Nuit debout, c’est aussi deux médias présents tous les soirs place de la République. Animées par des bénévoles, TV debout et Radio debout entendent donner à voir et à entendre la manifestation à un maximum de gens. Avec peu de moyens, certes, mais beaucoup d’enthousiasme et d’idées.
“Les gars, les Inrocks veulent faire un reportage sur nous, il faut qu’on vote!” Sous la bâche de TV debout, à République, le ton est à la blague (enfin, on croit). Depuis le 38 mars (10 avril), plusieurs bénévoles travaillent ensemble à faire vivre ce tout nouveau média. Assisterait-on à l’émergence d’un nouvel outsider ? Pas vraiment : à TV debout, on n’est pas spécialement fan du traitement du mouvement fait par les médias audiovisuels traditionnels.
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Tout le monde peut contribuer
Selon un des membres actifs de l’équipe, qui ne veut pas donner son nom “car ce n’est pas important, on est personne, on est juste des citoyens”, les chaînes d’info en continu, en particulier, font mal leur boulot depuis le début de la manifestation : “Tu les as vus travailler ? Ils viennent chercher l’info qu’ils veulent et basta… Et puis, les gens ne veulent pas leur répondre car ils font partie de ce qu’ils rejettent.” A savoir, les gros groupes audiovisuels, détenus par des hommes d’affaires. Les gens acceptent pourtant de nous parler. “Ce n’est pas pareil, la télévision, c’est intimidant, c’est une approche différente.” Il sait de quoi il parle : lui même est parfois reporter pour la télé.
Car à TV debout, plusieurs bénévoles sont des journalistes professionnels. D’autres travaillent dans l’audiovisuel, dans le milieu de la photo ou bien ont des jobs totalement différents. En tout, ils sont une quinzaine. Le groupe s’est structuré petit à petit, comme l’explique Elise : “Au départ, c’est juste deux mecs qui ont lancé l’idée sur Twitter. Ils trouvaient dommage qu’on ne puisse pas avoir partout accès aux AG. Le lendemain matin, on était cinq à discuter de tout ça à République. Le soir, à 20h, on faisait déjà notre première diffusion.” L’idée de TV debout ? Diffuser en live les AG sur leur chaîne Youtube, “comme ça, même les gens qui ne peuvent pas se déplacer ou qui ne sont pas à Paris peuvent y assister”, mais aussi prendre du recul : interviews en plateau, analyses… Le tout diffusé en direct (ou en replay) sur leur chaîne et, ils l’espèrent, bientôt sur le site qu’ils sont en train de créer, tvdebout.fr. Tout le monde peut participer et contribuer : il suffit de proposer son aide.
Il est environ 19 heures : les membres de TV debout commencent à monter le plateau.
« Ni gentils ni méchants »
Le matos est leur propriété personnelle, une clé 4G a été achetée pour la connexion Internet. Des câbles traînent un peu partout, il y a quelques projecteurs et des bières, la mire de barre de fortune ne tient pas bien en place. Pas grave : à l’image d’Antoine, la trentaine, tous sont heureux de participer à ce projet : “C’est stimulant, il y a un vrai échange de savoirs. Tu peux passer d’un poste à l’autre tout le temps, c’est hyper intéressant.” Lui aussi est très critique à l’égard des médias traditionnels : “Ils ne parlent que de Finkielkraut qui se fait jeter par deux mecs alors qu’en soi personne ne cautionne !” Ironie du sort : pile à ce moment-là, un homme prenant la parole à l’AG, juste à côté, pourfend le traitement médiatique de Nuit debout. « Vous voyez ? », dit Antoine, hilare.
Avec TV debout, ils entendent donner une image plus fidèle de la manifestation, de l’intérieur. De quoi se faire parfois traiter de “prosélytes”, comme l’explique l’un d’eux, alors que, selon lui, “on n’est ni les gentils, ni les méchants, on est juste un média qui raconte ce qui se passe sur place et qui donne la parole aux gens. Regarde, Varoufakis est venu ici, et il a dit qu’il ne voulait pas aller ailleurs!” (Bon, en fait, il est passé sur BFM deux jours plus tard). Ce soir-là, l’ex-ministre des Finances grec est également intervenu sur Radio debout : sous la grande bâche, les deux médias sont mitoyens et collaborent parfois.
« Radio de la réaction »
Le principe est le même : un média autogestionnaire, diffusé sur le web via la plateforme mixlr, animé par des bénévoles. La plupart travaille ou a déjà travaillé pour des radios francophones publiques. Ici aussi, le matériel est amené directement par les membres de l’équipe. Casque sur la tête, un programme de l’émission de ce soir dans une main et un gâteau dans l’autre, l’un d’eux explique être “le référent antenne” de la soirée. Ca semble lui plaire d’être là : “Enfin, le pays se bouge. Ici, en soi, c’est pas du tout ma culture, mais je suis content de donner ma part.” Pour lui, ce qu’ils font ici permettra de laisser une trace : “Ce qui se passe en ce moment doit être documenté. Ce serait idéalement le rôle du service public de faire ça mais maintenant on est dans des logiques où ce n’est plus possible. Ils réduisent les budgets de reportage etc… Ici, on a un champ des possibles.” Des personnes très variées interviennent dans l’émission : un chef d’entreprise, des membres des commissions ou encore Christian, un petit papy adorable qui est venu chanter ses chansons un peu plus tôt. Il traine toujours dans le coin pour distribuer ses textes sur la Révolution ou sur les « Politiciens de malheur » (Merci encore, Christian). Il espère aussi passer à TV debout.
Le texte est de Christian, l’homme à la casquette.
A Radio debout, ils sont entre 30 et 40 à s’impliquer régulièrement. Par exemple, cela fait plus d’une semaine que Fanch, Brestois d’origine, est arrivé à Paris. Cet adorateur de la radio, qui la chronique d’ailleurs sur son blog Radio Fañch, ne raterai la manifestation pour rien au monde : “J’aime cette idée de radio sauvage, de radio réactive, de radio de la réaction.”
Une diffusion hors de Paris
Une idée de média de l’urgence partagée par les membres de TV debout. D’ailleurs, après quelques péripéties, ils sont enfin prêts. Nina Faure, réalisatrice dont plusieurs films sont diffusés à République ce soir, quitte le micro de Radio debout pour s’installer sur la chaise de son homologue télévisuel. Elle s’apprête à être interviewée. Juste après aura normalement lieu le premier duplex de TV debout à l’extérieur de Paris. C’est Marseille qui inaugurera le principe, qui, comme l’assure Mehdi, a vocation à se répandre dans d’autres villes : “Grâce à un boîtier spécial branché sur leur caméra, les gens qui habitent dans d’autres villes pourront nous envoyer en direct leurs duplex et vidéos. C’est super : ici, c’est un labo, l’occasion d’inventer des trucs.”
La réalisatrice Nina Faure, interviewée par un membre de TV debout
Mehdi est en revanche un peu contrarié : ce soir, beaucoup de médias ont dépêché des journalistes pour faire un reportage sur eux. France 3, France culture, Les Inrocks donc… Des articles ont déjà été écrits sur eux, par Arrêt sur images ou encore Libération. Pour ce JRI indépendant, ce n’est pas bon signe : “Quand on parle de nous, on ne parle pas des gens qui sont ici sur la place.” Mais n’est-ce pas, justement, l’occasion de médiatiser leur action et de toucher un public encore plus conséquent – même s’ils ont près de 150 000 vues pour l’ensemble de leurs vidéos sur leur chaîne Youtube ? “C’est vrai, mais je pense que quand tu deviens un truc qui est trop sous les phares de l’actu, ça attire les gens qui veulent la lumière plus qu’autre chose. Je ne sais pas. C’est difficile d’être cohérent, on essaie au maximum de l’être. » A côté, d’autres membres de l’équipe ne sont pas d’accord. A TV debout, comme en AG, tout le monde débat, a son mot à dire, et c’est très bien comme ça. Un des membres de l’équipe vient dire qu’un homme a demandé à jouer « des suites de Bach », demain, en direct. Pour un featuring avec Christian ?
{"type":"Banniere-Basse"}