Ex-député PS de la Drôme, ex-secrétaire d’Etat et ex-ministre de Sarkozy, Eric Besson ne conserve qu’une fonction politique : maire de Donzère. Reportage dans le Bessonland qu’il gère à distance depuis 1995 en parallèle de l’entreprise de consulting qu’il a créée.
Eric Besson semble s’être volatilisé. Hormis quelques brèves apparitions aux côtés de sa compagne dans les tribunes du Parc des Princes, les gradins de Roland-Garros ou sur les marches du Festival de Cannes, pas un signe. Il y a un peu plus d’un an, l’ex-ministre a plongé dans ce qu’il nous décrit aujourd’hui par mail comme une « cure d’abstinence médiatique ». Le 7 mai 2012, au lendemain de la défaite de Nicolas Sarkozy, il a créé son entreprise de conseil international, Eric Besson Consulting. Puis a disparu des écrans. Tel l’homme qui se dénude en retournant vers la forêt, il a ôté une à une toutes les contingences qui lui collaient à la peau.
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Délaissé, son profil Facebook affiche comme dernière trace d’activité une triste invitation de Jean-Michel Apathie datée du 31 mai 2012. Dans la foulée, il a clos son compte Twitter pourtant légendaire. Environ 58 000 followers dégustaient quasiment 24 heures sur 24 un @Eric_Besson n’hésitant pas à se lancer dans des échanges interminables et pouvant live-tweeter un grand prix de Formule1.
Sa personne numérique et sa personne publique se sont tues. Le 17 mai 2012, nulle trace d’Eric Besson lors de la passation de ses fonctions de ministre de l’Industrie, de l’Energie et de l’Economie numérique à Arnaud Montebourg. Son fantôme plane sur la cérémonie. Lui est déjà loin, en Floride, pour le mariage de son ami Jean-Marie Messier, prince déchu de Vivendi Universal.
Fin de carrière… nationale
Aujourd’hui, comment Eric Besson occupe-t-il ses journées ? Après la défaite de son camp à la présidentielle de 2012, l’une de ses dernières déclarations à l’AFP nous fournissait alors une piste : « Je considère avoir mis fin à ma carrière nationale, je dis bien nationale car je reste maire de ma commune. »
Direction le Sud-Est donc, à 627 kilomètres de Paris via l’autoroute A6, pour s’arrêter à Donzère. Une ville de 5 300 habitants au sud de Montélimar, dans la Drôme, dont Eric Besson s’occupe bénévolement depuis 1995. Il n’a jamais touché un centime de ses indemnités de maire, il les reverse à ses collaborateurs du conseil municipal. Eric Besson se rend sur place un peu moins d’une fois par semaine, en général le vendredi et le samedi, jour de marché.
Il a toujours géré sa ville ainsi : depuis Paris ou l’étranger. « Il me semble un peu moins présent qu’avant, c’est étrange car il n’est plus ministre », note un membre de son comité de soutien, le CADD (Continuons à développer Donzère). Eric Besson réfute ce constat. S’il a manqué deux conseils municipaux successifs, c’est « à cause de voyages lointains » et non la conséquence d’une quelconque baisse d’assiduité.
Mardi 11 juin, devant la nouvelle fontaine du Champ de Mars de Donzère, sorte de longue place centrale piquée de trois rangées de platanes, quelqu’un nous retrouve pour jouer les guides. Le pas pressé, Sylvie Brunel arrive à l’heure exacte. Celle qui fut l’épouse d’Eric Besson durant presque trente ans vit toujours sur place, dans leur ferme acquise une vingtaine d’années auparavant. « Vous avez manqué Eric à trois jours près, assure-t-elle tout sourire. Il est passé me remettre les copies de mes étudiants que j’avais oubliées à la Sorbonne. »
Dans son livre Manuel de guérilla à l’usage des femmes (2009), la géographe de profession avait réglé ses comptes sentimentaux en exposant les moeurs épicuriennes de son ex-mari. Pourtant, en dépit « d’une quantité de griefs impardonnables », il y a un point sur lequel « presque aucune critique » ne serait recevable selon elle : c’est la gestion de la municipalité. Pour nous le prouver, celle qu’une passante appelle encore devant nous « madame le maire », nous embarque dans son 4 x 4 pour un « Besson tour ».
Bâtisseur compulsif
« Eric a métamorphosé cette ville », nous assure Sylvie Brunel. D’ailleurs, il n’a jamais connu d’échec électoral depuis 1995, « ni en tant que maire, ni en tant que député » (de la Drôme, de 1997 à 2007). Et voici un Super U, des logements sociaux récents, deux stades, un tout neuf pour le foot et un autre pour le rugby, une ancienne grande chocolaterie réhabilitée en pépinière d’entreprises, un nouveau terrain de sport au milieu de « l’Enclos » – la cité HLM du coin – et des lotissements sortant de terre un peu partout. Nous découvrirons ensuite de grandes éoliennes fièrement estampillées « Ville de Donzère » et un projet d’implantation d’une zone commerciale devant abriter un Auchan, une galerie et un complexe de cinéma sur quelque 35 000 mètres carrés…
Personne ne conteste les changements apportés par Eric Besson. En 1995, Donzère s’apparentait à une cité-dortoir où ne vivaient que 3 500 âmes. Vingt ans plus tard, la population a grandi d’un tiers et les prix de l’immobilier ont flambé. « L’esprit de bâtisseur d’Eric, précise Sylvie Brunel, a même gagné à l’époque notre ferme… » Le slogan, employé par Eric Besson pour ses deux dernières campagnes municipales, résume bien cet « esprit » : « Continuons à développer Donzère. » Bémol à ce grand bond en avant municipal, l’opposition veut désormais appuyer sur le frein.
Le titre de l’affiche placardée dans le sobre « bureau de l’opposition » distille cette volonté de retour au calme : « Bien vivre à Donzère (BVD) ». Philippe Lambert, tête de liste de l’opposition, porte la barbe et la rondeur d’un gentil grand-père. Ce jeune et calme retraité, ancien joueur de rugby, s’est mué en féroce opposant local. Il est loin le temps où il travaillait pour Eric Besson. Il fut son collaborateur pendant treize ans, dont sept en tant que premier adjoint.
« Nous, nous sommes de gauche »
En février 2007, Philippe Lambert trouve d’abord » un peu cavalier » d’apprendre la démission d’Eric Besson du Parti socialiste de la bouche de son assistante parlementaire. Aucun contact avec son patron le mois suivant, assure-t-il. Coup de grâce, le 23 avril, tandis que le premier adjoint anime une réunion municipale, il découvre à la télévision la prise de campagne de Nicolas Sarkozy, présentée lors du meeting de Dijon : le ralliement d’Eric Besson.
Quelques mois plus tard, Philippe Lambert démissionne et forme sa liste d’opposition qui fera 30 % aux municipales de 2008. « Nous, nous sommes de gauche, nous avons toujours été fidèles à nos idées et donc déçus par l’attitude de Besson », assure Serge Taborcia, également conseiller municipal d’opposition BVD. Aux municipales de 2014, ils tenteront encore leur chance. A l’évocation de ses opposants, Eric Besson taquine : » Ni Lambert ni son équipe n’ont vraiment changé ; agressivité et sectarisme sont les mamelles de leur opposition. Pourquoi changer une méthode qui perd… et qui perdra à nouveau en 2014 ? »
Vendredi 7 juin, lors du dernier conseil municipal mouvementé de Donzère, Eric Besson demande l’ajout d’un vote de soutien à une plainte qu’il vient de déposer. L’incident s’est déroulé le samedi 1er juin.
Sur la large première marche menant au centre culturel de Donzère, le maire préside alors une cérémonie en plein air. A ses côtés, un membre de la famille de l’un des quatre otages français retenus au Sahel s’exprime au micro. Soudain, un homme brise l’ambiance empreinte de gravité. « Je n’ai jamais eu de réponse à mes coups de téléphone, monsieur le maire ! », s’emporte l’individu, accessoirement opposant local. Monsieur le maire lui rétorque que ni le lieu, ni le moment ne lui semblent appropriés. L’opposant aurait alors, selon plusieurs témoins retrouvés par nos soins, fait un doigt d’honneur façon West Coast.
Ni une, ni deux, Eric Besson se lève et « tombe la veste », dixit un spectateur, « pour aller faire le coup de poing ». Un conseiller municipal le retient. Interrogée sur ce coup de sang étonnant, Laurence Pryslopski, la chef de cabinet d’Eric Besson, présente lors de cette scène, tempère : « C’est un Méditerranéen », souffle-t-elle en souriant timidement.
« Un gars bien dans le conflit »
La semaine suivante, lors du conseil municipal, Philippe Lambert et ses trois colistiers d’opposition ont refusé de voter un quelconque soutien à la plainte d’Eric Besson faisant suite à cet incident.
« On n’a rien vu car nous n’avions pas été invités à la cérémonie, balaie Lambert. Et puis on n’enlève pas sa veste comme ça pour se battre. Eric Besson, c’est un gars qui ne semble bien que dans le conflit. »
Plus pudiquement, une personne bien informée des affaires locales mais souhaitant rester anonyme pense que « Donzère permet à Besson de garder un pied dans la politique sans dire ‘je suis dans la politique’. Par contre, lui, il ne peut s’empêcher de politiser un peu la chose. »
En 2009, Sylvie Brunel apprend à Hawaii, de la bouche de son mari, que Nicolas Sarkozy lui propose un ministère. Le fameux maroquin jonché de pics qui lie les termes « immigration » et « identité nationale ». « C’était piégeux, les enfants et moi on lui a dit de ne pas accepter, se souvient la géographe. Mais j’ai compris qu’il avait déjà pris sa décision sans nous consulter. » L’homme qui, aux dires de son ex-épouse, échangeait beaucoup avec ses proches, décide de plus en plus seul. Entretenant même un « goût forcené du secret », écrit-elle dans son brûlot.
Avec une même opacité, et entouré de seulement deux employés dans ses locaux du XVIe arrondissement, le maire de Donzère consacre la majeure partie de son temps à gérer les affaires de sa société Eric Besson Consulting. L’ex ministre a récemment confié au journal « pro-business » L’Opinion qu’il « conseille de grands groupes français et étrangers dans leur stratégie ». Environ 20 % de son activité, selon nos confrères, serait consacrée à de l’intermédiation et de la mise en réseaux. Eric Besson dit traiter « directement avec quelques patrons. Parfois, je travaille avec des numéros 2, c’est plus rare ».
« Même au gouvernement, il était très solitaire »
Il voyage dix jours par mois dans les pays du Golfe, l’Asie et l’Australie. Ses secteurs seraient l’énergie, l’industrie et l’aéronautique. En revanche, pas un mot sur ses clients. Le sujet s’avère par nature délicat : fait-il jouer ses relations acquises du temps où il servait la République pour ses affaires privées ? Fidèle à son abstinence médiatique, l’ancien ministre de Nicolas Sarkozy s’est refusé à répondre à nos questions qui « débordent du cadre local ». On reste sur Donzère la magnifique.
Du côté de ses anciens petits camarades de gouvernement comme Brice Hortefeux, guère plus d’information. « Je ne l’ai pas vu depuis un an. Il est assez curieux vous savez, tient quand même à glisser son prédécesseur à l’Immigration. Même au gouvernement, il était très solitaire. »
Eric Besson ne saurait cependant être rangé aux côtés des Sarko boys du premier cercle qui, à l’instar de leur mentor, ont basculé pour la première fois entièrement dans le privé. Contrairement à Claude Guéant et son cabinet d’avocats, à l’ex espion Bernard Squarcini et son entreprise de sécurité ou encore à l’ancien ambassadeur Boris Boillon et ses « missions » pour de grandes entreprises françaises, Eric Besson, lui, retourne à sa situation de 1995, quand il était maire de Donzère et directeur de la fondation Vivendi. Déjà mi-homme d’affaires, mi-maire.
Vétéran du foot
Il y a bien cette autre lubie qu’Eric Besson met parfois en avant : il souhaite ardemment diriger un club de foot de ligue 1. Il ne manque aucune occasion pour le rappeler. Comme en mars 2013 où, sur le plateau du Grand journal de Canal +, il joue les consultants sportifs au lendemain d’un match ayant opposé l’équipe de France à l’Espagne. Ses sous entendus suggèrent qu’il serait passé tout près de prendre la tête du FC Nantes et de l’OGC Nice. Dernièrement, il serait dans la short list pour reprendre l’AS Cannes. En attendant, il soigne aux petits oignons son club de foot local.
Samedi 8 juin, Eric Besson a passé une heure à l’assemblée générale de l’Olympique club donzérois. Il a notamment débattu de la création pour les 15-19 ans d’un maillot commun qui regrouperait les municipalités de Bourg-Saint-Andéol, Pierrelatte et Donzère.
« Le foot, Eric a toujours aimé ça, nous explique Thierry Dallard, gendarme à la retraite et responsable depuis vingt-cinq ans de l’école de football des jeunes. Avant, il jouait en vétéran avec nous mais il n’a plus eu le temps quand il est devenu ministre. »
Le bâtisseur a promis l’installation d’un second terrain de foot. Et déjà annoncé qu’il se représentait en 2014. Thierry Dallard, qui « n’aime pas parler politique », pronostique que « même si demain Eric passe à l’extrême gauche, il sera élu. En tout cas, moi, je lui ai déjà dit, si tu veux absolument un club de division 1, nous on est en division 1 de district, viens quand tu veux. »
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