En 2012, le FBI mettait hors ligne l’un des sites les plus influents de son époque. Megaupload, oasis pirate du web, hébergeait des millions de gigas de données sur ses serveurs. Les Inrocks sont allés retrouver des utilisateurs de la plateforme. Si la plupart ont réussi à passer autre chose, le souvenir du site est encore bien présent…
Il vous a très certainement permis de passer une soirée tranquille devant une série, quelques années avant que l’on parle de « Netflix and chill »: Megaupload est l’un des sites dont la disparition a le plus marqué internet ces dernières années. Il hébergeait 25 millions de giga-octets de fichiers au moment de sa disparition en 2012 et si vous avez téléchargé illégalement des films, de la musique ou encore des jeux du milieu des années 2000 jusqu’au début des années 2010, il y a des grandes chances que vous ayez croisé sa route. Un article de Libération paru quelques mois après sa fermeture en parlait comme de « la plus incommensurable des discothèques et la plus gigantesque des vidéothèques jamais constituées, accessibles en quelques clics« .
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Le service, fondé en mars 2005 par Kim Schmitz, alias Kim Dotcom, un colosse allemand un brin mégalomane qui s’était exilé en Nouvelle Zélande, était sans aucun doute l’un des derniers endroits du web où planait un parfum de liberté et de rébellion, où le travail de la communauté allait dans le sens d’un partage total et intégral de la culture pour tous, pas seulement quelques initiés au courant des dernières astuces de pirates. Le principe était assez simple : n’importe qui pouvait, gratuitement, se créer un compte et mettre en ligne des fichiers. Si les utilisateurs premium bénéficiaient de capacités de stockage infinies, les personnes utilisant un compte basique pouvaient utiliser 200 go de stockage sans rien débourser, ce qui semble aujourd’hui totalement fou. Des liens de partage étaient ensuite générés, liens qui étaient ensuite publiés par des sites spécialisés dans le téléchargement direct, à la façon de catalogues.
Interface de mise en ligne des fichiers sur Megaupload – Capture d’écran du site Archive.is
Séries télé et archives du net
Le site est apparu peu après le début du nouvel âge d’or des séries télé, qui a vu leur qualité et leur nombre croître au fur et à mesure des années 2000. Megaupload aura ainsi permis à de nombreuses personnes de découvrir ces productions en grande majorité américaine et qui ont, pour la plupart, mis du temps à traverser l’Atlantique. « J’ai découvert la plateforme en 2009 ou en 2010. La première chose que j’ai téléchargé était la première saison de Skins, raconte Loïc*, âgé d’une vingtaine d’années. Je n’étais pas fan de séries avant. Là sur une seule plateforme, il y avait tout et en bonne quantité« . Même son de cloche pour Jeanne, qui utilisait principalement Megavideo, site de streaming faisant partie de la galaxie de service de Megaupload. « J’ai commencé après avoir découvert Grey’s Anatomy en DVD. C’était une vraie révolution pour moi. J’ai du commencer à télécharger sur Megaupload un an plus tard« , explique l’étudiante.
Les trésors stockés par Megaupload étaient parfois très précieux et rares. Thierry considère que le site a été une espèce de wikipédia du film. « On trouvait tout, ou presque« , se rappelle-t-il. Et lorsque l’on avait jeté son dévolu sur un film difficile à trouver, il n’y avait pas trop de problème. « C’était ultra efficace, tout était sur Google et il était bien plus simple de trouver un film un peu rare« . Même chose du côté des jeux vidéo. Youloute, qui se présente comme un archiviste du jeu vidéo à ses heures perdues, explique que le site, leader sur le marché à l’époque, était parfois le seul à proposer certains types de contenu. « Le principal site d’archivage de magazines de jeu vidéo anglophones, Retromags, n’utilisait un serveur dédié que pour le site en lui-même, explique-t-il. Les contenus en téléchargement étaient pour l’essentiel hébergés chez Megaupload » La fonction d’archive du net de la plateforme était alors inestimable.
Simplicité d’utilisation et fiabilité
La simplicité d’utilisation de la plateforme était un gros avantage. Pas d’esbroufe, des téléchargements sans trop d’accroche avec les bons fichiers à la fin, tout plaidait en sa faveur. Le site a ainsi séduit pour sa fiabilité et donnait l’impression que les utilisateurs ne mettaient par la vie de leur matériel en jeu lorsqu’ils téléchargeaient. Adrien, âgé de 23 ans, travaille dans le marketing. Il regrette le côté pratique du site. « Bizarrement, Megaupload apportait une caution, une garantie que l’on téléchargeait en toute sécurité de manière illégale« .
Même son de cloche du côté de Matthias. « Megaupload, c’était le service de direct download fiable qui t’embrouillait le moins, se remémore le trentenaire. Sans trop de spam ni de pubs ni de virus. Un lien MU, c’était déjà un peu l’assurance d’être tombé sur ce que l’on cherchait vraiment« . La bonne réputation de la plateforme et de ses services s’est colportée par le bouche à oreille. Certains utilisateurs tentaient même d’évangéliser leurs amis. C’est le cas de Thierry, 35 ans qui expliquait alors comment trouver les films ou autre contenu que ses proches souhaitaient absolument détenir. « Je leur disais ‘tape le titre + megaupload’ dans google, tu as une chance sur deux que le premier résultat soit le bon« .
La fin de MegaUpload
Megaupload n’était pas la seule plateforme à proposer ce genre de service, loin de là, Rapidshare ou Mediafire étaient des concurrents de la plateforme. Mais aucun n’a réussi à se démarquer face au bébé de Kim Dot Com. Malheureusement, tout a une fin. Et le jeudi 19 janvier 2012, le site ferme brutalement. A l’origine de cette disparition soudaine : le FBI. L’agence fédérale américaine a requis auprès de la société qui gérait le nom de domaine de Megaupload de couper tous les accès vers le site. Ainsi, du jour au lendemain, des millions de liens sont morts, rendant subitement indisponibles les fichiers vers lesquels ils menaient. Une grande partie d’entre eux ont été par la suite effacés.
VERY BAD NEWS: #Leaseweb has wiped ALL #Megaupload servers. All user data & crucial evidence for our defense destroyed "without warning".
— Kim Dotcom (@KimDotcom) June 19, 2013
Plusieurs des dirigeants des sociétés mis en causes ont été arrêtés à leur domicile en Nouvelle-Zélande. Kim Dotcom en faisait partie. Les Etats-Unis demandent leur extradition depuis près de quatre ans, sans succès jusqu’à maintenant. Une décision pourrait être prise dans les mois qui viennent, mais pas avant octobre.
Notice du FBI affichée sur la page de Megaupload après la mise hors-ligne du site – capture d’écran du site Archive.is
Un communiqué publié à l’époque par le département de la justice américaine expliquait point par point ce qui justifiait à ses yeux à cette action. « Sept personnes et deux sociétés ont été accusées aux USA de gérer un groupe criminel international supposé être à l’origine du piratage en ligne et massif d’un grand nombre d’œuvre protégées par le copyright à travers MegaUpload » décrit le document. Le FBI reproche aussi à Megaupload, ses dirigeants et les autres sites qui y sont liés, d’avoir généré plus de 175 millions de dollars de recettes via des activités criminelles et d’avoir causé un demi milliards de dollars de dommage aux détenteurs de copyright. Les propriétaires du site se défendront, un peu à la manière des créateurs de Pirate Bay, en expliquant n’avoir jamais eu connaissance des contenus qui étaient mis en ligne sur leur plateforme et n’étaient pas responsables du comportement des utilisateurs.
Un drame personnel pour de nombreux utilisateurs
Et soudainement, ce sont des millions d’utilisateurs à travers le monde qui perdaient leur source de contenu à regarder, lire, écouter. Pour certains, c’est un peu comme si le monde s’était écroulé sous leurs pieds durant la nuit. « La fin de Megaupload a créé un vent de panique voire de désespoir dans ma classe » explique Laura, qui était élève en prépa à l’époque. « La prépa, c’est un moment où tu ne te poses que 40 minutes par jour au moment où tu dines. C’est le seul plaisir que tu te laisses tous les jours : manger devant une série« . Jeanne se souvient elle s’être sentie abattue après avoir eu vent de la nouvelle. « Pour moi il n’y avait que ça, je pensais vraiment, et plutôt naïvement, que c’était la fin du téléchargement gratuit« . Cet arrêt a provoqué chez elle une grande tristesse et même mené à des disputes avec son entourage. « Je me souviens avoir crié sur ma mère qui ne comprenait pas pourquoi j’étais si triste« .
https://twitter.com/shw12_/status/748662066039365632
Pour Matthias en revanche, rien de tout ça, lui semblant difficile de vraiment « faire la gueule » lorsqu’un site principalement pirate ferme ses portes, même dans ces conditions. « A force d’être pris en flag on ne peut pas se permettre de se plaindre, raconte-t-il. C’est comme quand une boutique où tu vas souvent ferme. Bah tu marches plus longtemps pour la même chose« .
comment j'aime pas la page blanche sur zone téléchargement … sa me rappelle la fermeture de Megaupload .. :'(
— Ben (@benloison) June 28, 2016
Alexis, 20 ans, en licence d’info-comm, n’était pas triste mais étonné. « J’ai surtout été stupéfait par cette campagne du FBI, se remémore l’étudiant, car même au moment des faits, je savais que ça ne servirait à rien et qu’en un mois ou deux les sites de téléchargement auraient remis leur lien« . Il se souvient notamment de grosses mobilisations sur les forums pour redonner les liens des films téléchargés, ce qui s’est fait assez rapidement. « Le téléchargement illégal en direct download c’est un peu une hydre », analyse Adrien. « Tu coupes une tête et trois repoussent. Mais après Megaupload, tu passais à des alternatives sur des sites qui n’étaient que des sous-versions« .
Thierry, lui, était abasourdi. Pour lui, c’était un peu « comme si la bibliothèque d’Alexandrie brûlait de nouveau« . « Ok j’en rajoute un peu« , convient-il. Mais la chute du site a selon lui permis de révéler qui était derrière le site et de faire la lumière sur certaines zones d’ombre. « Avant on ne savait rien sur son ou ses propriétaires, où allait l’argent », explique-t-il. « Des théories circulaient disant que la mafia chinoise était derrière. Bon en fait c’était juste un joueur de counter-strike« .
Et après ?
La plupart des personnes interrogées dans le cadre de cet article sont passées à des solutions de remplacement. Certains, comme Laura et ses camarades de prépa, se sont partagé les séries qu’ils avaient chacun de leur côté. Et si Megaupload et certains de ses concurrents qui offraient du téléchargement direct sont disparus, d’autres plateformes qui procuraient le même genre de service sont restées disponibles et ont tenté de survivre. Celles-ci étaient pourtant souvent moins performantes et moins bien fournies. Kim Dot Com a même fondé un successeur à Megaupload, simplement intitulé « Mega« , apparu un an après la mort de son aîné, mais celui-ci n’a jamais convaincu.
Certains utilisateurs sont passés au téléchargement par torrent, d’autres ont définitivement arrêté de télécharger illégalement et ont appris à être plus patient pour attendre les offres légales. Mais à peu près tous s’accordent pour dire qu’il y avait un avant et un après Megaupload. Matthias estime que la disparition de Megaupload n’est qu’une étape d’une course infinie dans la recherche du contenu en ligne. « Chaque service ou site qui héberge des fichiers de niche que je cherche finit par fermer, ou muter, et il faut trouver une autre source, une autre combine, observe-t-il. C’est la précarité pirate, là où Megaupload était un repère fiable« . Thierry explique que Megaupload était le rêve tout asocial. « Donc un peu le mien« , ajoute-t-il.
*Certains noms ont été modifiés
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