Surfant sur la défiance de l’opinion vis-à-vis des médias, le 45e président des Etats-Unis n’a de cesse de les insulter. A l’heure de la “post-vérité”, les journalistes s’interrogent sur l’avenir de leur métier.
Il adore les détester. Depuis son élection à la présidence des Etats-Unis, mais aussi durant sa campagne, Donald Trump n’a cessé de critiquer, moquer mais aussi menacer les journalistes américains, individus comptant “parmi les personnes les plus malhonnêtes sur Terre” et ayant, par-dessus le marché, le toupet de faire leur travail. BuzzFeed ? “Un tas d’ordures.” CNN, chaîne de télévision qu’il a récemment blacklistée, refusant de répondre à ses questions ? Un média qui verserait dans le fake news.
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Pourtant, le milliardaire et ses équipes sont les champions du genre, mentant par exemple sur le nombre de personnes présentes à la cérémonie d’investiture du nouveau chef de l’Etat.Trump est très l’aise avec sa (feinte) aversion pour les calepins, caméras et micros, qu’il pourrait d’ailleurs bientôt interdire d’accès à la Maison Blanche en supprimant sa salle de presse. “Je suis en guerre contre les médias”, a-t-il déclaré au siège de la CIA lors de sa première allocution officielle en tant que quarante-cinquième président des Etats-Unis. Enfin, pas tous…
Un Président menteur et une faible confiance des Américains
Le républicain ne rechigne pas à arborer sa mèche peroxydée chez Fox News ou encore Breitbart News, site ultranationaliste dirigé un temps par Steve Bannon, son conseiller spécial à la Maison Blanche connu pour ses positions plus que borderline. Des médias à l’influence certaine, qui l’ont aidé à accéder au pouvoir. Mais comment les journalistes gèrent-ils cela ?
Pas toujours très sereinement. C’est qu’ils sont confrontés à une situation inédite : celle d’un Président qui ment avec aplomb et qui abhorre les médias tout en se servant d’eux, connaissant la faible confiance des Américains à leur égard.
“L’administration Trump voit la presse comme un punching-ball utile” Carlos Maza, du site Vox
“Je pense que l’administration Trump voit la presse comme un punching-ball utile, car elle peut se servir de la critique des journalistes pour mobiliser ses soutiens”, raconte Carlos Maza, producteur de vidéos réfléchissant à la meilleure façon de traiter médiatiquement le cas Trump pour le site Vox.
Une initiative qui montre le flou dans lequel les médias sont plongés, s’interrogeant sur l’attitude la plus pertinente à adopter – boycotter les déclarations officielles ? travailler autrement ? prendre parti contre Trump ou rester objectif ? – mais aussi s’inquiétant pour leur job et leur vie privée.
Car les menaces et intimidations envers les journalistes sont monnaie courante depuis l’arrivée de Trump sur la scène politique. “Je pense qu’on a tous peur de subir des attaques personnelles depuis que l’administration Trump a qualifié la presse de ‘parti d’opposition’ », explique Tara Palmeri, reporter à la Maison Blanche pour le magazine Politico. Après tout, que fait-on contre un parti d’opposition ? On l’attaque (…).
“Les médias ont été dépeints comme les ennemis, et une large partie des Américains pensent que c’est vrai.” La jeune femme, qui assure “avoir dû se blinder”, ne cache pas que “ces offensives constantes finissent par vous atteindre”, précisant : “Du coup, j’ai modifié les réglages de mon compte Twitter pour ne pas avoir à lire les messages agressifs.”
Harcèlement sur le web et manque de transparence
Outre le harcèlement sur le web, d’autres motifs d’inquiétude sont mis en avant par les reporters, comme le manque de transparence de l’administration Trump sur certains enjeux. Sans tomber dans la paranoïa, Elizabeth Lopatto, journaliste scientifique pour The Verge, reste sur ses gardes : “On a vu que, quand il était au pouvoir, George W. Bush essayait parfois de museler les scientifiques sur des sujets controversés, comme le changement climatique (…). Je m’attends à la même chose de la part de l’administration Trump.”
De quoi inciter la communauté scientifique à “sauvegarder le plus de données possible”, dans l’éventualité où “des données publiques pourraient être supprimées”, soit des infos cruciales pour les journalistes en charge de ces questions.
Grâce à Trump, l’opportunité d’un nouveau départ
Mais Elizabeth voit aussi dans l’accession au pouvoir de Trump une opportunité pour les médias d’aller plus loin : “Je pense que, parfois, les journalistes s’autocensurent pour maintenir leur accès à des figures de pouvoir. S’ils n’y ont plus accès, il n’y a pas de raison pour ne pas y aller fort.”
Elle n’est pas la seule à penser que la presse pourrait, paradoxalement, prendre un nouveau départ grâce à Trump. Kate Nocera, directrice de l’antenne de BuzzFeed à Washington, estime que, maintenant, “les journalistes vont devoir être plus agressifs dans la dénonciation des mensonges”.
“Les médias devraient fermer leur gueule” Steve Bannon, conseiller spécial du Président, au New York Times
Contrairement à ce qu’a déclaré Steve Bannon au New York Times, estimant que “les médias devraient fermer leur gueule”, elle ne compte en aucun cas lâcher l’affaire. “Non, nous n’allons pas la fermer. Non, nous ne sommes pas un parti d’opposition (…). Nous allons couvrir Trump honnêtement, tout en nommant un conflit, un conflit, et un mensonge, un mensonge.”
Vers plus de fact-checking et d’investigation
La vérification des faits prend ainsi une autre dimension sous Trump. “Le fact-checking est une des clés, dans ce contexte d’‘alternative facts’, vu que les infos que nous donne l’administration peuvent être un piège.(…) J’espère aussi que plus de journalistes vont passer plus de temps dans le cœur du pays, pour écouter des opinions diverses, et pas seulement celles de ceux vivant sur les côtes où nos bureaux sont installés”, espère Tara Palmeri.
David Weigel, journaliste politique au Washington Post, estime lui aussi que l’attitude de Trump pourrait permettre aux médias, qui ont pour la plupart étoffé leurs équipes chargées de couvrir la Maison Blanche, de travailler autrement. Pour le meilleur : “C’est plus facile et plus drôle d’écrire des papiers basés sur des fuites et des sources que sur les infos de l’administration.”
Il voit finalement dans ce cloisonnement de la parole officielle “la plus grande faiblesse de la stratégie médiatique de Trump”, dans le sens où beaucoup d’informations fuiteraient à présent de la Maison Blanche et où l’investigation redeviendrait centrale.
Malgré leurs craintes, les reporters seraient en fait plongés dans une entreprise passionnante. C’est du moins l’avis de Joe Pompeo, journaliste à Politico : “Vu tous les mensonges diffusés, les journalistes considèrent leur job comme plus important que jamais (…). Le boulot des journalistes politiques est devenu beaucoup plus difficile et éprouvant, mais aussi plus stimulant. Enfin, quand même, couvrir le mandat de Trump, c’est l’article d’une vie.”
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