Martine Aubry, première secrétaire du Parti socialiste, est décidée à se lancer dans la compétition de la primaire pour obtenir le ticket à la présidentielle. Décryptage.
« Quel retournement de situation !”, savoure avec une jubilation non dissimulée un proche de Martine Aubry. Encore derrière Dominique Strauss-Kahn, il y a quelques semaines, dans la tête des gens et dans les enquêtes d’opinion, la voilà repassée définitivement devant…
{"type":"Pave-Haut2-Desktop"}
“Elle a eu une baraka comme ça existe peu en politique, commente un cadre du PS, un coup de théâtre comme Nicolas Sarkozy avec Achille Peretti à Neuilly (maire de Neuilly-sur-Seine mort d’un arrêt cardiaque en 1983. A la surprise générale, le jeune Nicolas Sarkozy se fait élire et prend sa succession – ndlr). Ça n’arrive qu’une fois, mais c’est totalement imprévisible en politique.”
Aujourd’hui, si la candidature de Martine Aubry à la primaire du PS fait peu de doutes, et que ses proches ont retrouvé la mine des grands jours pour en parler, elle n’a plus qu’à l’annoncer. N’a-t-elle pas répété en boucle sur le plateau de France 2, il y a quelques jours, qu’elle s’était “préparée” ? N’a-t-elle pas martelé le mot “envie” à cinq reprises ? Ce mot que tant de politiques et de Français doutaient qu’il fasse partie de son vocabulaire. “J’ai envie”, a-t-elle lancé, avant de poursuivre, “j’ai envie de faire gagner la gauche en 2012 et d’être utile à mon pays.”
N’a-t-elle pas redit devant 1500 militants et cadres du parti réunis à Paris ce 28 mai pour entériner le projet du PS, qu’elle “prendrait (ses) responsabilités” pour qu’une candidature issue du PS “puisse accéder l’année prochaine à la présidence de la République” ? Un message clair même si officiellement Martine Aubry est et reste pour le moment la première secrétaire du PS. Enfin, pour quelques semaines… Comme le souligne Benoît Hamon, le projet du PS désormais entériné, les socialistes “commencent une nouvelle bataille”, celle de la primaire avant la présidentielle.
Lors de sa réunion publique à Poitiers sur les terres de Ségolène Royal, Martine Aubry en a profité pour parler des conditions de sa succession, “si elle était candidate”… Précaution oratoire presque superflue qui montre juste la volonté de préparer en douceur l’après avec les autres candidats déjà déclarés à la primaire. Pendant son discours devant quelques centaines de militants, Martine Aubry a d’ailleurs multiplié les signes de flatterie à l’égard de son ancienne rivale, avec qui les relations sont aujourd’hui apaisées sur le plan politique. “Chère Ségolène”, “Comme tu l’as fait dans ta Région”, “je veux rendre hommage à ta politique en matière de jeunesse et d’écologie”.
On en viendrait presque à se demander si la couche de pommade n’est pas un peu trop épaisse… Pas au goût de l’intéressée, qui a trouvé ça très plaisant. “Ce n’était pas excessif, ni déplacé, c’était le juste ton”, confie Ségolène Royal. De quoi faciliter les ententes entre les deux femmes pendant la primaire… Pourtant, sur le quai de la gare, quand Ségolène Royal lance aux journalistes “mais vous n’avez eu le temps de ne rien voir, revenez aux Francofolies”, Martine Aubry se tourne vers un proche et lève les yeux au ciel d’agacement… Moment de naturel attrapé sur le vif.
Officieusement, la campagne a démarré
Après Poitiers, Les Lilas en Seine-Saint-Denis ce 31 mai avec Claude Bartolone, puis Metz le 6 juin avec Bertrand Delanoë… les déplacements de Martine Aubry vont s’enchaîner ces prochaines semaines. Officiellement pour promouvoir le projet. Officieusement pour entamer sa campagne. “Il va y avoir un processus de révélation de son engagement, de son histoire, de ce qu’elle a fait dans sa vie”, explique le député Christian Paul, en charge du laboratoire des idées au PS, “autant d’éléments qui vont donner beaucoup de densité. Les gens vont s’intéresser différemment à elle, à ce qu’elle fait, à ce qu’elle propose.” Les proches de Martine Aubry assurent qu’elle est prête à se lancer dans la course à l’investiture du PS, qui vaut ticket d’entrée pour la présidentielle. “Si elle y va, c’est pour gagner”, commente un de ses conseillers. Fini les tergiversations, les hésitations. “Aujourd’hui, elle est dans un état d’esprit combatif”, glisse un de ses soutiens, “très punchy”, glisse un autre qui veut rappeler qu’entre “Dominique et Martine, la décision n’était pas prise. Il avait conscience que les enquêtes d’opinion n’étaient qu’une photographie de l’opinion à un moment donné.” Avant d’ajouter “de toute façon, on n’est réellement candidat que le jour où on a déposé sa candidature”. Manière de balayer l’idée que Martine Aubry serait un plan B, au moment où DSK est retenu à New York.
“L’idée qu’elle n’avait pas dit publiquement que Dominique était le meilleur candidat des deux était un signe qu’elle n’avait pas complètement renoncé. Et puis son amie Marylise Lebranchu ramait beaucoup pour qu’elle le soit”, rappelle un proche. Le 5 mai, sur le plateau du talk Orange- Le Figaro, la députée du Finistère “suppliait son amie de “ne pas prendre sa décision maintenant”. En somme, de ne pas renoncer à tout combat politique national comme le laissaient entendre certains. Depuis, le contexte politique a bien changé, et la même Marylise Lebranchu déclare dans un communiqué que “la candidature de Martine Aubry est pour (elle) une évidence”.
“Il y a du décollage dans l’air”, s’enthousiasme Christian Paul… Comprendre : du décollage de candidature. “Elle a mis ses baskets”, renchérit Claude Bartolone. Pour ne pas laisser la voie libre à François Hollande qu’elle méprise, Martine Aubry ne se pose plus de questions. Après avoir parlé avec son père, Jacques Delors, qui est entièrement derrière elle, la semaine dernière, elle a commencé à faire la tournée des popotes politiques du parti. D’abord les plus faciles, comme Laurent Fabius et Bertrand Delanoë pour éviter qu’ils ne se déclarent candidats. Elle a pris le temps de les recevoir longuement la semaine dernière sans grande inquiétude sur leurs intentions, dans la mesure où elle les voit très régulièrement, souvent deux heures en tête à tête. D’ailleurs, sur le plateau de TF1, Laurent Fabius lui a publiquement apporté son soutien en énumérant les qualités qu’il fallait “dans la perspective” de se présenter à la primaire et qu’il retrouvait chez Martine Aubry : “l’expérience gouvernementale”, la “capacité de rassembler la gauche et au-delà”, “la légitimité (d’avoir) accompli un travail remarquable à la tête du parti”. Et elle peut être, a-t-il ajouté, “la première femme présidente de la République”. Le lendemain, dans la cour de Solférino, Fabius en a remis une couche devant les caméras : “Martine Aubry peut être une présidente très solide, très compétente et très proche des gens.” Autant dire que Ségolène Royal, pour l’instant seule femme candidate déclarée, a trouvé ça très délicat…
Deuxième cible, les strauss-kahniens, à qui Martine Aubry a décidé de faire les yeux doux pour éviter qu’ils se reportent sur la candidature de François hollande. “Elle est passée en mode guerrière”, s’amuse-t-on au PS. Mardi, c’est Vincent Peillon qui a ouvert le bal. Mercredi, elle a reçu Pierre Moscovici puis Jean-Christophe Cambadélis. Jeudi, elle a vu Michel Destot, Alain Bergounioux et Alain Richard, une sous-sensibilité rocardienne du courant strauss-kahnien. Ensuite, elle s’occupera des plus récalcitrants qu’elle s’est gardés pour la fin et qu’elle doit voir cette semaine, comme Manuel Valls, qui a décidé de réactiver sa campagne, ou encore de son farouche opposant Gérard Collomb, le maire de Lyon.
Autant d’étapes pour parvenir à rattraper François Hollande, celui qui fait aujourd’hui figure de favori dans la compétition. Comment ? En réfléchissant tant aux modalités d’annonce de sa candidature qu’aux prochains déplacements en France et à l’étranger. Dès lors, ça brainstorme au PS pour éviter de rater l’atterrissage, même si officiellement tout continue comme avant. “Elle fait les choses dans l’ordre, confie son entourage, une chose après l’autre.”
Quant à l’annonce de la candidature, c’est pour l’instant le scénario lillois qui retient le plus son attention : “Une annonce parmi les siens, dans sa ville qui bénéficie des doubles victoires du Losc, championnat de France et Coupe de France, de son bilan de maire et la chaleur des Lillois”, ajoute, enflammé, un de ses soutiens. Sauf que François Hollande a déjà fait la même chose, en se déclarant de Corrèze…
Dès lors, d’autres scénarios sont aussi à l’étude rue de Solférino pour arriver à créer la surprise au moment où, de l’avis de plusieurs cadres du parti, “François Hollande fait une campagne sans faute, entre un style à la Chirac avec des poignées de main à tout-va, et un style à la Sarkozy et à la Tony Blair avec une carte postale par jour. C’est un coucou de Tunisie, de Dijon, de Périgueux.”
Reste aussi à trouver la bonne date. Après le 6 juin, date de la première audience de Dominique Strauss-Kahn ? Mais le PS a décidé de ne pas calquer son calendrier sur le temps judiciaire new-yorkais qui risque de durer… Le 28 juin, premier jour du dépôt des candidatures ? Certains dans l’entourage de Martine Aubry lui conseillent de se dévoiler le plus tard possible, manière de faire vivre la séquence du projet, de prendre son temps, “car une fois déclarée, la campagne est lancée”, et de laisser le temps d’organiser sa succession à la tête du parti. Inconvénient de ce calendrier tardif du 28 juin, Martine Aubry laisse ses challengers François Hollande et Ségolène Royal seuls en piste. Troisième solution, une annonce autour du 15 ou 20 juin, ce qui permettrait de ne pas télescoper le projet et de se déclarer avant le dépôt des candidatures. Mais elle a suffisamment défendu le calendrier officiel pour ne pas vouloir le brusquer ellemême… Pour Claude Bartolone, cette question du calendrier “n’avait d’importance que tant qu’on se demandait si elle voulait y aller. Maintenant, c’est devenu secondaire”, sourit-il. Une chose est sûre, Martine Aubry n’a jamais aimé la précipitation ni l’improvisation… “C’est la fable du Lièvre et la Tortue, s’amuse un socialiste. Le début de l’histoire ne commence pas il y a quelques semaines, mais au congrès. Martine Aubry est la première à être partie. Depuis, elle a déroulé les conventions, les forums. Elle suit son calendrier…” A J-27 du dépôt des candidatures, la tortue pourrait enfin enfiler le maillot de la compétition.
Marion Mourgue
{"type":"Banniere-Basse"}