Dans « Le Capital au XXIe siècle », sorti en mars aux Etats-Unis, l’économiste français Thomas Piketty montre que la concentration des richesses et les inégalités croissantes sont inscrites dans l’ADN du capitalisme. Ulcérée, la droite américaine réagit de manière pulsionnelle. Comme un bon vieux clash de rap français.
L’argument Kaaris – « J’m’en bats les couilles mec »
Comme Kaaris en interview, l’éditorialiste Megan Mc Ardle joue la carte de l’indifférence. Sa critique du Capital au XXIe siècle, publiée par le site Bloomberg View, ressemble à s’y méprendre à celle, parodique, générée par Slate : “Toi aussi, parle du livre de Thomas Piketty sans l’avoir lu”.
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“Je m’excuse d’avance”, écrit Mc Arden, “parce que je vais vous parler d’un livre que je n’ai pas encore lu« . La blogueuse s’explique : pressée de prouver que ce livre ne mérite pas l’attention qu’on lui porte, elle n’a tout simplement pas pris le temps de l’ouvrir.
L’argument Rohff – “Truc de dingue, de psychopathe, attention !”
James Pethoukoukis, de la National Review, écrit comme un Rohff en plein egotrip. Selon lui, Piketty est un économiste dérangé et dangereux, apôtre d’un “nouveau marxisme”. Il est vrai que le titre du Capital au XXIe siècle est une allusion délibérée à Marx. Pourtant, dans son ouvrage, Piketty ne se gêne pas pour critiquer l’auteur du Capital.
Pethoutokis ne s’arrête pas là. Comme Rohff, l’éditorialiste américain privilégie le clash version 2.0. Il résume les 800 pages de l’ouvrage de Piketty en 140 caractères cinglants : “Karl Marx n’avait pas tort, il est juste venu trop tôt. En gros. Désolé, capitalisme. #inequalityforevah« .
L’argument Maître Gims – “Hello sista, j’te demande pas ton numéro”
C’est l’argument que l’on n’attendait pas pour battre en brèche un livre de 800 pages : la télécommunication. “Aujourd’hui, tout le monde ou presque a un téléphone, et plus de la moitié des Américains ont un smartphone”. Aucune raison, donc, de s’inquiéter de la montée des inégalités : selon James P. Pinkerton, du magazine conservateur Breitbart, Thomas Piketty s’attaque à un faux problème.
Pour Pinkerton, les inégalités de revenus sont bien réelles, mais pas cruciales, car nous sommes tous bien mieux lotis que dans le passé – une manière de prendre en compte la consommation des ménages qui néglige leur capacité à s’endetter, comme le souligne le pure-player américain Salon.
L’argument Booba – « Ma question préférée, qu’est-ce que j’vais faire de tout cet oseille »
Contrairement à d’autres rappeurs qui revendiquent leur rage du bitume, Booba assume son côté néolibéral de Miami. De la même manière, Tyler Cowen, professeur d’économie à la Manson University et chroniqueur au New York Times, n’hésite pas à dire que la société a besoin des riches. Par le passé, la générosité d’opulents mécènes a permis à des artistes comme Baudelaire, Cézanne ou encore Delacroix d’éclore. Aujourd’hui encore, pour préserver la culture, il faut garantir l’oisiveté d’une élite de rentiers prête à la financer.
L’article de Tyler Cowen met en exergue une divergence fondamentale entre conservateurs et progressistes : quand les uns réfutent les inégalités, les autres considèrent qu’elles sont acceptables. Elle fait partie des rares critiques de fond, détaillées par The Economist, qui émergent de l’“hystérie anti-Piketty” de la droite (contre laquelle Salon propose d’ailleurs un guide ultime).
Une stratégie de disqualification qui a traversé l’Atlantique : en septembre dernier, un éditorialiste du Point, Nicolas Baverez, taxait déjà le travail de Thomas Piketty de “marxisme de sous-préfecture« . Bah bravo morray !
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