Le cinéaste Raoul Peck imagine un drame humain plein d’âpreté inscrit dans le contexte du tremblement de terre en Haïti, qu’il a déjà documenté.
Entre le genre de la fiction et celui du documentaire, le cinéaste Raoul Peck oscille constamment depuis des années, convaincu que rien de très différent ne distingue l’un de l’autre, à partir du moment où le réel infiltre le premier et la narration s’immisce dans le second. La double manière dont le tremblement de terre de janvier 2010 à Haïti l’a inspiré forme un indice saisissant de ce tropisme circulatoire.
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Un an après son documentaire, Assistance mortelle, dans lequel il analysait froidement l’échec politique de l’aide occidentale après la catastrophe qui tua 230 000 habitants et laissa 1,5 million de sans-abri, Raoul Peck replonge dans la même tragédie, en déplaçant son mode d’écriture vers la fiction. Cette poussée fictionnelle l’invite à créer des personnages ambigus, à tramer un scénario écrit avec l’écrivain haïtien Lyonel Trouillot et le scénariste Pascal Bonitzer, inspiré très librement du Théorème de Pasolini.
Immensité du drame politique
Contrairement à l’amplitude de son documentaire, qui embrassait les multiples dimensions, politiques et spatiales, de la tragédie haïtienne, le téléfilm se réduit ici à un huis clos, forcément étouffant, dans lequel résonne en creux la mélancolie de l’île maudite. Ce rétrécissement apparent révèle pourtant l’immensité du drame politique.
Quatre personnages se font face dans le cadre d’une villa à moitié détruite par le tremblement de terre : un couple de bourgeois, propriétaires (Alex Descas et Ayo), et un couple de locataires, un humanitaire et sa maîtresse haïtienne (Thibault Vinçon et Lovely Kermonde Fifi). Comme dans Théorème, le personnage extérieur et mystérieux qui surgit dans la villa déstabilise et bouleverse l’état des choses et des chairs en présence.
Tension sourde et maladive
De ce paysage dévasté et mortifère où les corps se toisent et s’effleurent, Raoul Peck traduit la tension sourde et maladive, par-delà l’érotisme des sensations qui se déploient entre les murs de la maison. Tout est détruit à Haïti, y compris les relations humaines, sauf les corps qui résistent, suggère le film au bout duquel, comme dans un drame classique, la mort surgit. Mais la chair est très triste dans Meurtre à Pacot : les corps sont avant tout des corps politiques ; les affects et les tentations sexuelles s’inscrivent dans la gangue des rapports de classes.
Cette violence que filme paisiblement et patiemment Raoul Peck dans cet espace clos est celle de l’impossibilité d’un renouveau. Au chaos de la terre tremblante s’ajoute l’injustice des destins individuels, assouvis à leur condition. Autant que l’assistance, mortelle reste l’attirance entre des individus que les structures sociales opposent. L’air de rien, Raoul Peck reste un cinéaste autant politique en fiction qu’en documentaire, aussi cinglant ici qu’il est, là, incisif.
Meurtre à Pacot téléfilm de Raoul Peck. Jeudi 25, 22 h 55, Arte
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