En Suisse romande, « Mein Kampf » est de plus en plus visible sur les rayons des librairies. Un phénomène qui provoque l’émoi des militants de la lutte contre le racisme. La solution qu’ils réclament de concert avec les historiens : une édition critique du manifeste d’Adolf Hitler, lorsqu’il tombera dans le domaine public le 31 décembre 2015.
En Suisse, Mein Kampf est considéré comme un simple ouvrage littéraire et sa vente est légale dans toutes les librairies, mais il était généralement caché dans la réserve ou disponible sur commande. Désormais, il est de moins en moins rare de voir le livre dans les rayons.
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A Genève, Philippe Kenel, président de la Licra (Ligue contre le racisme et l’antisémitisme) suisse, ne décolère pas :
« C’est inadmissible que des libraires mettent en rayon cet ouvrage de façon très légère. Ils arguent simplement que le livre est de toute manière à disposition, en commande ou en stock. Cela démontre qu’inconsciemment, les idées d’extrême droite sont banalisées ».
« N’importe qui peut l’acheter sans aucune disposition éducative »
Les associations anti-racistes craignent surtout que ce phénomène de commercialisation décomplexée créé un public pour ce manifeste :
« Les gens ne savaient pas forcément qu’on pouvait se procurer librement Mein Kampf. Maintenant c’est tellement facile, c’est la porte ouverte à tout. N’importe qui peut l’acheter, des enseignants qui peuvent l’utiliser en classe par exemple, sans aucune disposition éducative« , dénonce Johanne Gurfinkel, secrétaire général de la Coordination intercommunautaire contre l’antisémitisme et la diffamation (Cicad).
En Suisse, chaque canton a son propre ministère de l’Education et les professeurs sont très indépendants pour leur programme. Un manque de contrôle parfois propice aux dérives.
Bientôt la fin du monopole
Depuis 1934, les Nouvelles éditions latines sont la seule maison d’édition à proposer une traduction française intégrale de Mein Kampf dans leur catalogue. Fondée par Fernand Sorlot, un éditeur maurassien condamné à la privation de ses droits civiques après la Libération, c’est cette maison traditionaliste qui fournit la Suisse romande. Dans un arrêt datant de 1979, la Cour d’appel de Paris a décidé qu’une préface d’avertissement de huit pages devait être ajoutée à cette édition.
Le monopole des Nouvelles éditions latines prendra fin le 31 décembre 2015, 70 ans après le suicide d’Adolf Hitler dans un bunker de Berlin. Les historiens craignent que les droits d’auteurs, tombés dans le domaine public, soient saisis par les milieux d’extrême droite pour lancer des rééditions néo-nazies. En 2008, le livre puis le documentaire (ARTE) d’Antoine Vitkine, Mein Kampf, c’était écrit ont ouvert le débat sur la forme de réédition de l’ouvrage, qui comptabilise 70 millions de ventes dans le monde à ce jour.
Pour parer toute éventualité de manipulation, la maison d’édition Fayard a pris les devants. Menée par un comité scientifique et des historiens, une édition critique devrait voir le jour courant 2016. « Pour nous, ce n’est pas un texte religieux, ni sacré, c’est un document historique qu’il faut démonter et contextualiser« , explique Fabrice D’Almeida, directeur littéraire Histoire chez Fayard. La maison aura enfin la liberté de publier un travail plus satisfaisant : en 1938, elle a été autorisée à faire paraître une traduction sous le titre Ma doctrine. Une version falsifiée et expurgée de tous les passages francophobes, sous la pression d’Hitler qui tentait encore de séduire ses voisins européens.
« Les versions présentes sur Internet sont un réel péril »
Outre-Rhin, où la réédition du livre est interdite, l’institut d’histoire contemporaine de Munich travaille également à une version pédagogique allemande de l’ouvrage.
« Cet appareil critique présent tout au long du livre est la condition absolue à une réédition de Mein Kampf« , pour l’historien Jean-Paul Bled, spécialiste de l’Allemagne. « Les versions présentes sur Internet, sans aucun garde-fou, sont un réel péril », ajoute-t-il.
Le texte est en effet accessible très facilement sur la toile, rarement dans sa version originale, et essentiellement sur des sites nationalistes.
L’historien britannique Peter McGee a voulu faire paraître fin janvier des extraits du livre fondateur de l’idéologie du IIIe Reich dans sa revue consacrée à la littérature nazie, lue par un public de chercheurs et d’historiens . Mais le Land de Bavière, propriétaire des droits d’auteur, veille rigoureusement à faire respecter son interdiction de publication : la Cour de Munich a donc interdit le projet de McGee. La course à la « bonne » version est lancée.
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