Face-à-face entre le Président et les citoyens, débat sur l’identité nationale, politique-spectacle : sous couvert de démocratie directe, les chaînes servent la soupe au pouvoir. Et l’intox remplace le débat d’idées.
Vincent Peillon se défausse chez Arlette Chabot, Nicolas Sarkozy se refait une beauté chez Laurence Ferrari et Jean-Pierre Pernaut : il y a de quoi s’étrangler face au débat politique tel qu’il est mis en scène aux heures de grande écoute.
Entre refus de jouer le jeu et tapis rouge déroulé avec ostentation, le débat politique tourne en rond, voire court. Les polémiques liées aux deux émissions récentes – A vous de juger le jeudi 14 janvier sur France 2, Sarkozy face aux Français le lundi 25 janvier sur TF1 – sont l’indice d’une machinerie télévisuelle plus soucieuse du pouvoir que du débat d’idées.
L’effacement stratégique de Peillon éclaire paradoxalement la surexposition contrôlée de Sarkozy. Cet écart ne tient pas au temps de parole accordé à tel ou tel camp, mais à la manière dont la télé intériorise le discours idéologique dominant.
Le coup de sang de Vincent Peillon, qui a refusé au dernier moment de participer au débat sur l’identité nationale avec Eric Besson et Marine Le Pen, peut être interprété comme une colère contre ce que le sociologue Eric Fassin nomme un “aveuglement médiatique” (sur Mediapart).
A la télé, le véritable enjeu n’est pas ce dont on parle mais qui parle. A partir de ce postulat, Peillon a eu raison de ne pas jouer le jeu d’Arlette Chabot pour qui un face-à face entre Besson et Le Pen va de soi, au nom d’une conception cynique du débat démocratique qui se dissout dans le (mauvais) spectacle.
Qualifié de nouveau “voyou” de la politique par la majorité des journalistes qui lui reprochaient son “mensonge”, sa “dissimulation”, son “traquenard” (comme Alain Duhamel et Jean-Michel Aphatie sur le plateau du Grand Journal, le 15 janvier), le député européen a au moins permis de reposer la question de la mise en scène d’un débat politique, dont les règles a priori éternelles ne cessent d’évoluer avec le temps télévisuel.
L’absence de Peillon, à qui on a reproché de faire un “coup”, a eu le mérite de rebattre les cartes quelques jours avant une autre farce médiatique : le face-à-face de Sarkozy avec dix Français choisis par TF1.
Ce panel censé incarner une coupe transversale de la société n’est pas seulement une absurdité sociologique : c’est politiquement orienté. Si l’on y ajoute Jean-Pierre Pernaut en position d’arbitre, lui qui n’a jamais caché ses affinités avec la droite, l’objectif est clair : servir la soupe au président.
Avec ce dévoiement de la démocratie directe et le contournement du filtre journalistique classique, TF1 prolonge une expérience entamée avec l’émission J’ai une question à vous poser durant la campagne de la présidentielle de 2007.
Déjà, la “cléricature” des journalistes vedettes (selon l’expression de Daniel Schneidermann) s’était émue de son exclusion. Alors que le questionnement leur appartenait en propre depuis des décennies, ce privilège se fissurait : l’usure de la grammaire politique à la télé avait eu raison de leur “professionnalisme”.
Si, pour des motifs démocratiques, ils ont tort de le déplorer, il faut bien reconnaître que le dispositif du questionnement direct n’est souvent qu’un leurre : les politiques déroulent leur programme plus qu’ils ne dialoguent avec des contradicteurs.
Le “voyou” Vincent Peillon lui-même s’est récemment prêté à l’exercice du contact direct avec des Français dans une nouvelle émission de télé-réalité sur Dailymotion. Politique à domicile ou un dîner presque parfait avec une famille dans son cadre domestique.
Entre les plateaux verrouillés et les interviewers vedettes d’un côté, les discussions hors les murs sans médiateur de l’autre, le déploiement de la parole politique a besoin de réinventer d’autres espaces, d’autres dispositifs pour que quelque chose se dise enfin.
Ce défi concerne journalistes et politiques, engagés qu’ils sont dans un jeu dont ils ont toujours défini les règles en commun.
Pour que des rendez-vous ne s’annulent plus, pour que la télé ne s’éteigne plus.