatte”. « Plâtrer la chatte« , la chaîne a trouvé ça trop vulgaire. Va savoir !
Frédéric : On m’a déjà refusé une idée, celle de “Miss France Téléthon”. A une époque Miss France et le Téléthon passaient le même soir à la télé, et je voulais lier les deux. Avec Emilia en fauteuil roulant, son écharpe de miss autour du cou… étrangement, ce n’est pas passé.
Depuis ses débuts, les Gérard taclent Canal Plus, Le Grand (et le Petit) Journal en priorité. Pourtant, le ton irrévérencieux du spectacle n’est pas sans évoquer un certain esprit Canal. Une façon comme une autre de faire perdurer un ton tombé en décrépitude ?
Frédéric – L’esprit Canal, je ne sais pas ce que c’est. Si tant est qu’il ait existé un jour, c’était il y a très longtemps, dans les années 90. Depuis, il a disparu. Ma grande fierté, c’est qu’Alain de Greef ait fait partie du jury des Gérard de la Télévision, un an avant sa mort. A ce moment-là, c’est comme si les Gérard renouaient avec le Canal de l’époque.
Emilie – La force d’une émission comme les Gérard aujourd’hui, c’est la très grande liberté que nous offre Paris Première, une grande possibilité de force de frappe. C’est précisément ce qu’on ne trouve plus chez Canal Plus. Mais on ne sait jamais, peut-être qu’un nouvel esprit Canal va s’instaurer, maintenant qu’ils ont chuté tout en bas. Comment cela pourrait être pire ? La “chance” qu’ils ont se tient peut être en cet ultimatum : soit redémarrer à zéro, soit mettre la clé sous la porte.
Ce politiquement incorrect qui évoque la chaîne cryptée, ne perd-il pas en qualité quand les nommés viennent recevoir leurs prix, quitte à ce que le pastiche vrille à l’entresoi médiatique ? Christophe Dechavanne, Patrick Sébastien, ou encore Sophia Aram sont venus sur scène pour récupérer leurs Gérard respectifs…
Frédéric – Oui, les Gérard était un événement-pirate à l’origine, puis est devenu mainstream. D’un côté, tu as une chaîne qui veut faire de l’audience, et a donc bien intérêt à ce qu’un maximum d’animateurs viennent assister à la cérémonie. De l’autre, il y a moi, qui aimerais que cela reste plus confidentiel. Mais j’ai commencé l’aventure en 2006, devant soixante personnes au Baron. Si j’avais voulu que ça reste underground, j’y serais resté, je n’aurai pas accepté la proposition de Paris Première. Puis il faut prendre du recul. Quand Arthur vient aux Gérard, la raison est surtout stratégique. Cela lui permet de faire la promo de sa prochaine émission, et d’apparaître pour un mec qui a de l’autodérision à revendre, contrairement à Hanouna.
Quand un animateur comme Denisot ou Bernard de La Villardière le prend (très) mal, c’est donc un motif de fierté, la preuve que l’émission n’a pas encore été bouffée par le système ?
Frédéric – Etre critiqué par Denisot, La Villardière ou Hanouna, ce n’est pas une victoire. Mais disons que c’est une forme de reconnaissance. Denisot avait très mal pris son « Gérard de l’animateur à qui plus personne ne veut faire la bise parce qu’à force de lécher le cul de ses invités, il a une haleine de tout-à-l’égout« . Il avait éclaté de colère et viré le réalisateur du Grand Journal, qui avait mis en scène la cérémonie des Gérard. Il cherchait même à connaître le nom de tous les techniciens qui avaient bossé pour nous et les blacklister à Cannes. Depuis, on a retenu la leçon. On ne précise plus les noms des gens crédités, on ajoute juste « Gérard » à leur prénom. Stéphane Gérard, Alice Gérard, etc.
Un an après, j’organise l’élection « Miss Black France« . La lauréate est invitée sur le plateau du Grand Journal. J’accompagne ma lauréate, Denisot entre dans la loge vite fait, nous dit bonjour. Je respire : “ouf, il ne m’a pas reconnu”. L’émission se passe. Puis en sortie de plateau, il vient me voir et me souffle en se marrant : “oh la la, qu’est-ce que vous m’avez mis aux Gérard l’année dernière !”. Voilà, ce genre de mecs éclatent de colère puis oublient ça rapidement. C’était différent avec de La Villardière. Il est devenu fou quand on lui a décerné lors de la sixième édition le « Gérard du monomaniaque pour ‘Sexe, drogues, alcool, viols, meurtres, sodomie sur personnes âgées: enquête sans concession dans la filière roumaine’« . Il était très remonté et voulait carrément faire un procès à Paris Première… alors que Paris Première appartient à M6, qui évidemment diffuse Enquête exclusive.
Nous évoquions Cyril Hanouna. Cette année encore, sans surprise, il trône au devant des Gérard, indéboulonnable. S’il gagne le Gérard de l’animateur, il s’agira de sa quatrième victoire consécutive. Peut-on imaginer le palmarès des Gérard sans Baba ?
Frédéric – Hanouna est très fort. Touche pas à mon poste s’automédiatise en permanence, et est surmédiatisée en retour. Son émission est horrible mais il a compris comment le système marchait, comment entretenir le buzz. Il fait le boulot. Mais attention, flinguer Hanouna, ce n’est pas tirer sur l’ambulance. Il n’a rien d’une ambulance. C’est le mec le plus puissant du PAF ! Dans notre petite sphère parigote, tout lui monde lui tire dessus, mais il reste au sommet. Tirer sur Patrick Sébastien serait plus facile, mais ça n’a aucun intérêt. Depuis trois ans, Hanouna est devenu un incontournable, un puits sans fond pour nous. Ce qui est chiant car on aimerait bien passer à autre chose…
Peut être qu’Hanouna va avoir une sorte d’épiphanie cette année en regardant la cérémonie des Gérard et bouleverser sa carrière ?
Frédéric – Si ça arrive, on arrête les Gérard. Note-le. Si on réussit à faire changer Cyril Hanouna, on stoppe tout.
Après Hanouna, le déluge ?
Frédéric – Sans blague, on a très bien vécu sans Touche pas à mon poste, même si Hanouna était déjà nommé pour le « Gérard de l’accident industriel » avec Hanouna plage, en 2007. On peut continuer sans lui.
Emilie – Continuer après Hanouna ? Ce serait une horreur ! (rires)
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