Entre la scène, avec son show hyperactif En état d’urgence, la télé et Charlie Hebdo où il écrit un billet, Mathieu Madénian s’agite de tous côtés. En s’appuyant sur un talent comique inné.
« Je n’ai jamais pris aucun cours ; j’aurais dû, peut-être.” Cet aveu de Mathieu Madénian révèle combien un tempérament comique inné peut s’accommoder d’une forme de lucidité sur soi. Etre “marrant”, cela ne s’apprend pas, même si cela se travaille, un peu. Cette nature comique – comme une seconde peau qui recouvre un épiderme enfantin, quoique velu – s’expose chaque soir au Grand Point Virgule, à Paris, dans son show bien nommé En état d’urgence.
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L’humoriste fait salle pleine, comme si l’urgence était d’écouter ses états d’âme, forcément un peu secoués depuis le 7 janvier 2015, jour où il n’a pas rejoint la réunion de rédaction de Charlie Hebdo (où il tient une chronique) parce qu’il attendait un réparateur pour sa télé défaillante. Drôle de destin, sur lequel il reconnaît ne pas avoir assez de recul. “J’ai perdu des amis mais je ne réalise pas vraiment tout ça. On m’a proposé de voir un psy. Je préfère que les gens paient pour m’écouter.”
Le rigolo du lycée de Perpignan
Sur scène, sa verve insatiable se déploie plus intensément encore qu’à la télé et à la radio, dont les règles plus contraignantes l’obligent à un exercice parfois un peu trop forcé et formaté. En 2010, Michel Drucker sur France 2 et Jean-Marc Morandini sur Europe 1 ont mesuré à quel point sa présence suffisait à dynamiter un plateau.
Mathieu Madénian s’est ensuite imposé dans les médias comme le rigolo de service prêt à tous les sévices. Même Le Grand Journal de Canal+, en manque d’inspiration humoristique, fait depuis quelques mois appel à lui pour décoincer les invités compassés.
Les portes de la renommée lui ont été ainsi largement ouvertes en cinq ans. Un temps suffisant pour consolider une réputation déjà faite du temps de ses années lycée à Perpignan. “C’est vrai que j’étais marrant dans ma jeunesse ; mais comme le disait Woody Allen, ‘drôle, c’est pas la première option’. Quand tu ne sais pas faire de skate et que tu n’as pas les dernières baskets Agassi, il ne te reste que ça : essayer d’être marrant.”
L’emballement des mots
Sa nature comique a pourtant failli se noyer dans la normalité d’une carrière juridique : fac de droit, curiosité pour la filière criminologie. “Après avoir vu Le Silence des agneaux, j’ai voulu devenir profiler !” Mais comme d’autres comiques avant lui, de Sylvie Joly à François-Xavier Demaison, l’ordre du droit s’est très vite fissuré sur le mur de la drôlerie. Plutôt que profiler, il sera persifleur.
Repéré par le visionnaire Kader Aoun (qui produit son spectacle) alors qu’il faisait encore des karaokés à Perpignan, Mathieu s’est lancé sur scène, presque nu, seul avec sa silhouette menue et ses mots touffus. “Kader m’a appris mon métier, il m’a emmené au Paname, une salle parisienne où aujourd’hui encore je teste chaque soir des nouvelles idées après mon spectacle. Il m’a poussé à ne jamais s’arrêter à la première vanne qui vient, à être toujours collé à la société, à raconter des choses personnelles sans exclure les autres, et les ramener toujours vers soi.”
L’emballement des mots pour déconstruire le sens commun
Qu’il soit sur scène, sur un plateau télé ou dans un journal papier, à travers sa “Carte postale” dans Charlie, il affirme travailler de la même façon, en s’en tenant à ses éternelles obsessions : susciter le rire par les moyens modestes de l’emballement des mots qui déconstruisent le sens commun. Au risque de l’expression spontanée et provocatrice, comme lorsqu’il traita en 2011 les électeurs frontistes de “fils de pute”.
“Une maladresse, reconnaît-il aujourd’hui. J’écris mon billet dans Charlie exactement comme je le raconterais sur scène ; c’est ce que m’avait demandé Charb. Je ne sais pas écrire ; ou plutôt, j’écris comme je parle. Je pars d’un thème, je raconte une histoire, les mots s’ajustent peu à peu les uns aux autres.”
Energie compulsive
S’il est un sacerdoce, l’art de faire rire est aussi un sacrifice. Et l’état d’urgence, un état d’ébriété. Mathieu Madénian avoue être sur la brèche sans répit, à la pêche aux blagues qui font mouche : “La journée, j’écris chez moi ; le soir, je joue sur scène et je rejoue après au Paname. Je ne m’arrête jamais en fait, juste deux semaines en août chez mes parents.”
Par-delà sa fiévreuse gaieté, sa “peur du vide” pourrait expliquer ce tropisme hyperactif. Il semble partager cette énergie compulsive avec ses amis énervés comme lui, de Thomas VDB à Oldelaf… Ceux qui le font le plus marrer restent les comiques anglo-saxons, de Louis CK à Jim Jefferies, de Jim Gaffigan à Bill Burr… “Je connais par cœur certaines de leurs vannes.”
Le choc Dupontel
Comme il a appris par cœur, enfant, les sketches de Coluche “pour faire plaisir à (ses) parents” (un père vendeur de pneus et une mère assistante sociale), avant de découvrir, fasciné, le sketch d’Albert Dupontel sur Rambo, “un choc”. Et lorsqu’on lui demande de définir la nature de son rire, il ne rit plus et confesse cette belle idée, en se souvenant d’un passage de Plateforme : “Houellebecq se demande dans le roman pourquoi certains comiques sont tristes : ils ont un secret pour faire rire, ce secret ils le connaissent et c’est ce qui les rend tristes.”
On devine ainsi qu’il ne veut pas connaître l’origine de son secret personnel, pour se prémunir, peut-être, de la tristesse. Il sait simplement qu’il fait rire, même sans savoir pourquoi, parfois “juste en se grattant le ventre”, grâce surtout à son énergique habileté à tirer vers l’absurde et la romance la chronique affligée des temps présents.
En état d’urgence jusqu’au 30 avril au Grand Point Virgule, Paris XVe, legrandpointvirgule.com
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