Auteur prolifique de romans historiques populaires, l’académicien Max Gallo est mort ce 18 juillet à 85 ans. Souvent présenté comme « historien », il était un fervent défenseur du « roman national », comme nous l’explique l’historien William Blanc, co-auteur du livre « Les Historiens de garde » (Libertalia, 2016).
Dans les nombreux hommages qui sont rendus à Max Gallo, qui s’est éteint ce 18 juillet à l’âge de 85 ans, beaucoup le qualifient d’ »historien ». « Historien pétri de culture », pour Jean-Pierre Chevènement, dont il a été proche, « grand historien, amoureux d’une certaine idée de la France », selon Nicolas Dupont-Aignan, il « aimait la France et donc son Histoire », estime plus mesurément François Hollande, qui était son chef de cabinet sous Mitterrand (Max Gallo a été porte-parole du gouvernement en 1983).
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
Selon l’historien William Blanc, co-auteur du livre Les Historiens de garde. De Lorànt Deutsch à Patrick Buisson, la résurgence du roman national (Libertalia, 2016), il y a pourtant tromperie sur la marchandise. Auteur de deux longs articles sur Max Gallo (« L’homme de l’âme »), il le considère comme un adepte du « roman national », en tout point opposé à l’histoire.
Quelle histoire pratiquait Max Gallo ?
William Blanc – Max Gallo a été professeur d’histoire au lycée, puis à l’université et à Sciences Po Paris dans les années 1960, mais il a viré assez rapidement dans le roman national, c’est-à-dire dans une histoire mythifiée, qui ne cherche pas à comprendre le passé, mais à donner des exemples glorieux à suivre. Ce qui est ironique avec Gallo, c’est qu’il a commencé par le roman national de gauche – il était engagé au PS dans les années 70-80 –, et a fini dans le roman national de droite en devenant un soutien de Nicolas Sarkozy en 2007. En fin de compte, ces deux romans nationaux antagonistes, qui mettent en avant respectivement les grandes figures de la Révolution, et les grandes figures de l’anti-Révolution avec les rois, les Saints et l’histoire religieuse, sont donc complémentaires. C’est la même chose, sauf qu’on change de figures.
Qu’entendez-vous par « roman national », et pourquoi cette notion est-elle polémique dans la communauté scientifique ?
Le roman national est une vision mythifiée de la France, qui cherche à expliquer l’histoire dans une perspective téléologique. Selon cette perspective, le passé doit forcément conduire au présent, dans une grande suite logique de figures. Gallo ne cherche pas à expliquer les événements par leur contexte, mais leur donne une vision actualisée.
Par exemple, quand il parle de La Chanson de Roland, le premier texte littéraire complet en ancien français, il cite l’expression “douce France” pour montrer que la France a toujours été belle, glorieuse, sympathique. Le simple fait que l’expression « douce France » apparaisse plusieurs fois dans le texte serait la preuve de l’existence d’un sentiment patriotique dès le XIe siècle. Mais il oublie – alors qu’il le sait pertinemment – que le terme « France » au XIe siècle ne veut pas dire la même chose qu’aujourd’hui. De plus, l’adjectif « doux » pour décrire une région ne veut pas dire que son auteur éprouve un sentiment d’attachement patriotique à son égard. Il poursuit ainsi son propre but, qui est selon ses propres mots de « ranimer le roman national français ».
Le genre biographique, dans lequel il s’est beaucoup illustré (Robespierre, Vallès, Jaurès, de Gaulle, Hugo ou encore Louis XIV sont passés sous sa plume), correspond-il aux canons de cette histoire ?
Complètement. Dans le roman national, l’histoire doit passer par les grands personnages. C’est assez classique, et ça marche pour le roman national de gauche comme de droite. Gallo se présentait comme historien, mais en fait c’était un romancier.
Il avait soutenu le projet de Musée de l’histoire de France de Nicolas Sarkozy, en estimant qu’on y trouverait « l’âme de la France » sur laquelle il a écrit. Pourquoi cette initiative avait-elle ses faveurs ?
Parce qu’elle correspondait à l’idée de roman national, qui est opposée à l’histoire. L’âme de la France n’existe pas. La France est une réalité en mouvement constant. Celle d’il y a un siècle ne ressemble pas à celle d’aujourd’hui dans ses réalités politiques et sociales. Un petit exemple : il y a un siècle, les femmes n’avaient pas le droit de voter, elles n’avaient quasiment aucun droit civique, et la France était majoritairement paysanne. Ce n’est pas le même pays. L’histoire, c’est étudier les changements, alors que Max Gallo ne voulait étudier que les continuités.
En 2007, son livre L’Âme de la France préfigurait le débat sur l’identité nationale : « Pour la France, le XXIe siècle tel qu’il commence, sera le temps des troubles. La nation est ankylosée par une crise profonde. Elle doute de son identité, et donc de son avenir », écrivait-il. Il réagissait alors notamment aux lois mémorielles, en particulier à la loi Taubira reconnaissant l’esclavage comme crime contre l’humanité. Il ne le supportait pas, car pour lui l’histoire de la France doit forcément être belle, on ne peut pas parler des moments troubles. Pour lui, si la France est en crise, c’est la faute à la repentance, qui serait source de désunion. Il voulait créer un roman national positif, capable selon lui de renforcer la cohésion nationale, ce qui n’a aucun sens. On ne forgera jamais rien de solide en cachant des faits à des gens.
En se faisant l’écrivain officiel du « roman national », il laissait donc de côté de nombreuses histoires particulières ?
Quand Gallo parle de roman national, il exclut les mémoires particulières, même si elles existent, sans qu’il y ait de hiérarchie entre elles. Il ignore complètement les conflits, en particulier des populations les plus récentes. Le projet de Musée de l’Histoire de France était complémentaire du ministère de l’Immigration et de l’Identité nationale voulu par Nicolas Sarkozy. L’objectif étant de faire croire en une identité fixe. Cela pose problème, car ça exclut tous ceux qui n’entrent pas dans ce beau roman national.
Cette perspective l’a-t-elle conduit à commettre des erreurs historiques ?
Bien sûr. Max Gallo, qui avait commencé à gauche sur l’échiquier politique, a fini par dire que l’âme de la France était chrétienne. Il avait même affirmé que Clovis était l’inventeur de la laïcité ! Dans Histoires particulières (un livre d’entretien avec Paul-François Paoli), il lie cette notion, qui est une création récente, au baptême de Clovis. La laïcité serait selon lui le fruit du travail des rois de France et de l’Église catholique, et pas d’une lutte qui fit rage tout au long du XIXe siècle. C’est un véritable tour de force.
Académicien et débatteur dans Esprit public sur France Culture, Max Gallo bénéficiait d’un poids médiatique important en tant qu’historien. Comment l’expliquez-vous ?
C’est un problème récurrent, qu’on observe aussi avec Franck Ferrand, Stéphane Bern et Lorànt Deutsch. Ce sont des gens qui prétendent faire de l’histoire, mais qui font du roman national. Non seulement Max Gallo bénéficiait d’une couverture médiatique importante, mais toute son œuvre procède de la même ambiguïté fondatrice que celle qui préside aux travaux de ces ‘historiens de garde’ : la confusion entre Histoire et fiction. Il s’affirmait l’héritier d’une histoire scientifique, alors qu’il est plus certainement le continuateur d’un récit national romanesque et mythifié.
Propos recueillis par Mathieu Dejean
Les Historiens de garde, de William Blanc, Aurore Chéry et Christophe Naudin, éd. Libertalia, 10 €
{"type":"Banniere-Basse"}